Hiro’a n°181 – Trésor de Polynésie

– Musée de Tahiti et des îles (MTI) – Fare Manaha

Rencontre avec Tamara Maric, conservatrice au Musée de Tahiti et des îles, et Anaïs Gailhbaud, restauratrice du patrimoine, spécialisée en sculpture. Texte et photos : Pauline Stasi

Deux ti’i du Musée de Tahiti et des îles sécurisés et restaurés

Pendant une semaine, au début du mois d’octobre, une restauratrice du patrimoine spécialisée en sculpture, Anaïs Gailhbaud, est venue de métropole pour restaurer deux grands ti’i originaires de l’île de Ravaivae aux Australes. Une fois « remis d’aplomb », ils prendront place dans la nouvelle salle d’exposition du Musée de Tahiti et des îles, dont l’ouverture devrait avoir lieu prochainement.

Le geste est minutieux et précis. Avec son petit scalpel, Anaïs Gailhbaud gratte doucement le dos d’un ti’i en tuf. « On voit des petites traces de peinture et de ciment sur son corps, j’essaye de les lui enlever », explique-t-elle, concentrée. Restauratrice du patrimoine, cette spécialiste des sculptures en bois et en pierre est venue en Polynésie française pour une semaine, à la demande du Musée de Tahiti et des Îles, dans le cadre du programme de restauration des objets de ses collections. « Il y a toujours eu des opérations de restauration des collections, mais avec l’ouverture de la nouvelle salle d’exposition du Musée prévue prochainement, le programme est devenu annuel depuis 2018 (…). Entre les œuvres qui n’ont jamais été restaurées, celles qui l’ont été il y a très longtemps et avec d’anciennes méthodes et les restaurations préventives, il y a beaucoup à faire », note Tamara Maric, conservatrice au sein de l’établissement.

Pour restaurer ces pièces issues de ses collections, datées de différentes époques et réalisées en différents matériaux, le Musée missionne des experts très pointus en leur domaine. Ainsi en 2020, Delphine Elie-Lefebvre, spécialiste du bois, et Camille Alembik, spécialiste des fibres végétales, avaient été sollicitées pour la restauration de treize objets de la collection ethnographique, dont la baleinière des Tuamotu. Revenues pendant deux semaines en juillet-août 2022,elles se sont de nouveau attelées à neuf œuvres en bois, dont une enclume à tapa de Rurutu, une pirogue ayant appartenu aux Pomare, deux grands tambours – l’un marquisien, l’autre des Gambier. Les restauratrices ont également réalisé des constats d’état de plusieurs dizaines d’objets qui seront exposés dans la future salle du Musée et qui nécessitaient une restauration préalable. Parmi eux, deux ti’i de Ra’ivavae. Avant de pouvoir trouver leur place dans la future salle, une opération de restauration et de sécurisation, notamment pour les transporter, s’imposait. Entrés avant les années 1930 dans les collections de l’ancien musée de Pape’ete, alors géré par la Société des Études Océaniennes, ils portent les stigmates du temps et de l’histoire. Les deux ti’i ont la tête séparée du corps et l’un des deux avait les jambes brisées au niveau des genoux. « Ils ont probablement été trouvés à Ra’ivavae en l’état », précise la conservatrice.

« Garder la matière d’origine »

Durant sa mission en juillet dernier, Delphine Elie-Lefebvre a donc pris des photographies et des mesures des deux ti’i et transmis toutes ces informations à Anaïs Gailhbaud. Cette dernière collabore notamment régulièrement avec les musées du Louvre, du quai Branly- Jacques Chirac à Paris ou encore le Mucem à Marseille… En métropole, elle a étudié avec attention les données reçues. « Ces informations m’ont permis d’apporter les tiges adaptées aux ti’i, les bons adhésifs, que l’on ne trouve pas à Tahiti », précise-t-elle.

Arrivée au fenua début octobre, Anaïs Gailhbaud a observé les objets, leur conservation, les cassures, la nature de la pierre, du tuf volcanique très friable, afin de réaliser un constat d’état et ainsi établir un diagnostic. « Ces ti’i représentent deux femmes. On voit qu’elles ont déjà fait l’objet d’une restauration il y a longtemps, notamment au niveau de leurs têtes avec des tiges métalliques en métal ferreux pour qu’elles tiennent. Elles n’étaient pas forcément bien ajustées dans l’axe et il n’y avait plus vraiment d’adhérence. Cela peut provoquer des dangers lors du transport ou de l’exposition des ti’i. Il fallait donc intervenir », note l’experte.

Si ces deux statues nécessitent des soins, l’idée n’est surtout pas de leur redonner un aspect « neuf ». « Le but est de garder la matière d’origine. Comme ce sont des objets archéologiques, on est vraiment dans une démarche purement de conservation et d’amélioration de la présentation, avec un minimum de réintégration. Ces cassures font partie de leur passé, ils ne faut pas les effacer », insiste-t-elle.

Dans cet état d’esprit, Anaïs Gailhbaud s’est alors mise à la tâche. Pas toujours facile quand les ti’i pèsent plusieurs centaines de kilos. « C’est assez complexe, car il faut lever les parties avec une machine, cela demande toute une logistique pour travailler », confie-t-elle.

Colles spéciales, infiltrations pour les fentes avec un adhésif de restauration stable qui ne va pas jaunir dans le temps, ou encore nettoyage au scalpel des traces de ciment ou de peinture, l’experte restaure et sécurise les statues, insistant sur le fait que les travaux des restaurateurs doivent toujours être réversibles dans le temps. À l’issue de son travail, la spécialiste rédige pour les archives du Musée un rapport de conservation-restauration listant tous les produits et actions réalisées. Elle préconise également les manipulations pour le transport ainsi que le positionnement des ti’i sur les socles afin qu’ils puissent de nouveau dévoiler leurs mystères au public.  

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