Hiro’a n°183 – Dossier

Dossier – Musée de Tahiti et des îles (MTI) – Te Fare Iamanaha

Te Fare Iamanaha : une nouvelle vie commence

Rencontre avec Miriama Bono, directrice de Te Fare Iamanaha – Texte et photos : Lucie Rabréaud

Te Fare Iamanaha, c’est désormais le nouveau nom du Musée de Tahiti et des îles. Cette ancienne appellation choisie par l’Académie tahitienne signifie le dynamisme dans la conservation et l’exposition d’œuvres. Un nouveau chapitre s’ouvre donc pour l’établissement qui exposera quelque 600 pièces, dont des œuvres inédites prêtées par des musées renommés, et que les spectateurs peuvent découvrir depuis le 4 mars.

Ce sont 600 pièces que les visiteurs peuvent désormais observer de près, depuis le 4 mars, dans ce musée tout neuf. La première pierre a été posée le 21 août 2019 et il a été inauguré le 1er mars dernier. Le nouveau Musée de Tahiti et des îles, désormais appelé Te Fare Iamanaha, est le résultat de « toute une aventure » que la directrice, Miriama Bono, a continuée après ses prédécesseurs. En effet, dès les années 2000, la question se pose de rénover l’ancien Musée de Tahiti et des îles, construit en 1977, sur la pointe Nu΄uroa. Le bâtiment est vieillissant, certaines modélisations ne fonctionnent plus si bien et l’ensemble nécessite d’être modernisé. À l’époque, il s’agit « seulement » d’une rénovation. Refaire la scénographie, rajouter une salle pour détailler les spécificités des cinq archipels… En 2010, Jean-Marc Pambrun demande une étude de préprogrammation, puis Theano Guillaume-Jaillet, alors directrice, lance le concours des architectes en 2015. Arrivée en 2017, Miriama Bono, l’actuelle directrice, dépose le permis de construire, participe à la mise en place du projet scénographique et aura le privilège d’en ouvrir les portes. « C’est un travail d’équipe, chacun a apporté son expérience et son savoir-faire. Faire un musée, ce n’est pas seulement construire un bâtiment, c’est un projet sociétal de conservation des collections et de leur valorisation. Qu’est-ce qu’on raconte ? À qui on parle ? »

Chaque archipel mis en avant

La scénographie a été entièrement revue pour proposer un parcours thématique mais également géographique avec une mise en avant des archipels dans toutes leurs spécificités grâce notamment aux prêts du Musée du quai Branly, qui  changeront tous les deux ans pendant six ans, et à ceux du British Museum et du Musée d’Archéologie et d’Anthropologie de Cambridge. L’objectif était de « reconstruire le musée des Polynésiens, pour les Polynésiens, par les Polynésiens. Le musée doit être le reflet de notre société ». Les informations ont été réactualisées avec une médiation moderne comme de la vidéo-projection, de l’animation, des films, des écrans tactiles et des audioguides et des îlots d’exposition des œuvres permettant de voir les pièces sous différents angles. « Contrairement aux musées parisiens, notre premier public n’est pas les touristes mais les Polynésiens. C’est à eux qu’on s’adresse en priorité. Nous avons également une vocation pédagogique forte avec l’accueil des scolaires. Cela change le discours, le projet global et la façon dont on raconte l’histoire. » 

Parmi les pièces exposées, certaines sont inédites, encore jamais vues au fenua : le fragment du maro ΄ura, le costume du deuilleur, les sculptures des dieux A΄a et Rongo… mais également des œuvres qui font partie des collections du Musée de Tahiti et des îles et qui étaient rarement sorties voire pas du tout, telles que la collection de tapa, les oiseaux naturalisés et l’herbier qui est en train d’être numérisé. Te Fare Iamanaha a aussi ses propres trésors. Avec cette nouvelle scénographie et ces nouvelles œuvres, l’équipe du musée espère surprendre les visiteurs et aussi être une source d’inspiration pour les artisans et les artistes.

Un bâtiment exemplaire

Enfin le bâtiment lui-même est une grande satisfaction car il répond désormais aux contraintes spécifiques des musées, avec des solutions performantes en matière d’économie d’énergie et de ressources. Il correspond aux enjeux de la conservation avec une maitrise de la lumière naturelle et de l’éclairage artificiel, le contrôle de la température, de l’hygrométrie et de l’isolation. « La temporalité d’un musée est importante : on parle du très long terme mais tout en restant aux prises avec la société qui l’entoure. Il fallait que le bâtiment relève les défis de notre époque et soit exemplaire pour les générations de demain », explique Miriama Bono, la directrice. L’architecture impressionnante et les jardins entièrement refaits devraient aussi susciter la curiosité des visiteurs. ◆

PRATIQUE

• Le musée est ouvert du mardi au dimanche, de 9 heures à 17 heures.

• La journée du mardi (ouvert de 8 heures à 16 heures) est destinée aux scolaires, aux groupes et aux associations culturelles qui doivent réserver leur visite.

Pour réserver, les scolaires doivent aller sur le site internet où se trouve un fichier de réservation à remplir.

Pour les groupes et les associations, il faut adresser un mail à [email protected]

• Billetterie en ligne ou sur place.

• Entrée : 1 000 Fcfp pour les adultes et gratuit pour les moins de 18 ans et les étudiants.

• Audioguide (français, anglais, espagnol) : 500 Fcfp, gratuit en tahitien.

• Les visites guidées reprennent : les samedi 11, 18 et 25 mars, de 10 heures à 11h30.

• Il faut réserver à l’avance car elles sont limitées à 25 personnes.

• Tarif : 2 000 Fcfp pour les adultes et 1 000 Fcfp pour les moins de 18 ans et les étudiants.

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Nouveau musée, nouveau site internet

L’adresse reste la même mais le site se modifie légèrement avec l’ajout de nouvelles photos et de nouvelles informations, simultanément avec l’ouverture de l’établissement. Tout y est remis à jour et on pourra retrouver les visites numériques, les documents pédagogiques, la billetterie en ligne, les réservations pour les scolaires, les actualités, les événements…

• www.museetahiti.pf

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Compléter les collections grâce aux œuvres prêtées

Une vingtaine de pièces ont été prêtées par le Musée du quai Branly, par le Musée de Cambridge et le British Museum. Le fragment de maro ΄ura, la célèbre ceinture rouge, est quant à elle en dépôt. « Cette pièce est parfaite pour illustrer le passage entre deux salles : celle dédiée au temps préeuropéen et celle liée au contact. Elle est installée seule, sur une cimaise qui comprend également de l’iconographie et des informations » , explique Miriama Bono, directrice du Musée de Tahiti et des îles. Le tiki A΄a et le costume du deuilleur arrivent du British Museum et vont rester trois ans au musée. « C’est un prêt exceptionnel car le costume du deuilleur n’était jamais sorti du musée du fait de sa très grande fragilité. » Arrivé dans quatorze caisses, il a fallu cinq jours aux professionnels pour monter la pièce dans sa vitrine. C’est en 2019 que les équipes de conservation du British Museum sont venues à Tahiti. Julia Adams, responsable des restaurations des collections océaniennes, a présenté ses travaux sur le costume du deuilleur lors de conférences. « Nous étions déjà en négociation avec eux pour le prêt de pièces et quand ils sont venus, ils ont pu constater le besoin, l’intérêt et le respect des Polynésiens. Il y a eu beaucoup de rencontres, avec les gens de la culture, le Centre des métiers d’art, tout le monde posait beaucoup de questions. » Ainsi le British Museum a laissé le costume du deuilleur quitter son établissement pour la première fois.

D’autres pièces sont moins connues mais tout aussi fascinantes comme un tāumi, un grand pectoral en plumes et poils de chien, considéré comme « extraordinaire » par Miriama Bono. Une paire de boucles d’oreilles, collectée par le capitaine Cook, formée d’un bouquet de trois petites perles, bien avant la naissance de l’industrie perlière. « C’est une pièce touchante et impressionnante, d’une grande valeur. » Les spectateurs pourront également voir un linteau, collecté à Tahiti mais dont les sculptures sont originaires des Australes ; un to΄o mata avec des cordelettes à nœuds servant d’aide-mémoire ; la sculpture du dieu Rongo, collectée à Mangareva. Tous ces prêts « viennent compléter les collections », en proposant notamment « une pièce emblématique majeure » pour chaque archipel. Les pièces du British Museum et de Cambridge resteront trois ans à Tahiti.

Avec le Musée du quai Branly, un accord de coopération a été signé pour six ans avec un renouvellement des pièces prêtées tous les deux ans. « Nous espérons ensuite accueillir des prêts des musées de la région notamment avec le Bishop Museum ou le Te Papa Tongarewa de Nouvelle-Zélande. » Car au-delà du prêt des pièces, l’intérêt est de diversifier les coopérations scientifiques. « C’est une collaboration qui va dans les deux sens : les Polynésiens ont des savoirs et les musées attendent leurs avis, leurs remarques. Pouvoir observer les pièces de visu est une possibilité de mieux les connaitre, pour nous et pour eux. » Le musée va donc continuer à travailler pour exposer des pièces prêtées avec toujours cette intention : représenter les archipels. « C’est le fil conducteur du choix des pièces, tout comme ce nouveau musée : mettre en avant les îles. »

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Miriama Bono, directrice de Te Fare Iamanaha

Le projet se termine mais c’est une nouvelle vie qui commence ?

« C’est un nouveau musée qui s’ouvre et un nouveau projet qui commence. Moi-même j’avais tendance à dire que ça s’arrêtait le 1er mars mais pas du tout ! Finalement, c’est maintenant qu’on entre dans le vif du sujet ! On a hâte bien sûr de recevoir le public, les scolaires…, voir la réaction des gens. On sait qu’il y a beaucoup d’attentes et de curiosités. Au-delà des collections, j’espère que le public sera surpris de tout ce qui a été fait en termes d’architecture et de médiation. C’est une nouvelle aventure qui commence pour nous tous car les équipes du musée vont devoir s’habituer à un nouvel outil. »

Finalement, un musée est loin d’être une exposition figée ?

« On a cette image de quelque chose de figé et de statique, mais si on veut un musée vivant on est obligé de se renouveler, d’apporter de nouvelles choses et de se remettre en question. Il y aura des rotations fréquentes sur nos collections pour que le public ait toujours de nouvelles pièces à voir. C’est l’intérêt de cette scénographie : avoir une plus grande flexibilité. Il y aura également plusieurs propositions sur les thématiques des parcours et des visites guidées, car il y a tellement de contenus à mettre en avant. »

Le musée prend une nouvelle envergure, pourra-t-il rayonner encore plus loin ?

« Bien sûr, rien que le fait d’avoir ces prêts montrent les rapports de confiance établis avec les autres établissements. Nous espérons aussi attirer les touristes de la région de l’Océanie car nous avons des pièces emblématiques pour le Pacifique. C’est une occasion pour eux de les voir et un argument de plus pour venir à Tahiti. »

À l’occasion de cette nouvelle vie, le musée prend un nouveau nom…

« Oui, nous avons souhaité mettre notre nom tahitien en avant. On reprend l’ancienne appellation, mise en place par l’Académie : Te Fare Iamanaha. La subtilité du « ia » implique une dynamique, une action qui se perpétue pour la conservation des trésors. Nous trouvions important de mettre le nom tahitien avant le nom en français. C’est symbolique mais important. »

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