« La culture est ce qui est le moins financé en Océanie »

Elise Huffer, Conseillère en développement humain aux affaires culturelles de la Communauté du Pacifique Sud (CPS), était de passage à Tahiti pour le FIFO, où elle faisait partie du jury. L’occasion pour nous de lui demander un petit bilan de la santé culturelle océanienne. Interview.

Peut-on parler d’« une » culture du Pacifique ?

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Oui et non. Il y a une telle diversité dans cette région, tant au niveau des traditions, des environnements que des langues qui y sont parlées. En revanche, il est vrai qu’il y a des points communs entre de nombreux pays du Pacifique : des valeurs, des pratiques, des conceptions du monde. Par exemple, l’approche qui concerne la protection des savoirs traditionnels préoccupe tous les peuples océaniens et se retrouve dans toute la région : le protocole vis-à-vis de ce que l’on a le droit ou non de dire, le fait qu’ils n’appartiennent pas à tout le monde, etc. D’ailleurs, la CPS a élaboré une loi type sur  la préservation de ces savoirs élargie à tout le Pacifique, adoptée par l’ensemble des ministères de la Culture des 22 pays et territoires membres en 2002 (voir www.cps.int/fr).

Selon ton expérience, quelles sont les régions les plus préservées en terme de culture ?

Je n’emploierais pas le mot « préservation », car par définition, la culture bouge. Si, par « préservation », on entend les lieux les moins influencés par la culture occidentale, je citerais le Vanuatu, la Papouasie, les Salomon, où une forte population rurale subsiste.  Ceci dit, même dans ces pays, les communautés n’ont pas toujours les moyens de faire de la préservation. Je pense par exemple à un projet qui nous a été soumis à la CPS, concernant les maisons traditionnelles à ossements aux Salomon : la population s’est considérablement accrue à certains endroits et par conséquent, elle n’a plus toujours accès aux palmiers adéquats pour fabriquer les toits de ces maisons, les obligeant à les délaisser malgré leur importance cérémonielle. Donc, quelque part, les îles Salomon sont « préservées », mais dans quel sens ? Qui décide de préserver quoi ? Il est sûr que certains pays, Rarotonga par exemple, où les habitants possèdent des passeports néo-zélandais, ont plus d’influences et d’échanges avec l’extérieur que d’autres. Mais ils ont aussi plus de moyens pour faire de la préservation.

Et les plus en péril ?

Les lieux où les traditions et les constructions vont disparaître sans rien pouvoir faire… Le changement climatique qui guette certaines îles est inquiétant (Tuvalu par exemple). Ce sont des villages et des modes de vie tout en entier qui vont devoir être déplacés. Qu’est-ce que la culture de ces îles bientôt submergées va devenir ? D’un autre côté, il faut se souvenir que les peuples du Pacifique ont toujours bougé, notamment en raison de catastrophes naturelles et ont partout réinventé leur culture pour s’adapter à de nouvelles conditions. Mais je crois que, davantage que les lieux, ce sont les langues les plus en péril. Quand on perd une langue, on perd du même coup les valeurs, les conceptions du monde et la culture qui vont avec. Elles doivent être enseignées à l’école, mais malheureusement, ce n’est pas souvent le cas. Certaines sociétés ne prennent pas suffisamment en compte l’importance des cultures locales, créant des situations très graves, avec des jeunes qui n’ont ni vraiment accès à la culture occidentale, pourtant enseignée, ni à leur propre culture. Il faut faire un grand travail pour les sauvegarder, les transmettre et les faire vivre. Particulièrement dans les écoles, puisque c’est là que les jeunes passent le plus de temps.

Globalement, comment se porte le patrimoine culturel océanien en 2010 ?

Bien, là où les gens pratiquent leur culture au quotidien. Mais pour l’instant, nous sommes encore très mal organisés dans la région : la culture est ce qui est le moins financé. L’argent ne fait pas tout, mais sans lui, on ne peut pas préserver et valoriser la culture.

Donc il manque de l’argent à la culture pour rayonner davantage ?

Et bien, oui, l’argent est indispensable. Dans les pays où la culture est soutenue, elle vit car les gens la pratiquent. Bien qu’en Océanie la culture ne soit pas « consommée », comme dans les pays occidentaux, mais vécue, cela ne suffit pas à son épanouissement. On en est encore au stade où l’on doit prouver que la culture est un moteur de développement économique et social… Les indicateurs culturels occidentaux ne veulent pas dire grand chose : on ne calcule pas l’impact de la culture en fonction du nombre d’entrées au cinéma ou au théâtre, du nombre de livres vendus. Les retombées culturelles n’étant pas mesurées en Océanie, elles sont invisibles aux yeux des décideurs financiers. Si bien qu’on ne s’en occupe pratiquement pas dans de nombreux pays.

Pourquoi la culture semble taboue, presque intouchable en Océanie ?

La culture a toujours été vécue, elle appartient aux gens. Les gouvernements ont peur d’y toucher, de la dénaturer. Or, ce n’est pas parce que l’on promeut la culture qu’on la transforme en simple outil de consommation. À la population de leur donner des idées et des outils, sans nuire aux communautés et à leur représentation de la culture. Les relations communautés – gouvernements sont particulièrement délicates dans certaines régions de l’Océanie car traditionnellement il n’y a pas cette séparation : les habitants des villages faisaient tout ensemble. Aux Samoa, par exemple, les villages restent très puissants par rapport au gouvernement central.

Ton sentiment sur la culture polynésienne en 2010 ?

Je me réfère au compte-rendu des Etats généraux. La Polynésie est dynamique en terme d’expression culturelle, mais la question est : comment veut-on être dans 10 ans ? Comment intégrer le mode de vie contemporain ? Il faut répondre à ces enjeux dès maintenant par le biais d’une politique culturelle. A la CPS, nous avons un exercice qui s’appelle la stratégie conjointe, menée en collaboration avec les pays membres. Dns le domaine culturel, il s’agit d’accompagner une stratégie culturelle avec la Polynésie sur 4 ou 5 ans.

ENCADRE

Le Secrétariat de la Communauté du Pacifique (CPS) : qu’est-ce que c’est ?

Organisation internationale fondée en 1947, la CPS mène, en partenariat avec ses États et territoires membres, d’autres organisations et des bailleurs de fonds, des actions prioritaires en faveur du développement technique de ses membres. La CPS œuvre dans un large éventail de secteurs dont l’exploitation des ressources naturelles (agriculture et pêche, par exemple) et des programmes socioéconomiques (culture, santé, statistique, condition féminine et jeunesse). La mission du Secrétariat consiste à aider les Océaniens à prendre et à mettre en œuvre des décisions en connaissance de cause au sujet de leur avenir.

Pour connaître les états et territoires membres de la CPS : http://www.spc.int/corp/

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