FIFO 2009 : l’arrivée du numérique en question
Rencontre avec Pierre Ollivier, délégué général du FIFO, Heremoana Maamaatuaiahutapu, Directeur de la Maison de la Culture et vice-président de l’association FIFO et Dominique Wolton, Directeur de recherche au CNRS*, Directeur de l’Institut des Sciences de la Communication du CNRS* et Directeur de publication de la revue Hermès et Michèle Dechazeaux, membre du comité de présélection des films.
Le FIFO, en plus d’être un festival documentaire de plus en plus couru, joue chaque année un rôle d’initiateur dans le secteur audiovisuel. Ce sera encore le cas cette fois-ci, avec un sujet de taille : l’arrivée du haut débit numérique avec l’installation du câble sous-marin entre Tahiti et Hawaii. Les uns se concentrent sur les bouleversements que peut provoquer une telle nouveauté dans le paysage audiovisuel local et plus globalement, sur la société et les pratiques des usagers. Les autres relativisent le terme de « révolution numérique » au sens de mutation profonde, au profit d’une amélioration des échanges informatifs. Chacun a son point de vue, mais tous se rejoignent sur la nécessité, pour nous, d’intégrer au mieux ces changements.
Prévenir plutôt que guérir
Les tables rondes organisées dans le cadre du FIFO permettent de réunir professionnels et grand public autour de sujets divers et de débattre dans l’optique de faire avancer les choses. Ainsi, l’Aide à la Production Audiovisuelle et Cinématographique (APAC), l’Association Tahitienne des Professionnels de l’Audiovisuel (ATPA) et le Syndicat des Producteurs Audiovisuels de la Polynésie Française (SPAF) sont nés des rencontres provoquées au sein du festival. « Le numérique est un enjeu tellement important que l’on ne peut faire preuve ni d’amateurisme, ni de légèreté », confie Heremoana Maamaatuaiahutapu, Directeur de la Maison de la Culture et vice-président de l’association FIFO. Mieux vaut anticiper que se laisser submerger ; et pour cela, il faut commencer par se poser les bonnes questions.
Devancer l’arrivée du câble
« Ce n’est pas quand il sera là qu’il faudra se poser les questions de ce que l’on peut faire avec, comment, etc. » continue Heremoana Maamaatuaiahutapu. « Autrement, nous risquons d’être débordés par la nouveauté et de ne rien pouvoir gérer. Il faut conscientiser les politiques dès maintenant et par ricochet le grand public sur un certain nombre de problématiques ; réfléchir aussi aux possibilités de développement que va nous offrir l’arrivée de ce câble ».
Éveiller les consciences
« Les enjeux culturels et sociaux relatifs à l’arrivée du numérique sont très importants », poursuit le Directeur de la Maison de la Culture. « On ne se rend pas compte que le débit actuel va être multiplié par 100, dans les deux sens : à la réception, mais aussi à l’envoi. C’est une autoroute de l’information qu’il va falloir apprendre à utiliser ! »
Les révolutions possibles du haut débit numérique
« Les chaînes locales doivent d’ores et déjà se préparer à une mutation car le paysage audiovisuel va certainement se transformer. Au-delà, a-t-on préparé nos instituteurs à l’utilisation éventuelle du numérique dans leurs cours ? », s’interroge Heremoana Maamaatuaiahutapu. « Peut-être que dans des îles éloignées, le téléenseignement pourrait être envisagé ; auquel cas le visage de la profession serait complètement transformé. De la même manière, la télémédecine est à considérer, au moment où on se demande comment réduire les coûts de notre assurance maladie ».
Gérer les dématérialisations
« QUID des droits d’auteur ? Que fait-on de la bibliothèque, de la salle de projection et même du cyberespace de la Maison de la Culture ? La fréquentation du cyberespace a déjà été diminuée par trois en trois ans. Cela ne va qu’empirer ! La meilleure solution serait peut-être d’aller dans le sens du changement en proposant par exemple une e-bibliothèque. J’ai déjà quelques idées, mais j’attends aussi des pistes lors des rencontres du FIFO. Ce sont des pointures qui viennent et nous sommes très attentifs à toutes les propositions qui pourraient être faites ».
La mondialisation est aux portes de la Polynésie
« L’arrivée du numérique pourra nous donner la possibilité de mieux nous faire connaître à l’étranger. Du même coup, apporter une reconnaissance et booster la profession, le secteur audiovisuel. C’est un potentiel énorme. Quand on aura pris conscience que le câble, en plus d’arriver, repart aussi, on arrivera à de grandes choses. Il y a des solutions, mais il ne faut pas attendre que le câble soit là pour réagir. On a l’impression d’être loin du monde… On ne le sera plus grâce à l’arrivée de ces nouvelles technologies de l’information et de la communication ».
ENCADRE
Honotua, « le lien vers le large », pour réduire la fracture numérique
– Le 10 janvier 2008, le groupe Alcatel-Lucent Submarine Network (ASN) a signé le contrat pour la pose des câbles avec l’OPT
– Coût du réseau sous-marin : 8,5 milliards de Fcfp (72,2 millions d’euros)
– Le réseau reliera Tahiti à Hawaii et à certaines îles de l’archipel polynésien
– À terme, la capacité du réseau sera de 32 x 10 Gbit/s (actuellement, la bande passante de la liaison satellite est de 171 Mbit/s)
– L’achèvement des travaux est prévu en 2010
RELATIVISER LA TECHNIQUE ET VALORISER LES HOMMES
Dominique Wolton est Directeur de recherche au CNRS*, Directeur de l’Institut des Sciences de la Communication du CNRS et Directeur de publication de la revue Hermès*. Depuis plus de 30 ans, il travaille sur l’analyse des rapports entre culture, communication et société. Admirateur de l’intelligence humaine plus que de l’intelligence technique, il se bat pour éviter que l’idéologie technique ne prenne le pas sur la vision humaniste de la communication. Il présidera les rencontres numériques du FIFO 2009.
Pourquoi avoir accepté de présenter ces rencontres numériques ? Quel enjeu y voyiez-vous ?
Je travaille depuis de nombreuses années sur la mondialisation et sur la diversité culturelle d’une part et les techniques de communication d’autre part. Donc je connais bien les enjeux d’Internet, du numérique et je connais bien le Pacifique, cela fait plus de dix ans que je travaille sur la région. Je pense qu’il est fondamental qu’elle puisse accéder à tous les services numériques pour ne pas être décalée par rapport au reste du monde. Mais ce qui m’intéresse, ce n’est pas tant la technique que les hommes et les sociétés. La Polynésie, et plus généralement le Pacifique, sont un exemple extraordinaire de la supériorité des hommes sur la technique. C’est un lieu de lecture de l’obligation de relativiser la révolution technique pour revaloriser l’importance de la société, de la communication humaine. Mon point de vue va être minoritaire, bien sûr, mais c’est pour ça que j’ai accepté de présider ces rencontres : pour contrebalancer le discours technique, qu’on n’assomme pas les Polynésiens avec l’idée que leur mode de vie va entièrement changer avec l’arrivée du numérique.
Pourtant, on peut facilement envisager un bouleversement social…
Ce n’est jamais la technique qui fait le bouleversement social. Elle accélère simplement le processus. La technique change la société en apparence, mais pas dans le fond. Il y a toujours ce fantasme de croire que les techniques de communication vont tout changer. C’est formidable, pratique, utile… mais ça ne change ni l’homme, ni la face du monde. L’arrivée du numérique va accélérer la circulation des informations, contribuer à désenclaver un peu certains archipels éloignés. Mais la société polynésienne ne va pas s’en trouver révolutionnée pour autant. La vraie révolution sociale est de conserver ses traditions et de s’adapter à la modernité. Internet est un moyen, pas une fin. Les mots
« retard », « modernité », « adaptation », « ouverture » appartiennent au discours technique. Ça n’a pas de sens ! La société polynésienne est moderne tout en ayant su préserver ses traditions. Je prône une cohabitation entre le progrès technique et la richesse, la complexité, la tradition de ces sociétés.
Y’a-t-il des actions à mener pour se prémunir de changements éventuellement trop radicaux induits par cette cohabitation ?
Il faut d’abord introduire la technique en faisant réfléchir tout de suite sur son usage, rappeler qu’Internet est à la fois liberté mais aussi spéculation, pornographie, désocialisation… La richesse d’une société passe par les échanges humains. Que deviendra cette richesse quand tous les jeunes seront sur leurs ordinateurs ? Moi je me bats pour que les solutions techniques soient au service des sociétés et non que les sociétés succombent à l’idéologie de la technique. Il faut éduquer, mener une réflexion critique, valoriser la tradition par rapport à la modernité, décomplexer les gens qui ne savent pas s’en servir, réduire l’arrogance de ceux qui savent s’en servir ; en d’autres termes : relativiser le progrès, rappeler qu’il est secondaire par rapport à la richesse des sociétés. Mon point de vue de scientifique consiste à dire : « arrêtez de vous imaginer qu’une technique de communication va tout changer. Ça va améliorer les échanges d’information, mais ça ne va pas changer la société, la culture, la politique, etc, et tant mieux d’ailleurs ». Si le prix de la modernité technique était la standardisation du monde entier, ce serait stupide ; il faut évidemment valoriser les différences culturelles. Internet n’est qu’une brouette après d’autres brouettes et avant d’autres… mais pas une révolution sociale.
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Présentation de la cuvée 2009 !
37 films seront à l’affiche de la 6ème édition du Festival International du Film documentaire d’Océanie.
Portraits, aventures, recherches scientifiques, témoignages, politique, histoire… les styles sont cette année très variés. Leur mise en images aussi. Michèle Dechazeaux, membre du comité de présélection des films, a salué la personnalité de cette nouvelle édition : « le FIFO 2009, explique-t-elle, est prometteur tant par la qualité des documentaires reçus que par la diversité des sujets traités. Mais ce qui en fait peut-être l’originalité, c’est la remontée et l’utilisation des archives, aussi bien familiales que nationales et officielles. Incontestablement, ces images retrouvées donneront au festival une couleur historique et humaine très émouvante. Si certains sujets comme l’euthanasie, la délinquance, la justice, le sida, sont des sujets universels, ils sont traités ici « à l’Océanienne » et sont de belles leçons d’humour et de sagesse. Une fois de plus le FIFO soulignera le lien étroit qui unit toutes ces populations qui prennent enfin la parole. Une parole riche d’un passé, une parole vivante, qui revendique sa place dans ce monde nouveau où l’image est au service des mots, des histoires et des idées ».
Pour valoriser du mieux possible le travail des artistes, amateurs ou avertis, le FIFO offrira la possibilité aux réalisateurs polynésiens dont les documentaires n’ont pas été sélectionnés de présenter leurs créations dans la « salle vidéo », exclusivement réservée à leur attention.
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Le FIFO 2009 en quelques chiffres :
– 150 films envoyés au FIFO cette année
– Un comité de présélection composé de 9 personnes a visionné la totalité des films entre juillet et octobre et retenu 16 films en compétition et 21 films hors compétition
– Les documentaires sont tous projetés 3 fois pendant la durée du festival, et 4 fois pour les films en compétition (avec une projection le dimanche)
– Sur la totalité des films inscrits, 3 sont des co-productions polynésiennes et 2 sont en compétition
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Le FIFO 2009
Où et quand ?
– Du mardi 27 janvier au dimanche 1er février 2009
– À la Maison de la Culture de Papeete
– Tarifs : ticket journalier : 1 000 Fcfp / étudiants, groupes : 500 Fcfp / gratuit pour les scolaires
Avec un ticket d’entrée journalier, vous pouvez aller voir autant de films que vous le souhaitez, tous les jours, dans les trois salles de projection, de 8h30 à 23h
– Billets en vente à la Maison de la culture à partir du lundi 9 janvier
– Informations et renseignements : 544 536 / 70 70 16 – http://www.filmfestivaloceanie.org – [email protected] / www.maisondelaculture.pf
* CNRS = Centre National de Recherche Scientifique
* Hermès est une revue spécialisée en sciences de l’information et de la communication. Près de 850 auteurs, français et étrangers, ont déjà participé à sa publication depuis 1988. La revue Hermès est éditée par CNRS Editions.