Plus de bringues… Ou comment perpétuer le ta’iri pa’umotu ?

[singlepic id=88 w=320 h=240 float=left]Rencontre avec Jean Kape, président de l’Académie Pa’umotu et Aroma Salmon, musicien.

En Polynésie, la guitare est un de nos instruments de musique favoris. Nombreux sont ceux qui en jouent, avec des styles plus ou moins différents selon l’apprentissage que l’on a reçu. Et aux Tuamotu, il existe une technique de guitare bien particulière appelée ta’iri pa’umotu… Découverte de cette pratique qui ne ressemble à aucune autre, importante à préserver et à transmettre.

Qu’est-ce que le ta’iri pa’umotu ?
En guitare, ce sont les variations d’accord et de frappe typiques de l’archipel des Tuamotu. Ta’iri signifie littéralement « frapper », mais dans ce contexte, on « frappe » les cordes de guitare.

Quelle est la particularité de cette manière de jouer ?
La façon habituelle de jouer de la guitare est de frotter les cordes avec tous les doigts en même temps. La caractéristique principale du ta’iri pa’umotu est que le pouce fait la basse. Les amateurs de guitare s’accordent à dire qu’il s’agit d’une manière unique de jouer.

Comment cette technique de guitare s’est-elle répandue aux Tuamotu ?
Je crois que le ta’iri pa’umotu a été comme une maladie contagieuse. La guitare est arrivée dans l’archipel en même temps que l’activité économique liée à la récolte nacrière, au début du 20ème siècle, occasionnant alors beaucoup de rassemblements d’un atoll à un autre. Et qui dit rassemblement dit bringue, musique… Les Pa’umotu sont très festifs ! Je pense que c’est ainsi que cette façon de jouer s’est répandue dans l’archipel.

Le ta’iri pa’umotu est-il en perdition aujourd’hui ?
Malheureusement, oui. La tendance actuelle est d’imiter les autres, j’entends par-là les artistes internationaux par exemple. Ce phénomène, que je qualifierais de mode, est bien normal, mais il entraîne nos musiciens vers d’autres horizons, délaissant peu à peu leurs spécificités. Il est bien connu que l’on prête peu d’attention et de valeur à ce que l’on possède déjà, jusqu’au jour où nos particularités commencent à décliner… C’est l’éternelle histoire !

[singlepic id=95 w=320 h=240 float=left]Le concours « Rutu a Pahu – Ta’iri Pa’umotu » est-il d’après toi une bonne solution afin de remettre au goût du jour ce genre de pratique traditionnelle ?
Oui, cette initiative est intéressante. D’autant plus qu’elle a été proposée par Coco Hotahota, qui est extérieur à la communauté pa’umotu. Une volonté que nous prenons comme un signe de reconnaissance. Les organisateurs ont d’ailleurs demandé à notre association Te reo o te Tuamotu d’être le référent culturel de la manifestation, afin de mettre notre savoir-faire au service de ce concours et de ses prochaines éditions. Je souhaite que cette manifestation réunisse le maximum de musiciens, que nous puissions (re)découvrir et (ré)apprécier une manière de jouer complexe et authentique. La guitare a été adoptée par les Pa’umotu qui l’ont faite évoluer à leur manière. Le ta’iri pa’umotu est donc un marqueur de cette communauté. Aussi, les jeunes générations de Polynésie doivent-ils continuer à se l’approprier et à se le transmettre afin que cette tradition puisse continuer de nous différencier.

Aroma Salmon, de Tikahiri
« Le ta’iri pa’umotu ça se vit ! »
Vous connaissez tous le fameux groupe local Tikahiri, vainqueur du concours 9 semaines et 1 jour en 2008, qui nous offre une musique originale et métissée : des accents très rocks sur avec des paroles pa’umotu, sur fond de violoncelle. Aroma Salmon, guitariste et chanteur, ainsi que son frère Mano, ont grandi à Fakarava. « Sur un motu pa’umotu, on est forcément baigné par le rythme du ta’iri pa’umotu ! ». Une technique qu’il a lui-même appris en observant les autres jouer. « Au départ, je ne savais faire de la guitare que de cette manière, si bien que j’ai été surpris la première fois que j’ai vu des musiciens jouer ‘normalement’. » Pour autant, si le groupe Tikahiri chante en langue pa’umotu, il n’utilise pas cette technique de guitare dans ses chansons, « car le ta’iri pa’umotu ne se marie pas avec la musique moderne : c’est fait pour se jouer aux Tuamotu ! Le ta’iri pa’umotu ça se vit ! » Et aujourd’hui, joue-t-on encore de cette manière à Fakarava ? « Oui, je vois toujours les anciens jouer en ta’iri pa’umotu. Mais le problème c’est qu’il y a de moins en moins de jeunes qui restent habiter aux Tuamotu, ils n’apprennent donc pas à jouer comme ça. Et puis ils préfèrent les ipod ! Lorsque l’ancienne génération sera partie, il n’y aura plus personne pour transmettre cette frappe de guitare qui identifie les Pa’umotu ». Aroma a d’ailleurs trouvé la solution ultime pour que le son du ta’iri pa’umotu continue de résonner : « faire plus la bringue ! »
Qu’est-ce que le concours « Rutu a Pahu – Ta’iri Pa’umotu » ?
Coco Hotahota, maître incontesté du ‘ori Tahiti et créateur de l’association Te Maeva, organise les 28 et 29 août, en co-production avec la Maison de la Culture, le premier concours de frappes traditionnelles. L’idée est de mettre plus à l’honneur nos orchestres traditionnels, et surtout leurs spécificités de frappes, notamment celles du pahu – « Rutu a Pahu » – et de la guitare pa’umotu – « Ta’iri Pa’umotu ». Cette sauvegarde passe par la valorisation de notre patrimoine musical. Ainsi, à l’instar du « Hura Tapairu » pour la danse, le concours « Rutu a Pahu – Ta’iri Pa’umotu » propose un nouveau cadre d’expression aux artistes où pahu et guitare seront les vedettes. Des orchestres venant de tous les archipels seront mis en compétition, pour offrir au public des œuvres originales puisées dans notre culture.

Avis aux amateurs !
Les inscriptions sont ouvertes jusqu’au vendredi 14 août.
Chaque groupe sera constitué de 4 à 8 musiciens qui présenteront un morceau original pendant 7 à 10 minutes.
Renseignements et inscriptions : Maison de la Culture / Tél. : 544 544

Photos : Fabien Chin et ICA

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