L’art d’exposer… Mangareva

Rencontre avec Jean-Marc Pambrun, directeur du Musée de Tahiti et des Iles et Tara Hiquily, chargé des collections ethnographiques.

Que vous rêviez d’assister à l’exposition « Mangareva, Panthéon de Polynésie » au musée du Quai Branly à Paris ou que vous ayez eu la chance d’y assister, réjouissez-vous ! Premièrement, les objets « stars » de l’expo seront au Musée de Tahiti et des Îles (MTI) du 21 juin au 24 septembre, lors de l’exposition du même nom. Deuxièmement, et bien, ça ne sera pas tout à fait la même ! En effet, le co-commissaire de cette exposition, Tara Hiquily, également chargé des collections ethnographiques au MTI, a opté pour un parti pris muséographique différent de celui du Quai Branly, afin d’apporter un autre éclairage sur la culture mangarévienne. « Nous avons souhaité accompagner le spectateur jusqu’à sa découverte des tiki, afin qu’il comprenne dans quels contextes historique et culturel ils ont été créés, détruits puis sauvés », confie Tara. Alors suivons le guide…

Le contexte culturel pré-européen

Comment était la culture mangarévienne originelle ?

C’est avec cette question que le visiteur sera accueilli. Avant l’arrivée des missionnaires, les Mangaréviens étaient polythéistes et installés dans l’archipel depuis près de onze siècles. Pêche et agriculture rythmaient leur quotidien, c’est pourquoi l’on pourra admirer pirogues, hameçons et autres éléments ancestraux de leur culture matérielle. La structure sociale, les chefs, la prêtrise, la guerre, le tatouage, la tapa et la mort seront également abordés dans cette première partie de l’exposition, à travers des objets certes, mais aussi par des écrits passionnants. Pour les concepteurs de l’exposition, ce sera l’occasion de rendre hommage aux auteurs de leurs sources d’informations : les missionnaires et voyageurs du 19ème siècle ! « leurs témoignages sont d’une richesse unique. Paradoxalement, grâce aux missionnaires, Mangareva est une des sociétés polynésiennes sur laquelle nous possédons le plus d’informations ! », se réjouit Tara Hiquily. « Je dirais même que Mangareva apporte des éléments de réponse à certains points d’interrogation de la culture polynésienne ancienne. Les frères installés aux Gambier ont retranscrit avec fidélité et finesse une culture qu’ils découvraient et qui était presque vierge de tout contact extérieur. »

Les Gambier ont été (re)découvert le 25 mai 1797 par le navigateur James Wilson, qui assure le transport des missionnaires protestants de la célèbre London Missionary Society (LMS) à Tahiti. Mais il faut attendre 1826 pour que le premier Européen, Frederick Beechey, pose le pied sur Mangareva, chef-lieu d’un archipel préservé par son éloignement. Cet officier anglais découvre alors les Mangaréviens et laissera de nombreux écrits sur cette rencontre. En 1825, la congrégation des Pères des Sacrés Cœurs, dits les « Picpuciens », reçoit un mandat d’aller porter la foi catholique en Océanie. De nombreuses missions ont déjà eu lieu, notamment à Tahiti, mais sans succès. La LMS déferle sur les îles du Pacifique Sud et prend ses positions… Le père Honoré Laval, alors âgé de 26 ans, avec trois autres pères picpuciens, Liausu, Caret et Murphy, partent de Bordeaux le 22 janvier 1834 à destination de l’archipel des Gambier. Expatriés à l’autre bout du monde, vers l’inconnu, les missionnaires tiennent véritablement leur force de leur foi, sincère et fervente. Lorsque les pères débarquent le 7 août 1834 à Akamaru, ils rencontrent un peuple qu’ils décrivent comme étant docile, et, semble-t-il, ne peina pas à accepter leur message. Deux ans plus tard, le 25 août 1836, Maputeoa, roi des Gambier, est baptisé et devient le roi Gregorio.

Le destin des tiki mangéréviens

Dans quel contexte ont été réalisés, détruits puis sauvés les statues des dieux originels de Mangareva ? Quelles ont été les impressions des premiers navigateurs en débarquant sur cette île du bout du monde ? Car si les missionnaires n’ont visiblement pas rencontré trop d’hostilités à leur arrivée, Wilson n’en dit pas autant : « À six heures du matin le lendemain, nous ralliâmes la partie la plus nord du récif où se trouvait un motu. Une cinquantaine d’indigènes armés de lances s’y étaient rassemblés. On voyait des gens occupés à ramasser des pierres sur la plage ; leurs gestes semblaient indiquer qu’ils s’en serviraient contre nous » !

Quant à la première préoccupation des Catholiques dans l’archipel, elle fut d’anéantir la religion originelle de la population, et tous les témoins visibles de celle-ci. C’est ainsi que furent organisés de véritables « bûchers aux idoles ». Frère Gilbert Souillé, dans son journal, raconte : « c’est à Mangareva d’abord que les têtes des divinités, figures humaines assez grossièrement taillées ornant la charpente du temple, avaient été détachées à coups de hache et brûlées. Quelques jours plus tard, les gens d’Aukena et d’Akamaru avaient voulu faire de même après avoir constaté que la disparition de leurs tiki protecteurs ne produisait aucun effet néfaste sur leur vie. (…) Honoré Laval nous raconte que les hommes, les femmes et les enfants couraient comme s’ils eussent été furieux contre leurs idoles (…) et l’exécution s’est terminée par un bûcher. »

Lors du dernier bûcher, le père Caret décide d’envoyer quelques objets à sa congrégation, comme preuve de la réussite de l’évangélisation. Peut-être qu’une petite voix lui soufflait aussi qu’il s’agissait là des derniers témoins d’un monde en train de disparaître…

Les fameux rescapés

Maintenant que vous baignez dans l’histoire singulière de l’archipel, que vous avez revêtu à tour de rôle les tatouages d’un chef mangarévien, le canon d’un navigateur au long cours et la bonne parole d’un missionnaire, vous êtes donc fins prêts pour les admirer, dans leur authenticité et rareté : les objets miraculés de l’évangélisation, derniers témoins matériels et spirituels d’une culture millénaire… Sur les 8 tiki existants, 6 seront présents au MTI*, en provenance des quatre coins du globe, et également 2 effigies de divinité eketea, un support à offrandes (ata ‘akakikokiko) et un tambour (pa’u). Vous allez enfin savoir qui étaient ces objets, dans leur esthétique, leur fonction et leur utilisation, essentielle à la bonne marche de la société mangarévienne d’antan. Généalogie divine et chants et incantations religieux, vous feront pénétrer dans ce monde unique encore trop méconnu. Mais gardons encore un peu de suspens…

Pour aller encore plus loin

Projections vidéos des films sur Mangareva conservés à l’ICA – dont une prestation de danse datant de 1937 -, espace documentaire consacrée à l’histoire de l’archipel, son archéologie, sa botanique, les différentes étapes de la chronologie depuis les origines jusqu’à aujourd’hui, cette exposition aborde Mangareva le plus exhaustivement possible, mais avec toujours le souci de rendre les informations attractives et le parcours agréable pour le visiteur.

L’art de transporter des œuvres d’art…

10 objets en provenance de musées du monde entier ont été envoyés à Tahiti pour l’exposition « Mangareva, Panthéon de Polynésie ». Un convoi aussi exceptionnel que complexe car transporter des œuvres d’art est… tout un art !

Chaque œuvre ou objet d’art est unique et irremplaçable. Volume à transporter, formalités à remplir, sécurité, coûts et délais, rien, dans le transport des œuvres, ne peut être laissé au hasard. Surtout lorsque les objets doivent faire, au bas mot, plus de vingt heures d’avion avant d’arriver à destination ! Le convoi de ces trésors du patrimoine est donc une opération sur mesure qui exige l’engagement et la coordination de plusieurs métiers : emballage, transport, manutention, démarches douanières, sécurisation du fret aérien… C’est Philippe Pelletier, co-commissaire de l’exposition, qui accompagnera les œuvres de Paris à Tahiti. Elles seront ensuite escortées jusqu’au MTI où elles feront l’objet d’un état des lieux très minutieux avant d’être installées dans leur vitrine sécurisée, jusqu’au prochain voyage ! Et qui sait, ce petit aller-retour au fenua leur rappellera peut-être des souvenirs !

Les pea pea de dernière minute où l’art de la logistique…

Pour cette exposition, le MTI a dû faire face à deux refus bien désolants mais totalement indépendants de leur volonté. En effet, le tiki du British Museum et le tiki du Metropolitan de New York (MET) ne viendront pas à Tahiti, faute de l’accord des décideurs de ces deux institutions. « Le MET exigeait que leur objet retourne à New York avant d’être envoyé à Tahiti, ce qui impliquait des coûts bien au-delà de nos possibilités », se désole Tara Hiquily. « Le British Museum quant à lui voulait s’assurer qu’il existait bien en Polynésie française une loi sur l’insaisissabilité des œuvres, afin d’être certains que le tiki ne puisse être retenu à Tahiti au nom d’une revendication identitaire. Après des mois de travail juridique, nous avons pu leur prouver que nous étions sous le coup de la loi française dans ce domaine. Mais au dernier moment, ils ont quand même refusé de nous prêter leur objet ! » Voilà qui est bien dommage, mais qui ne suffira pas à altérer la qualité de cette exposition exceptionnelle.

L’exposition « Mangareva » : Où et quand ?

  • Musée de Tahiti et des Iles – Te Fare Manaha
  • Du 21 juin au 24 septembre
  • Du mardi au samedi, de 9h30 à 17h30
  • Entrée : 600 Fcfp / gratuit pour les moins de 18 ans et les scolaires
  • Renseignements au 54 84 35
  • Journée d’ouverture exceptionnelle dimanche 21 juin
  • Dans les jardins Musée de Tahiti et des Iles – Te Fare Manaha
  • À partir de 16h00, une délégation de Mangareva fera spécialement le déplacement pour l’occasion et proposera un spectacle de chant et danse mangaréviennes, pe’i.
  • Spectacle gratuit

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