Fare, la maison polynésienne, d’hier à aujourd’hui – sept 2012

DOSSIER

 

Service de la Culture et du Patrimoine – Pu no te Taere e no te Faufaa Tumu

 

Par Natea Montillier, ethnologue au Service de la Culture et du Patrimoine.

Photos : SCP. Doris Maruoi, Natea Montillier Tetuanui, Joany Hapaitahaa, dessin J-L. Saquet et photos d’archives de l’Encyclopédie de la Polynésie française, dessin de Mäpë.

 

Fare, la maison polynésienne, d’hier à aujourd’hui

 

Ouverture sur la nature, recherche de la fraîcheur, goût pour le bois : le fare traditionnel polynésien a toutes les caractéristiques d’un art de vivre inimitable. Des constructions devenues trop fragiles au regard de la société actuelle, entraînant leur délaissement au profit d’architectures occidentales… Aujourd’hui, le fare traditionnel est l’apanage exotique des hôtels ou des propriétaires soucieux de se réapproprier un « luxe » authentique.

 

Fare signifie en tahitien « habitation, abri ». A la fin du XVIIIe siècle, selon James Cook*, les maisons à Tahiti étaient espacées, aérées. Au début du XIXe, Moerenhout* explique que les Tahitiens aimaient que « l’air circule autour d’eux, ce qui, du reste, les (rendaient) robustes et durs à la fatigue. Ils (supportaient) la grande chaleur et la fraîcheur quelquefois très sensible de la nuit. »

Un fare traditionnel polynésien était construit à partir des matériaux disponibles sur les îles : pierres volcaniques ou de corail pour paver le sol à l’intérieur et très rarement, pour les murs. De la terre, du sable et des herbes longues étaient utilisées pour le sol et des cordes de pürau (bourao) ou de bourre de coco servaient d’attaches pour les murs, les cloisons et le toit. Les cannes de bambou, attachées debout en cloisons permettaient de laisser passer l’air et la lumière, tandis que les cannes fendues, martelées en à-plats tressées selon divers motifs, servaient à réaliser des cloisons plus opaques. Pour la charpente et les pilotis, le bois massif naturel tels que le pürau, le pandanus, ou les arbres fruitiers faisaient de solides constructions. La charpente devait être haute et pentue pour une plus grande résistance du toit au vent et à la pluie. Pour finir, le toit était recouvert de feuilles de pandanus séchées.

Selon les dires de Moerenhout, les Tahitiens ne peuvent supporter l’idée d’être enfermés, un fare pouvait donc être ouvert de toutes parts ou n’avoir qu’un côté ouvert, tandis que l’autre, exposé aux vents, était fermé par des nattes. Le sol, légèrement surélevé, était couvert d’épais matelas de nattes.

La construction se faisait sous les directives d’un spécialiste : tahu’a-fare, qui suivait un rituel avant le début de la construction, gardait le premier morceau de l’arbre abattu pour l’offrir aux dieux. Aujourd’hui, on fait appel à un tämuta-fare, charpentier qui fait les plans et dirige le chantier. A la fin du chantier, un des ouvriers confectionne un bouquet de fleurs fraîches et le suspend au toit pour solliciter la protection des dieux, des esprits et remercier les hommes du travail accompli.

 

Dans et autour du fare

 

Selon Cook, on trouvait autour de la maison des plantes odoriférantes, des cocotiers et des ‘uru. Le mobilier se résumait à des pë’ue (nattes), des paniers et tambours suspendus, un ‘umete (plat en bois ), un turu’a (repose-tête), de la vaisselle en terre importée par les premiers européens que l’on pouvait mettre sur le feu, des statues en bois de 1 mètre de haut aux 4 coins de la maison, un ‘iri (siège en bois), ou un pärahira’a ‘öfa’i (banc de pierre), réservé au chef de la maison. Selon Bougainville, les statues n’étaient pas des idoles mais des oeuvres décorant maisons ou pirogues.

 

Après l’arrivée des Européens

 

Dans les années 1820, les missionnaires – tels que le Révérend John Orsmond – influencèrent l’agencement intérieur et extérieur des maisons, ayant recours aux matériaux de construction et techniques européens. Moerenhout remarque que les demeures deviennent moins gracieuses, moins ornées, moins soignées que jadis. A contrario, il déplore le fait que les Tahitiens aient « contribué à la construction d’édifices (églises, maisons de pasteur) beaucoup trop considérables, trop soignés ».

En effet, les églises et les temples sont immenses et fabriqués en bois nobles (tamanu- Callophyllum inophyllum, ‘uru – Artocarpus altilis). De nos jours, les districts ne se rendant pas compte de la valeur de ce patrimoine ont parfois préféré raser la vieille église en bois ou

Notre-dame, Pape’ete, 1970

corail et en reconstruire une moderne en béton, évitant ainsi un entretien parfois complexe. Heureusement, cela ne concerne pas tous les édifices ! Les cathédrales  Notre-dame de Pape’ete (1875) et St Michel de Rikitea (1839) ont ainsi été sauvegardées et restaurées.

 

La mairie de Pape’ete fut construite sur le modèle de la maison de la reine pömare IV

Vers l’urbanisation

 

L’urbanisation et la modernisation ont progressivement incité la population à délaisser leurs habitats traditionnels.

Vers 1920, l’essor des exploitants de vanille leur permet de s’offrir des maisons de style européen appelées fare vanira, « maison vanille ». Les murs et les cloisons sont en bois rouge importé d’Amérique, le toit en tôles est presque plat, un couloir et une terrasse ornée de balustrades et de baies vitrées à petits carreaux la caractérisent.

Ancienne poste

Dans un tout autre style et après avoir essuyé deux cyclones entre 1982 et 1983, l’administration de Polynésie française a élaboré en 1983 un modèle-type de maison anti-cyclonique, en bois importé, contreplaqué et tôles que la population s’est largement appropriée : le fare MTR**. La pente est suffisamment prononcée – pas autant que celle du fare nï’au mais plus que celle des maisons en dur modernes –  pour mieux résister aux vents violents, tout en étant facile à construire et d’un coût de revient particulièrement bas.

Dans les années 1990, le fare de béton, parpaings et toit de tôles presque plat avec terrasse et balustres en ciment, a connu un effet de mode, transformant l’habitat en serre surchauffée, et ce, pour un coût plus élevé dans les îles qui font acheminer tous les matériaux importés (d’Europe, Asie, Amérique) par goélette depuis Tahiti.

Adapté au climat et se fondant parfaitement dans l’environnement, le fare polynésien traditionnel a pourtant largement disparu. Les causes de cette raréfaction ? Le temps de préparation et le coût des matériaux de construction locaux, mais aussi leur fragilité : un toit en pandanus se change tous les 7 ans  en moyenne, en nï’au  tous les 5 ans, sans compter le risque d’incendie. Certains grands projets architecturaux de la ville de Pape’ete (Assemblée ou Maison de la Culture par exemple) ont réussi le pari de constructions contemporaines rappelant les édifices d’autrefois. Aujourd’hui, seuls les hôtels, quelques pensions et une poignée de privilégiés continuent de construire des fare traditionnels recouverts de feuilles de pandanus.

 

Une réhabilitation est-elle possible ?

 

Habiter en Polynésie française demeure un privilège, même si la société y est aussi dure qu’ailleurs. La douceur du climat, la beauté des paysages et la force de la culture, dans laquelle réside le talent traditionnel des hommes à modeler le territoire, font du ‘äi’a (terre natale) un lieu unique et incomparable. Beaucoup des changements des deux siècles derniers, ceux de la colonisation, de l’implantation du C.E.P.***, des systèmes politiques et économiques ont cassé un équilibre fragile longtemps tenu par les habitants. Aujourd’hui, l’occupation agressive du territoire, les paysages abandonnés, l’environnement souillé par les déchets urbains se rencontrent couramment dans toute la Polynésie. Retrouver la sagesse de nos prédécesseurs, leur logique de préservation de l’environnement et leur façon de faire pour l’adapter aux réalités du 21ème siècle nous permettrait peut-être de retrouver un peu de cet équilibre perdu.

 

Encadré

Descriptif du fare traditionnel

La taille habituelle était de 7,2 x 3,6 mètres. Le toit était posé sur 3 rangées de piliers au centre, hauts de 2,7 mètres, ceux des côtés de 1,20 mètres. Le sol était recouvert d’un épais tapis de nönoha (herbe longue et parfumée). Il n’y avait pas de cloison intérieure, les couples dormaient ensemble, les autres membres de la famille étaient groupés séparément par sexe. Les maisons étaient parfois édifiées sur une terrasse pavée et le plus souvent sur pilotis à 1,2 mètre du sol près des rivières et de la mer pour se garder de l’humidité.

 

ENCADRE

Des fare distincts pour chaque utilisation

Les maisons polynésiennes d’autrefois portaient différents noms selon leur forme, leur composition, leur usage et leur grandeur. Voici un aperçu non exhaustif qui en dit tout de même long sur la variété des constructions que l’on pouvait avoir !

Färau : hangar à pirogues-doubles, pour les construire, les réparer, les entreposer

Fare : maison

Fare ‘aito : maison des guerriers

Fare ari’i : maison royale, parfois appelée ao-ra’i (nuages célestes), terme poétique

Fare arioi : maison de réjouissance, dédiée aux arioi ; elle pouvait mesurer 54m de large sur 90m de long

Fare haupape : maison carrée ou rectangle avec terrasse

Fare ia manaha : maison devant laquelle un homme avait été sacrifié et placé sous le poteau central de la maison sacrée située devant le marae. Habitée en permanence, elle servait aux gardiens. On y fabriquait et on y gardait les to’o, les ustensiles sacrés.

Fare mänihini : maison des hôtes

Fare marae : maison où l’on gardait les ornements funéraires

Fare menemene : maison ronde, comme une ruche

Fare nö te va’a : une hutte transportable en nï’au fixée sur une petite pirogue et qui permettait aux ari’i de se déplacer facilement par l’intérieur du lagon

Fare pöte’e : maison oblongue, jugée la plus esthétique par sa forme allongée et ses bouts ovales

Fare putuputu : maison de rassemblement. Selon Cook, on comptait environ 3 maisons du peuple par district

Fare tüpapa’u : maison d’exposition du mort voué à être embaumé

Fare-‘aira’a-upu : école de l’élite située sur une terre sacrée, pour former les ari’i, les prêtres, les guerriers

Fare-‘ihi : maison de sagesse où se regroupaient l’élite, les tahu’a, les personnes de savoir

Fare-atua : maison de dieu. Selon Cook : « (le fare atua) était posé sur une dalle polie dans un coin du fare ia manaha, dans le marae ou hors du marae. On pouvait y suspendre des crânes souvent fendus et la mâchoire, prise à vif sur la victime. »

Fare-hau : maison du chef, du gouvernement

Farehua : maison des faibles à l’intérieur des terres, où se retiraient, en temps de guerre, les vieillards, infirmes, femmes, emportant les animaux avec eux.

Faremähora : maison de la plaine, de rassemblement

Fare-mëi’a : maison de bananes, campement dans la montagne

Fare-noa : maison ordinaire pour les proches de la femme ari’i, après son accouchement

Fare-nui-ätea : maison du peuple pouvant accueillir jusqu’à 300 personnes, telle qu’en virent Cook et Banks à Taiarapu à la fin du XVIIIe siècle

Fare-rau-maire : maison de fougère maire, pour accoucher

Fare-tai : maison du bord de mer

Fare-tara-to’a : maison de toute sagesse où l’on échange les connaissances, où l’on apprend prières et invocations, entre autres pendant la cérémonie de pa’i-atua.

Fare tüpapa’u : planche abritée d’un toit sur lequel on laisse le cadavre dessécher avant l’embaumement si c’est un chef

Fare-va’a-ä-te-atua : maison des pirogues pour les dieux, la charpente ressemble à une pirogue dont la quille est le faîte de la maison.

Pa’epa’e : terrasse, plancher

Päpa’i : cloisons

Piha : chambre, pièce

 

Petit encadré

Références bibliographiques :

Gleizal, Christian, Encyclopédie de la Polynésie française, Tahiti, éd. Multipress 1986, rééd. 1987-1989.

Poèmes de Turo Ra’apoto, Louise Peltzer (Rui ä Mäpuhi)

Cook, James, (Journal du 1er voyage) Captain Cook’s journal during his 1st voyage round the world, made in H.M.Bark Endeavour, 1768-1771. A literal transcription of the original mss, with notes and introduction edited by captain W.J.L.Wharton, London, Elliot Stock, 1893, rééd. Australiana facsimile editions n°188, Adelaide, Libraries board of south Australia, 1968.

Moerenhout,  J.-A, Voyage aux îles du grand océan, Paris 1835, reproduction de l’édition Princeps de M. DCCC. XXXVII par la librairie d’Amérique et d’Orient Adrien Maisonneuve 11 rue Saint sulpice – Paris VIe – Joseph floch, maître imprimeur à Mayenne, 10-1-1959.

Henry, Teuira, Tahiti aux temps anciens (1848), (version anglaise Ancient Tahiti éd. Honolulu – Hawai’i, 1928), version française de Bertrand Jaunez, Publication de la Société des océanistes n°1, Musée de l’homme, Paris 1962, rééd. 1997.

Bougainville, Louis-Antoine, Voyage autour du monde, suivi du supplément de Diderot, présentation par Michel Hérubel, Paris, 1771, Club des libraires de France, Paris 1958, rééd.1965, imprimerie Bussière, Saint-Amand (Cher)

 

 

* James Cook (1728-1779) : navigateur et explorateur britannique, il a débarqué à Tahiti en 1769.

Jacques-Antoine Moerenhout (1797-1879) : ethnologue, consul général des Etats-Unis aux îles océaniennes de 1835 à 1837, Consul de France à Tahiti de 1839 à 1844

**MTR : Mission territoriale de la reconstruction

*** Centre d’Expérimentation du Pacifique

 

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