Hiro’a n°188 – Un visage, des savoirs

Service de l’artisanat traditionnel (ART) – Pu ohipa rima ΄i

L’excellence selon Temanus, artisan horloger de Mahina

Rencontre avec Emmanuel Faaitoa, artisan horloger.

Texte : Cl Augereau – Photos : Temanus

Mi-Suisse mi-Tahitien, Emmanuel Faaitoa a puisé dans ses racines pour proposer un concept unique : une montre polynésienne qui offre à la fois le meilleur du savoir-faire du pays de l’horlogerie et la beauté de la nacre conjuguée à la finesse de la gravure polynésienne. Lauréat de l’événement « Fabriqué en France 2023 », il vient d’exposer l’une de ses créations les plus étonnantes dans les salons de Matignon, un joli succès bien mérité pour cet artisan qui persévère depuis une quinzaine d’années.

Fouler le tapis rouge du palais de l’Élysée, faire un selfie avec Emmanuel Macron et sa femme Brigitte, entendre son nom cité dans le discours présidentiel de présentation de la troisième édition de la grande exposition du Fabriqué en France 2023 qui s’est déroulée début juillet et surtout, avoir la chance d’exposer l’une de ses créations à côté de celles d’autres artisans, comme lui, âprement sélectionnés… Cela a été beaucoup d’émotions pour notre artisan horloger qui, depuis l’âge de 16 ans, dessine des montres avec de la nacre et de la perle. Il faut dire qu’Emmanuel Faaitoa a grandi en Suisse aux côtés de sa maman. Et comme chacun le sait, la Suisse est le pays de l’horlogerie par excellence. Alors, à 18 ans, lorsque, son diplôme d’électromécanique en poche, Emmanuel décroche son premier emploi, c’est bien entendu dans l’univers de l’horlogerie.

Il est embauché au sein du groupe ETA SA, qui conçoit des mouvements pour plusieurs prestigieuses maisons internationales d’horlogerie. « Mon travail consistait à fabriquer des verres de glace en saphir pour les montres. En parallèle, je prenais des cours pour apprendre les bases de l’horlogerie. » Pendant dix-sept ans, il se consacre à ce monde qui le passionne. Mais dans sa tête, il garde aussi son autre “spécificité”, ses racines polynésiennes. Depuis tout jeune, pour retrouver son père et ses grands-parents à chaque grandes vacances, il s’envole direction Tahiti où il découvre deux trésors du fenua : la perle et la nacre.

Le début d’une aventure artistique

Lorsque son père décède et lui laisse en héritage son fare à Mahina, il n’hésite pas et prend la décision de tout quitter pour venir vivre en Polynésie. « Je savais que mon chemin était ici. J’ai tout laissé, un travail, un bon salaire et j’ai entrainé avec moi ma compagne suisse qui ne connaissait pas Tahiti. Nous partions à l’aventure, sans savoir ce qu’elle serait… » Toutefois, avant de s’exiler, Emmanuel a un projet qui lui tient à cœur : créer une montre polynésienne qui sera le fruit de son histoire, celle d’un Suisse-Tahitien qui a eu l’idée de mettre en relation les richesses de ses deux pays d’origine. Il dépose un brevet et le nom de sa marque, Temanus, à l’Inpi (Institut national de la propriété industrielle). « J’ai appelé ma marque Temanus parce que ma femme s’appelle Emmanuelle aussi et qu’on nous appelait “les Manu”. J’ai voulu donner un côté polynésien en rajoutant le “Te” et puis, j’ai ajouté le “s” du pluriel à la fin. » Il lui faudra encore attendre un an la confirmation de l’Inpi, validant qu’il est bien le seul à créer des montres en nacre et en perle. Emmanuel a alors 40 ans et un seul leitmotiv en tête : se lancer dans ce nouveau projet exaltant.

Des partenaires à chaque coin du globe

Afin de concrétiser sa montre polynésienne, il déniche deux partenaires, un Suisse et un Français, tous les deux enthousiasmés par son concept. Pour les perles, il s’approvisionne localement et pour les nacres, il s’octroie les services d’un artisan d’art bien connu de la place, Gee Mee Lee. « Au début, j’ai eu du mal à trouver des interlocuteurs locaux, mais j’ai persévéré et Gee Mee Lee a vraiment été intéressé par le challenge que ce projet représentait. Il faut savoir que la nacre dans une montre, ce n’est pas qu’une histoire de gravure, c’est aussi une très grande précision. Il ne faut pas que le bracelet soit trop lourd par rapport au mécanisme, c’est vraiment très délicat comme travail. »

Une dizaine de modèles

« J’ai commencé avec un modèle unique. Aujourd’hui, j’en ai une dizaine pour hommes et pour femmes. Dans la montre, c’est le travail de la nacre et de la perle qui est intéressant. En fait, il faut voir ces objets comme le prolongement d’un tatouage, doté d’une histoire. On peut tout à fait les personnaliser, graver une tête de tiki ou une croix marquisienne, ajouter des initiales… C’est une œuvre vraiment unique et personnalisable. » Après avoir fait de nombreux salons à  Tahiti et en Europe, Emmanuel expose désormais ses créations (montres, mais aussi horloges en nacre, sur unu ou même sur des surfs) à la boutique d’artisanat Moemoea and Co, située en centre-ville. « Je suis encore un tout petit producteur, mais j’arrive à vendre quelques modèles à l’étranger, notamment aux États-Unis, en Nouvelle-Zélande et, bien sûr, en Suisse. »

« La plus belle montre de France »

Lorsque, en mars dernier, il découvre que le concours pour la troisième édition de la grande exposition du Fabriqué en France, initiée par le président de la République française, est relayé sur Tahiti par le Service de l’artisanat traditionnel, il décide d’y participer. Après une première sélection menée à Tahiti par un comité composé d’un représentant du Haut-commissariat, de la CCISM, de l’Agence de développement économique (ADE) et le Service de l’artisanat traditionnel, c’est à Paris que le choix du représentant se fait. Quelques mois plus tard, un courrier de l’Élysée lui apprend qu’il fait partie des heureux lauréats. « Sur 2 458 dossiers déposés au total, 124 ont été retenus dont le mien ! » Fin juin, Emmanuel s’envole donc pour Paris : le soir même de son arrivée est prévu le vernissage de l’événement. Dans ses bagages, la précieuse montre sélectionnée. « Elle surprend ! Elle ne tient pas au poignet de manière classique, elle s’enroule avec élégance. » Fabriquée en nacre, avec un mécanisme français à quartz, elle est présentée dans un écrin de coco que l’artisan a lui-même creusé et pour lequel sa femme a réalisé des coussinets en tissu tahitien aux couleurs bleu, blanc et rouge. Dans ses valises également, Emmanuel a pris soin d’emporter quelques surfs-horloges qu’il compte exposer au musée du Temps de Besançon, un musée d’histoire et horlogerie, puis à la Délégation de Tahiti à Paris. « Exposer ces horloges alors que la Polynésie française a été choisie pour accueillir les Jeux Olympiques du surf, c’est vraiment une fierté et une belle opportunité ! Et puis, parce que la nacre et la perle sont des produits de luxe magnifiques, que l’on peut personnaliser à l’envi et rendre uniques, quelques grandes maisons de luxe de l’horlogerie m’ont contacté… »

Pour Emmanuel, c’est sûr, il y aura un avant et un après le 3 juillet, date de son exposition parisienne. Alors, on ne peut que saluer cet artisan qui a non seulement eu l’audace et la motivation mais aussi la dextérité de se lancer dans la création de montres splendides et uniques, dignes des plus grandes, à 18 000 kilomètres de toute industrie horlogère… et lui souhaiter fa΄aitoito pour la suite ! ◆

PRA TIQUE

• Boutique Moemoea and Co, 17 rue Titiaivai, Papeete

• Page Facebook : Temanus

légendes

L’artisan polynésien Emmanuel Faaitoa a été sélectionné parmi 2 458 entrepreneurs pour participer à la grande exposition du Fabriqué en France 2023.

Avec son design surprenant, « La plus belle montre de France » est fabriquée avec un mécanisme à quartz d’origine française et de la nacre polynésienne gravée.

Dans ses valises également, des surfs-horloges que l’artisan va exposer au musée du Temps, musée d’histoire et horlogerie de Besançon, ainsi qu’à la Délégation de Tahiti à Paris.

Aujourd’hui, la marque Temanus propose une dizaine de modèles de montres personnalisables.

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