Mission au bout du monde : Eiao

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Eiao est située à 1 400 km de Papeete, dans l’archipel des Marquises. Avant de  poser le pied sur cette île désertique et inhabitée, plusieurs heures de bateau depuis Nuku Hiva sont encore nécessaires. Un voyage éprouvant devant lequel l’archéologue Michel Charleux n’a jamais reculé. Et pour cause ! Il y a fait 5 missions de plus ou moins longue durée, sachant que pour chacune d’entre elles une logistique impressionnante était à déployer, tout devant être anticipé : vivres, eau, tentes, matériel archéologique… Autant de kilos à transporter au sommet de l’île – dépourvu d’eau – pour survivre ! Mais le résultat est à la hauteur des difficultés, car l’île regorge de richesses archéologiques. Rien de tel pour remonter toujours plus loin l’histoire des Polynésiens…

1987. Etudiant sous la direction du Professeur José Garanger, Michel Charleux choisit Eiao comme sujet d’étude en raison de l’activité de fabrication d’outillage lithique particulièrement importante probablement jusqu’au 18ème siècle. « Grâce à Jean-Louis Candelot, je savais l’île riche, quasiment inexplorée et… personne ne voulait y aller. L’idée de travailler sur une île aussi difficile me plaisait », confie Michel Charleux. « Pour ma première mission en 1987, j’ai bénéficié du soutien de deux agents du Musée de Tahiti et des Îles, ainsi que de celui de la Marine Nationale, qui a transporté l’équipe à destination. Lors de cette expédition, nous avons pu répertorier de nombreux sites et un important matériel archéologique a été expédié au Musée, pour pouvoir être analysé. » La suite de l’histoire ? Il faudra attendre 20 ans pour la connaître, le travail de Michel Charleux l’ayant mené vers d’autres horizons. Eiao restera durant ces deux décennies dans un coin de l’esprit de l’archéologue, qui a du être patient pour voir venir une nouvelle occasion…

Une 2ème mission déterminante

C’est en 2007 que la DIREN* offre à Michel Charleux l’opportunité d’effectuer une nouvelle mission, rallumant ainsi la flamme. « C’est là que j’ai décidé de reprendre l’étude de Eiao et de monter une mission de très longue durée ». Entre temps, une courte 3ème mission et trois ans de préparation seront nécessaires pour concrétiser une 4ème expédition ! Une fois le financement, l’équipe et le transport réglés, Michel retourne enfin gratter le sol de Eiao en mai 2010 pendant 50 jours. Mais qu’est-ce qui le passionne tellement dans ce qui pourrait, pour un œil novice, passer pour de vulgaires  amas de cailloux ? « A l’époque pré-européenne (avant le 18ème siècle), Eiao était un important centre de fabrication d’outillage – herminettes, penu, perçoirs, grattoirs, etc. – du fait de l’excellente qualité de son basalte à grain fin. Par ailleurs, il faut savoir que chaque volcan émet des laves dont la composition chimique constitue une véritable signature unique. Les travaux de Weisler, Rolett et Di Piazza ont permis de découvrir que des outils fabriqués à Eiao avaient été exportés dans toutes les Marquises, et aussi loin que Moorea, Mangareva et même au Kiribati, à plus de 2 500 Km de Eiao ! » Les herminettes trouvées dans ces différentes îles portaient la signature chimique du basalte de Eiao, permettant de conclure à un réseau d’échanges particulièrement développé. « Dans le cadre de mes travaux, je prévois d’aller rechercher dans les réserves des musées de Wellington, d’Hawaii, du Chili, de Rapa Nui et aux Etats-Unis des outils polynésiens trouvés en fouille qui proviendraient de Eiao. Il y a certainement encore beaucoup à découvrir sur les échanges entre les îles. » Cette nouvelle mission de Michel Charleux a été très enrichissante puisque de nouveaux paepae et ateliers de taille ont été recensés. « Le nombre et la taille des structures d’habitat militent en faveur d’un peuplement permanent sur Eiao autrefois alors que paradoxalement, aucune sépulture ni fosse à ma n’ont été trouvées… Lors d’un sondage, j’ai eu la chance de mettre au jour en partie une fosse de déjection. Une belle surprise, mais la mission touchait à sa fin, me laissant un goût amer car nous n’avions plus assez temps pour approfondir les recherches… Mais à mon retour, j’apprenais que le Pays via le Service de la Culture m’accordait la subvention sollicitée : juste de quoi repartir pour une autre expédition ! J’avais laissé de l’eau au sommet, il ne me restait plus qu’à finaliser les préparatifs. Et 3 mois plus tard, en septembre 2010, ce fut ‘Eiao.2010.2’ ! »

La fosse

Michel Charleux n’a qu’une idée en tête pour cette ultime expédition sur l’île : fouiller autour de la fosse, dont les éclats lui permettront d’étudier la chaîne opératoire du travail de fabrication. « La fosse s’est révélée beaucoup plus importante que je ne l’imaginais et j’ai rapporté près de 25 000 éclats ! Il reste à les laver, les marquer, les analyser, les comparer, peut-être en ré-assembler certains… J’attends le résultat des datations, mais il y a encore du travail pour d’autres archéologues ! Plus on fouille, plus on trouve de vestiges et plus de nouvelles questions sont soulevées. Pourquoi les habitants ont-ils quitté Eiao ? Importante sécheresse, épuisement du basalte ? Ce qui est regrettable c’est que beaucoup de visiteurs sont passés sur Eiao et, ignorant son statut protégé, ont emporté des objets. Autant de disparitions qui faussent le travail des scientifiques », regrette Michel Charleux. « Malgré ce pillage et une flore très dégradée par les moutons ensauvagés, Eiao présente toujours un grand intérêt archéologique et une valeur patrimoniale et régionale unique. C’est pourquoi je pense sincèrement que l’île devrait faire l’objet d’un classement au patrimoine mondial de l’UNESCO. »

ENCADRE

Une logistique importante

Le financement : placée sous l’égide du Centre International pour la Recherche Archéologique en Polynésie (CIRAP), la mission « EIAO 2010 » a été financée dans le cadre d’un Contrat de Projet Etat-Pays obtenu par l’Université de Polynésie Française (UPF).

L’équipe : elle était composée de CPIA obtenus par la Municipalité de Nuku Hiva ou prêtés par l’association culturelle marquisienne Motu Haka et grâce à la Subdivision Administrative Etat des Marquises de trois CDL. Un Conseiller municipal, deux bénévoles et deux botanistes complétaient l’équipe.

Le transport : les Forces Armées en Polynésie ont assuré le transport de l’équipe lors de missions de la Frégate Prairial et du Patrouilleur La Railleuse.

Michel Charleux tient d’ailleurs à remercier chaleureusement le CIRAP, l’UPF, l’aide fournie par la mairie de Nuku Hiva (Benoît KAUTAI), les associations culturelles de Nuku Hiva (Motu Haka), la Subdivision Administrative d’Etat, le soutien déterminant apporté par les Forces Armées en Polynésie française, le Service de la Culture et du Patrimoine, le Ministère de la Culture, Air Tahiti et Air Tahiti Nui, sans qui toutes ces missions auraient été impossibles.

* DIREN : Direction de l’Environnement

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