Hiro’a n°157 – Le saviez-vous ? Va’a, plus de mille ans de navigation

Le saviez-vous ?

Service du patrimoine archivistique et audiovisuel (SPAA) – Te Piha faufa’a tupuna

 

Texte : Alexandra Sigaudo-Fourny à partir de Va’a – La pirogue polynésienne, ouvrage collectif sous la direction de Tara Hiquily, Au vent des îles et Musée de Tahiti et des îles ; L’histoire du Sport à Tahiti Tome 2, Patrick Pons ;  Conférence Savoir pour tous « Une brève histoire du va’a » de Christian Laget ; Archives Les Nouvelles et Le Messager. Avec l’aimable autorisation de Fare Rata.

 

Va’a, plus de mille ans de navigation

Chaque année en novembre, passionnés et simples curieux vibrent pendant trois jours pour la mythique compétition internationale Hawaiki Nui Va’a aux îles Sous-le-Vent. Le plus grand événement sportif de la Polynésie française n’aura malheureusement pas lieu cette année en raison de la crise sanitaire, mais il sera remplacé par la Hawaiki Nui Va’a solo, une course en V1 entre Tahiti et Moorea. Preuve que la pirogue polynésienne, en toutes circonstances, parvient à nous transporter physiquement et émotionnellement.

Il suffit de scruter l’horizon pour voir apparaître sur l’eau, sur n’importe laquelle des iles de la Polynésie française, ces embarcations étirées, tels des troncs d’arbre effilés. Simple pêcheur, sportif ou amoureux de la navigation, tous ont choisi ce mode de transport unique. Le va’a, la pirogue polynésienne, accompagne depuis plus de mille ans les Polynésiens, que ce soit dans leur conquête du Grand Océan Pacifique ou dans leurs activités quotidiennes. Si les pirogues croisées sur les courses sportives ne ressemblent plus à celles d’autrefois notamment dans le choix des matériaux, le concept demeure identique : des bateaux fins, bas, rapides et stables grâce à un balancier. Ces navires à marche monodrome conçus pour se déplacer dans un seul sens étaient autrefois dotés d’une voile latine triangulaire en feuille de pandanus tressées attachée au mât. Pour le reste, c’est le talent du navigateur polynésien et ses connaissances notamment en astronomie et en météorologie qui ont fait entrer la pirogue polynésienne dans l’histoire.

 

S’il existait une pirogue pour chaque utilisation, de la pirogue de pêche à celle dédiée autrefois à la guerre, difficile de dire « si les courses de pirogues codifiées telles que nous les connaissons actuellement » tenaient une place dans la société polynésienne, peut-on lire dans l’ouvrage collectif dirigé par Tara Hiquily, Va’a, la pirogue polynésienne. Les Européens observent toutefois que lors des grandes occasions, les pirogues de guerre et d’apparat se livraient à d’audacieuses manœuvres. En 1820, le missionnaire W. Ellis précise : « En ces occasions, les équipages qui manœuvraient les pirogues, désireux d’obtenir les applaudissements du roi et des chefs, entraient en émulation les uns contre les autres pour montrer leur art et leur science de la navigation. »

Hawai’i et Polynésie française, terres des courses

Dans le cadre d’une exposition et d’une conférence « Savoir pour tous » dispensées à l’université de la Polynésie française en 2019 par un passionné de pirogue polynésienne, Christian Laget, on apprend ainsi que les véritables courses trouvent leurs origines un peu plus tard à Hawai’i et à Tahiti. Dès 1875, le roi Kalakaua rétablit à Hawai’i les courses traditionnelles de va’a après l’évangélisation de l’archipel, au même titre que les compétitions de surf.

En Polynésie française, la course de pirogue s’intègre, dès la signature du Protectorat en 1841, dans une volonté de l’autorité coloniale d’associer les traditions polynésiennes aux festivités officielles et nationales. En 1859, la publication officielle de l’administration, Le Messager, relate une course de pirogues à laquelle assistent la reine Pomare IV et le commissaire impérial. On peut lire dans le journal que celles-ci mesuraient « de 16 à 30 mètres long et montées par 28 à 52 hommes », tous revêtus de leurs costumes traditionnels et filant à 10 nœuds. Ces pirogues construites pour l’occasion avaient été offertes à la reine Pomare à l’issue de la course.

Il faudra attendre 1933 à Hawai’i, pour voir la première course de V6 moderne et dix-sept ans de plus pour la création d’une fédération.  En 1952, la célèbre course Moloka’i Hoe, une course en haute mer de 82 km, voit le jour. C’est à peu près à cette même période que des compétitions sont organisées à Tahiti dans un cadre totalement sportif et non à travers des festivités officielles par des rameurs de la presqu’île, considérés comme les meilleurs de l’île à cette époque. Cette initiative rencontre un tel succès que d’autres communes se lancent dans la course et le design des embarcations évolue. Au début des années 1960, on compte sept clubs de pirogues peut-on lire dans, L’histoire du sport à Tahiti – tome 2 écrit par Patrick Pons.

La réputation des rameurs tahitiens

C’est presque par hasard qu’en 1975, des rameurs entendent parler de la Moloka’i Hoe et décident d’y participer. Voici ce que relate Patrick Pons dans son ouvrage : « Au mois de mai 1975, Alban Ellacott présente à la Maison de la culture, un film sur la pêche sportive à Kona (Hawaii). Hélas, une interversion de bobines faite par l’expéditeur propose ce soir-là un documentaire sur la course de pirogues Molokai […] À Tahiti, ce type d’épreuve n’a jamais été organisée. Alors un défi est lancé. Ce que font les Hawaiiens, les Tahitiens peuvent le faire. »

Dès sa première participation, l’équipe Tautira monte sur la deuxième marche du podium. En 1976, sept équipes locales se classent parmi les neuf premiers (sur 35 participants) avec la victoire de la jeune équipe Te Oro Paa (Tautira prend la seconde place). Cet événement exceptionnel va faire la réputation des rameurs polynésiens sur le plan international comme le souligne le journal Les Nouvelles qui parle alors de « suprématie ».

Fort de ces victoires à l’extérieur, le monde du va’a tahitien va se structurer. En 1980, les premiers championnats de Polynésie sont organisés. En 1990, la fédération tahitienne de va’a voit le jour avec, deux ans plus tard, la création de la course Hawaiki Nui Va’a. Devenu sport national en Polynésie française, le va’a tahitien a su s’imposer face au modèle hawaïen au niveau international. Aujourd’hui encore, c’est une belle carte de visite pour la Polynésie française partout dans le monde.

 

Pratique

Pour en savoir plus sur le va’a et ses courses :

Va’a, la pirogue polynésienne. Ouvrage collectif. Sous la direction de Tara Hiquily Editions Au Vent des Îles et Musée de Tahiti et des Îles. 2008.

L’histoire du Sport à Tahiti Tome 2, Patrick Pons, à compte d’auteur.

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