Te Tau Matariì i nià 2008, sous le signe du poisson et de la création

« Nous avons décidé de poursuivre et de terminer ce que nous avons commencé en 2006 sur l’île de Tahiti », explique Doris Maruoi, chef du projet Te Tau Matariì i nià au Service de la Culture et du Patrimoine. « Notre idée, depuis le départ, est d’essayer de comprendre quels guides utilisaient nos ancêtres pour penser et gérer le temps. S’ils avaient désigné le phénomène de Matariì i nià par ce nom (voir encadré définitions), c’est bien qu’ils cherchaient à traverser le temps avec du sens. Nos recherches nous ont, depuis longtemps déjà, amené à découvrir qu’ils comptaient pratiquement chaque instant et à intervalles réguliers du jour et de la nuit. Quant aux durées plus longues, elles s’écoulaient au rythme des phases lunaires ou du calendrier lunaire. Nous nous appuyons donc sur ce dernier pour harmoniser notre travail. Ainsi, cette année encore, nous allons célébrer Te Tau Matariì i nià à compter de la nouvelle lune de Tema. En 2006, elle est apparue le 20 novembre, en 2007, le 9 novembre et cette année, elle sera là le 28 octobre. »

Le contexte

Le Service de la Culture et du Patrimoine élabore le projet de célébration du Tau Matariì i nià sur l’île de Tahiti pour la troisième fois. Cette année, les manifestations se tiendront dans trois communes : Tautira (place Tatatua et mont Matarufau), Papenoo (place Opia) et Faa’a (site à proximité de la pointe Tataà). L’accent sera mis sur la représentation symbolique de l’île de Tahiti : un , un poisson, signe d’abondance. Le Service de la Culture et du Patrimoine proposera donc trois rendez-vous autour du thème « Tahiti le poisson ». Le premier aura lieu le 13 novembre, à la pleine lune, à Tautira. Le second le 20 novembre, au dernier quartier de lune, à Papenoo. Le troisième le 27 novembre, à la dernière phase lunaire, à proximité du site de Tataà (voir programme). Le Service de la Culture et du Patrimoine participera à la mise en place de la soirée de Vai’ete avec Heiva Nui et pour le reste des manifestations, s’adressera tout particulièrement aux élèves des écoles primaires des communes rurales, ainsi qu’aux CJA* et CETAD* des communes urbaines de la côte nord-ouest.

Les scolaires comme ambassadeurs de la culture

Depuis début octobre, une quinzaine d’agents du Service de la Culture et du Patrimoine forment une sélection d’élèves issus des écoles primaires de Tautira, Papenoo et Faa’a-Piafau à des activités traditionnelles. Tous les élèves apprennent ainsi à confectionner le tapa avec les différentes écorces. Mais ceux de Tautira seront plus sensibilisés au tapa en écorce de mati, ceux de Papenoo à celui en écorce de ‘ora et ceux de Faa’a-Piafau au tapa en écorce de ùru. Sur chaque tapa, les élèves reproduiront la partie du poisson que représente leur commune sur l’île de Tahiti. Les différentes parties seront assemblées au fur et à mesure des manifestations, pour reconstituer Ta-hiti-nui, le poisson de la légende. Ces activités sont accompagnées par la réalisation d’un titiraina, un jouet en forme de pirogue à voile qui, au moment où il est posé sur la mer, représentera le lien de l’abondance sur terre et sur mer, et par l’apprentissage de chants traditionnels avec les enseignants du Conservatoire Artistique. « L’initiation est une étape incontournable de laquelle dépendra la pleine réussite des journées publiques de l’événement », explique Doris Maruoi. « Les agents du Service de la Culture et du Patrimoine ont été formés aux savoir-faire sélectionnés. Il nous paraît important de les retransmettre de cette manière. L’initiation des élèves aux activités traditionnelles qu’ils présenteront eux-mêmes à leurs camarades, à leurs parents et amis fera d’eux des acteurs de leur propre culture », poursuit-elle. Le Service de la Culture et du Patrimoine s’atèle donc à un véritable travail de fond, pouvant passer inaperçu aux yeux du public, mais qui prouvera son efficacité dans le temps. « Si l’on veut faire renaître les savoir-faire, il n’y a qu’en allant vers les plus jeunes que nous y parviendront », estime Doris Maruoi.

*CJA : Centres de Jeunes Adolescents, CETAD : Centres d’Education aux Technologies Appropriées au Développement.

Définitions possibles de Matariì i nià

Si nià signifie « en haut, qui va se lever », plusieurs sens peuvent être attribués à matariì :

1. mata : les yeux ; riì : petits

Les pléiades sont en effet une toute petite constellation !

2. mata : débuter ; riì : de condition humble

Vu sous cet angle, cela voudrait dire « commencer petit » et sous-entendrait qu’à l’instar de l’homme, la nature serait en perpétuelle régénérescence.

3. mata ariì : commencer par les chefs

Les premières récoltes pendant cette saison étaient en effet offertes aux Dieux puis consommés par les ariì, les chefs.

Doris Maruoi pense que la première version est la plus plausible, parce ce sens serait le plus commun aux différentes langues polynésiennes. Matariki, makalii, mataiki : riki en pascuan et en maori, lii en hawaiien et iki en marquisien signifient petit.

La légende du poisson

Dans les temps très anciens, Raiatea et Taha’a ne formaient qu’une seule grande île appelée Ha-va-i-‘i-nui (Grand espace invoqué qui remplit).

Un jour, les prêtres entreprirent la construction d’un nouveau marae. Pour que rien ne trouble l’atmosphère sacrée, personne ne devait se déplacer.

Pendant cette période, une très belle jeune fille nommée Tere-he enfreignit les ordres et alla se baigner dans la rivière. Les dieux irrités firent sortir d’un trou une grande anguille, qui avala d’un seul coup Tere-he.

L’anguille, possédée par l’esprit de la jeune fille, devint enragée. Elle bondissait de tous côtés et arrachait des arbres et des rochers. Elle dévora ainsi le milieu de l’île, ce qui forma un détroit qui sépara le Grand Havai en deux îles distinctes : Raiatea et Taha’a. L’anguille grandit de plus en plus et devint un énorme poisson.

Les dieux le confièrent à Tu-rahu-nui (Grand sorcier) qui se mît sur la tête et le dirigea vers l’Est. Le poisson prit le nom de Ta-hiti-nui. Il était splendide alors qu’ils s’en allaient vers le large. Orohena, la plus haute montagne de Tahiti était, comme son nom l’indique, la première nageoire dorsale. Le poisson s’arrêta enfin, mais il était nécessaire de l’empêcher de bouger pour qu’il demeure éternellement à la même place. Des guerriers arrivèrent en pirogue pour couper les tendons du poisson. Ils essayèrent, tour à tour, mais en vain.

Le célèbre Ta-fa’i se rendit à Tubua’i pour chercher une hache très grande et très lourde qui avait beaucoup de pouvoir. Il invoqua Tino-rua, seigneur de l’océan, et la hache devint légère dans ses mains. Tafa’i se mit à couper le poisson Tahiti et cessa lorsque tous les tendons furent tranchés.

La grande chaîne de montagnes, qui dominait Tahiti, fut ainsi coupée en deux parties. L’endroit où Tafa’i frappa, forma un isthme appelé maintenant Taravao.

« Il était une fois Léon Taerea », ou « Il était une fois la nature polynésienne », un spectacle dansé à la Maison de la Culture

Pour célébrer Matariì i nià, la Maison de la Culture produit un spectacle de danse unique, imaginé par Annie et Marion Fayn et inspiré des encres de Chine de Léon Taerea*. Intitulé Moemoea, le songe, il rendra hommage à l’artiste mais aussi au foisonnement de notre nature, thème de prédilection de Léon Taerea. Un spectacle dont les chorégraphies et les musiques vous transporteront au plus près de son imaginaire. Rendez-vous du 11 au 13 décembre au Petit Théâtre de la Maison de la Culture.

« En 2005, nous avons découvert le recueil de Léon Taerea intitulé Hina, rêves, poésies et nature polynésienne. C’est un véritable coup de cœur », raconte Marion Fayn. Pendant 3 ans, les idées germent. Mais le décès tragique de l’artiste va bousculer un peu leur projet. Il faut lui donner vie rapidement, et pourquoi pas lors des festivités de Matariì i nià ? L’œuvre de Léon représente en effet presque exclusivement la nature, son côté nourricier, abondant, généreux. En défenseur de la nature qu’il était, quoi de plus cohérent ?

Un spectacle au service de la peinture

« La difficulté fut de traduire en mouvement ce qui était représenté sur papier à l’encre de chine. Car quelle forme de danse adopter pour coller à la fois à la contemporanéité et aux incursions dans les mythes polynésiens ? », s’interroge Marion. « Ces questions n’ont cessé de nous tarauder l’esprit », confie-t-elle. Mais à force de réflexion et de travail, le résultat sera à la hauteur de leurs espérances. En mariant les cultures, la danse contemporaine et la danse traditionnelle – avec le groupe de Manouche Lehartel, Toa Reva – les danseurs parviennent à imiter les toiles – des corps parmi les décors – permettant aux spectateurs d’avoir accès immédiatement aux détails. L’univers mythologique et l’environnement naturel dans lequel évoluent les personnages de Léon prennent enfin vie. Le spectateur n’aura plus qu’à plonger dedans.

Au final…

« Léon Taerea nous a entraîné dans une aventure surréaliste et onirique. Ses toiles sont devenues progressivement des sources d’inspiration particulières. Elles ont nécessité de la réflexion ainsi qu’une remise en question de l’approche chorégraphique. L’expérience fut inédite, atypique, à l’image de son inspirateur », estime Marion.

* Réalisation et coordination : Annie et Marion Fayn, Mylène Raveino

Chorégraphies : Annie et Marion Fayn, Manouche Lehartel

Danseurs : Ballet Annie Fayn, Toa Reva

Décors : Denise Reymond

Technique sons et lumière : La Maison de la Culture – Te Fare Tauhiti Nui

Pourquoi célébrer Matariì i nià ?

La question de la (re)ritualisation des pratiques culturelles ancestrales fut au cœur d’un grand débat* le 6 septembre dernier à la Maison de la Culture. Nous avons demandé à Jean-Marc Pambrun, directeur du Musée de Tahiti et des Îles et co-organisateur de ces journées-rencontres, ce que la célébration de Matariì i nià lui évoquait.

« Matariì i nià doit être l’occasion pour la population de réapprendre des gestes traditionnels : planter, récolter, pêcher, etc. L’événement ne sera intégré dans la société polynésienne que lorsque les gens se seront réappropriés tout ce qui concerne la production et l’utilisation vivrière. Autrement, Matariì i nià restera la commémoration d’un acte ancien en décalage avec la vie contemporaine », poursuit-il. « S’il est impossible d’aller jusqu’à une réintégration des pratiques agricoles dans les habitudes de la population, on peut tout de même les y réinitier. La démarche du Service de la Culture et du Patrimoine est dans ce sens très constructive, puisqu’elle entend maintenir les savoirs et les pratiques auprès des plus jeunes ».

Alors pourquoi célébrer Matariì i nià ? « Je pourrais répondre pourquoi célébrer Noël, la St Valentin ou Halloween ? », s’amuse Jean-Marc Pambrun. « Mais je préfère dire que pour ma part, célébrer Matariì i nià c’est retrouver la voie ma’ohi du développement durable ! » Et en ce temps de crise environnementale, cela semble… primordial.

* Le compte-rendu de ce débat sera publié très prochainement sur les sites de la Maison de la Culture et de l’ICA.

Heiva Nui, au cœur de l’organisation de l’événement

Heiva Nui est chargé d’harmoniser l’action des tous les établissements culturels impliqués dans l’organisation de Matariì i nià. Administratif, protocole, logistique, contacts, autorisations, équipements, décoration… : les chargés de projet (Régina Taufa, Leilani Sogliuzzo, Noa Teiefitu et Ludovina Tooiti) s’occupent de tout ! Ils centralisent les informations et les traitent, afin de fournir ce dont ont besoin le Musée de Tahiti, le Conservatoire Artistique, le Service de la Culture et du Patrimoine, le Centre des Métiers d’Art et la Maison de la Culture pour leurs manifestations.

Des manifestations… en abondance !

La période d’abondance du Tau Matariì i nià sera émaillée d’expositions, de concours et spectacles de danses ainsi que de visites culturelles diverses. Voici le programme !

– Mardi 28 octobre, place Vai’ete, de 19h à 20h30

Cérémonie d’ouverture du Tau Matariì i nià avec spectacle de danses et de chants.

– Du 30 octobre au 30 novembre, dans la salle d’exposition temporaire du Musée de Tahiti et des Îles, de 9h30 à 17h30

On se souvient que Léon Taerea avait présenté une exposition de peinture sur le thème de Matariì i nià en novembre 2006 à la Maison de la Culture. Pour rendre hommage à cet artiste important disparu le 19 juin dernier, le Musée de Tahiti en partenariat avec la Maison de la Culture, Heiva Nui et l’ICA, présente une exposition d’une partie de ses œuvres pour la plupart inconnues du grand public, et aimablement prêtées pour l’occasion par de nombreux particuliers. Durant cette exposition unique, un spécial Cinematamua sera consacré aux œuvres cinématographiques de Léon Taerea, qui seront diffusées en boucle dans la salle d’exposition.

– Jeudi 13 novembre, plan d’eau de Tautira, de 15h à 17h

Cérémonie culturelle devant le mont Matarufau, qui représente symboliquement la tête du poisson, avec offrandes à l’île de Tahiti.

– Vendredi 28 et samedi 29 novembre, Centre des Métiers d’Art, de 9h à 18h

Exposition-vente des objets d’art des élèves (voir notre article « culture bouge »).

Animations culturelle scolaires

Le Service de la Culture et du Patrimoine offrira aux scolaires et au public un voyage au cœur des savoir-faire ancestraux par la rencontre des générations à travers des ateliers d’animations dans les domaines de la langue, du patrimoine, de l’artisanat et des arts.

Jeudi 13 novembre, place Tatatua de Tautira, de 8h à 13h30

Jeudi 20 novembre, place Opia (stade Tetiamana) de Papenoo, de 8h à 14h30

Jeudi 27 novembre, à proximité du site de Tataà, place Piafau (surnommé Vaitupa) à Faa’a, de 8h à 14h30

Mardi 2, mercredi 3 et jeudi 4 décembre, mairie de Pirae, de 8h à 14h30 (de 8h à 12h le jeudi 4)

– Samedi 6 décembre, dans les jardins du Musée de Tahiti et des Îles, à partir de 10h

Heiva Nui reconduit un programme qui a attiré un public nombreux les années passées : une journée de sports traditionnels, tu’aro ma’ohi, ainsi qu’un ahima’a (four traditionnel), avec vente de ma’a Tahiti. Au programme : lancer de javelots, grimper au cocotier, ainsi que danse traditionnelle avec les écoles Heiragi, Tumata, Rainearii et Monoihere.

Mercredi 10 décembre, dans les jardins du Conservatoire Artistique, de 15h à 18h

Le Conservatoire propose une journée portes ouvertes lors desquelles il présentera tous les ateliers traditionnels qui font partie de son établissement : danses, chants et musiques. L’objectif de cette journée est de montrer aux parents d’élèves ainsi qu’au public les progrès réalisés depuis la rentrée de septembre. Mais on ne vous en dit pas plus pour le moment, car ce sera l’objet de notre dossier du mois de décembre !

– Du 8 au 12 décembre, salle Muriavai de la Maison de la Culture, de 9h à 17h (16h le vendredi). Vernissage mardi 9 décembre à 18h

Une exposition du fond d’œuvres de la Maison de la Culture sera proposée au public sur le thème de l’abondance. Toutes les œuvres (peintures, huiles, dessins, sculptures, etc.) réunies par l’Etablissement entre 1985 et 2008 et faisant écho à la nature seront exposées pour l’occasion, permettant aux spectateurs de se faire une idée de l’évolution de la représentation de la nature au travers des artistes Polynésiens contemporains.

– Du 11 au 14 décembre, Petit théâtre de la Maison de la Culture, à 19h30 (18h30 le dimanche)

La Maison de la Culture rendra hommage à Léon Taerea et à Matariì i nià via un spectacle de danse contemporaine et de Ori Tahiti intitulé Moemoea, et inspiré du dernier recueil d’encres de Chine de l’artiste, Hina, rêves, poésies et nature polynésienne.

Te Tau Matariì i nià

Où et quand ?

Dans tous les établissements culturels du pays, ainsi que dans de nombreux lieux culturels de l’île de Tahiti

Du 28 octobre au 15 décembre 2008

Renseignements à Heiva Nui au 50 31 00

Rappel

Pour une introduction complète au phénomène de Matariì i nià, vous pouvez vous reporter au magazine Hiro’a n°3, novembre 2007 : le « dossier » ainsi que la rubrique « le saviez-vous » lui sont consacrés.

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