N°114 – Quand la Polynésie célébrait le bicentenaire de l’Arrivée de l’Evangile

Service du Patrimoine Archivistique et Audiovisuel – Te piha faufa’a tupunaduff - gravure extraite de l'Encyclopedie de la Polynésie Française

Rencontre avec Tamatoa Pomare Pommier, Chef du Service du Patrimoine Archivistique et Audiovisuel et Rereata Scholermann, responsable du Bureau de la Valorisation du Patrimoine.

 

05 mars 1797 – 05 mars 1997 : il y a 20 ans, Tahiti fêtait en grandes pompes le bicentenaire de l’Arrivée de l’Evangile en baie de Matavai, à Mahina. Rappel historique de cette date et plongée dans les archives de ce jubilé qui appartient aux grands moments populaires de notre histoire.

 

Les premiers navigateurs arrivés à Tahiti rédigèrent de nombreux récits de voyages, décrivant les îles comme « un paradis pour les libertins (…) une terre promise où la nourriture est abondante, le travail inutile, les femmes belles et faciles (…) »*. Cette description de la vie et des rites de la société tahitienne est alors perçue comme très peu recommandable aux yeux d’une Europe chrétienne. Alors que deux missionnaires franciscains espagnols, Geronimo Clota et Francisco Gonzales, avaient fait une tentative d’évangélisation menant à un « cuisant échec en 1774 », 21 ans plus tard, en septembre 1795, le pasteur Thomas Haweis créait la London Missionnary Society, dans le but d’évangéliser la société tahitienne, puis envoyait une trentaine de missionnaires à Tahiti le 24 septembre 1796.

 

Le 05 mars 1797, le navire anglais le « Duff », avec à son bord les missionnaires protestants de la London Missionary Society (LMS), arrive dans la baie de Matavai. La christianisation de la société tahitienne est alors lancée par ces missionnaires protestants, mais 10 ans plus tard, aucune conversion n’est observée auprès des Tahitiens. Cette première tentative d’évangélisation de la Polynésie menée par les prédicateurs anglais sera ensuite suivie par de nombreuses missions de christianisation par des religieux catholiques. Ne s’avouant pas vaincu, et alors que bon nombre de missionnaires rentrent à Londres, le pasteur Henry Nott reste à Tahiti où, en 1808, il s’exile à Moorea avec le roi Pomare auprès de qui il choisit de rester et de qui il obtient la renonciation aux pratiques religieuses traditionnelles. L’évangélisation commence alors en 1811. En 1813, le temple et la station missionnaire de Papetoai, à Moorea, sont construits et deviennent la base principale de stationnement des évangélistes. Les premières conversions massives apparaissent en 1815, après la victoire de Pomare II sur les chefs de Tahiti, religieux traditionnels. « C’est en cette même année (1815), que le grand prêtre de Papetoai, Pati’isi (Pati’i), se convertit et brûle l’image d’Oro : c’est la première d’une longue série de destructions d’idoles par le feu* ».

 

« Il était une foi »**

 

Le 1er février 1978, l’Assemblée de la Polynésie française décide que le 05 mars de chaque année deviendra un jour férié en Polynésie française. Un jour de commémoration, de fête religieuse pour les protestants, autour de diverses manifestations avec des processions, des prières et des chants. Il y a 20 ans, les 200 ans de cette date clé furent célébrés durant plusieurs jours. Le 4 mars 1997, on pouvait ainsi assister à la pointe Vénus à une « reconstitution historique » réunissant 2 000 danseurs, chanteurs et musiciens, exécutant pour l’occasion chorégraphies de ‘ori tahiti et himene réinterprétant la rencontre des Polynésiens et des missionnaires en ce jour « sacré ». « Un témoignage fort, très fort même de la reconnaissance du peuple polynésien à la parole contenue dans l’Evangile », peut-on lire dans « Les Nouvelles de Tahiti » du 6 mars 1997. La foule présente était nombreuse, tout comme les invités : plus de 300 représentants de toutes les églises du Pacifique avaient fait le déplacement. Samoa, Fidji, Papouasie Nouvelle-Guinée, Nouvelle Calédonie, îles Cook, Tonga – et même le roi des Tonga, Tupou IV, étaient de la partie. La nouvelle stèle fut également inaugurée ce jour-là, au pied du phare de la pointe Vénus. Autre temps fort de ce bicentenaire : la grande cérémonie organisée au stade Pater le 5 mars 1997, à laquelle près de 15 000 personnes ont participé ! Chœurs de himene de toutes les communautés, spectacles de danse retraçant l’arrivée de l’Evangile ou évoquant « avec modernité et détermination les problèmes de la société d’aujourd’hui : paka, violence, inceste, alcool » (Les NDT – 6 mars 1997) ; le public a pu assister à des moments intenses de communion et de réflexion. De paix et d’ouverture, aussi. Le Président de l’église protestante de Polynésie de l’époque, Jacques Ihorai, prônait la foi en un dieu « jeune, aimant faire du sport, chanter avec sa guitare ou son ukulele et dansant avec un ui-api au rythme de nos himene » (Les NDT – 6 mars 1997)… Un Dieu à l’image des Polynésiens, autrement dit. Ou peut être est-ce l’inverse ? Et Chantal Spitz, dans ces mêmes colonnes, de se demander : « Dieu est-il culture. La culture s’exprime à travers Dieu. Dieu s’exprime à travers la culture. Peu importe c’est beau c’est grandiose ».

 

 

* Laux Claire, « Rivalités coloniales et rivalités missionnaires en Océanie (1688-1902) », Histoire et missions chrétiennes, 2/2008 (n°6), p. 5-26.

** Titre du quotidien « Les nouvelles de Tahiti » du 6 mars 1997.

 

 

 

Légende :

Christian Durocher, journaliste à la Dépêche de Tahiti à l’époque, se souvient : « En vespa, moto, voiture, chacun quadrille les évènements, rassemblements, manifestations, récupère les discours, prend des notes sur place, réalise des clichés illustrant l’ampleur de cette commémoration à laquelle croyant et non croyant s’associent, conscients de partager un moment historique ».

 

 

 

 

 

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