Hiro’a n°188 – Dix questions à

Tevahine Teariki, artisane qui forme à la préparation et au tressage du nī΄au

Service de l’artisanat traditionnel (ART) – Pu ohipa rima ΄i

Préserver un tressage peu connu : le raraga matua

Propos recueillis par : Lucie Rabréaud – Photo(s) : ART et LR

Le Service de l’artisanat espère « raviver la créativité et apporter un souffle nouveau » grâce à des formations proposées aux artisans sur la gestion de leur activité, mais également sur des savoir-faire anciens ou des techniques peu connues. Et notamment, le raraga mātua, un tressage avec le nī΄au, dont Tevahine Teariki, titulaire de la carte d’agrément ‘Ihi rima’ī mā’ohi, est une experte.

Qu’est-ce que le nī΄au exactement ?

« Ce sont des palmes de cocotier. Mais on ne travaille pas n’importe quel cocotier. On choisit les palmes les plus souples et les fines. C’est à vue d’œil ! Les plus intéressantes sont les palmes de coco vert qui sont les plus souples. Le rouge est plus difficile car les brins sont cassants. »

Quelles sont les particularités du nī΄au ?

« C’est lors d’une expérience sur l’éventail conservé au musée de Tahiti et des îles que l’on s’est rendu compte de la longévité de cette matière première. Elle a une durée de vie vraiment étonnante. Je l’ai appris grâce aux études des chercheurs sur les objets anciens, datant de plus de deux siècles. Le nī΄au dure plus longtemps que le pandanus, le roseau des montagnes, l’hibiscus… »

Et le tressage de cette matière est-il spécifique ? 

« Tout dépend du feuillage…, la matière première va parler d’elle-même. On prévoit de faire un modèle mais, une fois qu’elle est entre les mains, ça peut changer. Ça correspond à un produit plus grand ou plus petit, cela dépend de la longueur, la largeur, la souplesse. Il faut s’adapter. Quand je suis allée donner une formation à Anaa, j’ai également appris beaucoup de choses : les couleurs sont différentes en fonction de la préparation de la matière. ça peut être blanc, noir, marron, moutarde, rouge… Sur le tressage lui-même, le côté gauche de la feuille reste à gauche et le côté droit à droite. »

Comment prépare-t-on le nī΄au ?

« Il faut trois jours de repos à l’ombre pour assouplir les palmes avant de pouvoir les travailler. Dans chaque feuillage, il y a de l’eau et on a besoin de cette humidité pour la souplesse et le serrage du tressage. Si on tresse tout de suite, la feuille va rétrécir en séchant, des espaces vont se former. Avec ce repos, le tressage reste collé une fois sec. Mais la partie arrière ne doit pas sécher pour conserver la souplesse. Ensuite, il faut préparer les fibres pour tresser. Il faut connaitre la technique pour l’arracher car sinon on peut la casser et on ne pourra pas tresser. Ensuite, il faut diviser la feuille en deux ou même faire beaucoup plus fin. Il faut beaucoup de temps pour travailler ces produits. Ensuite, on peut tresser à la manière du raraga matua, qui signifie tressage des aînés. »

Que peut-on faire avec le tressage de cette matière première ?

« Tout ! Les chapeaux, les éventails, les nattes pour dormir, les toitures de maison, les cloisons, les paniers… Certaines fibres sont tellement fines qu’elles donnent la même impression que l’osier. On fait des corbeilles à pain avec le couvercle. C’est très costaud. En ce moment, il y a beaucoup de demandes pour les paniers ou les contenants car cela faisait longtemps qu’on ne voyait plus ce tressage, le raraga matua. »

C’est un tressage qui a presque disparu…

« On ne le voyait plus parce que nous n’étions pas nombreux à le connaitre. Il n’a pas été mis en valeur. Avant, nous faisions des paniers pour faire du troc. Aujourd’hui, le Service de l’artisanat a voulu faire revivre ce savoir-faire. C’est un tressage qui était pratiqué dans les îles de la Société, aux Marquises et aux Tuamotu. Au temps de nos arrière-grands-mères et de nos grands-mères, ce savoir-faire a été laissé de côté. Quand je suis allée aux Marquises, on m’a dit que leurs anciens tressaient de cette manière mais qu’ils ne connaissaient plus aujourd’hui cette technique. Dans les Tuamotu, sur cinq atolls, une ou deux personnes font ce tressage. C’est important de l’enseigner car sinon il se perd. »

Est-il difficile à faire ?

« C’est un casse-tête ! Déjà, il faut comprendrel’arrachage des feuillages sur le cocotier et c’est compliqué. Il faut respecter le temps de repos. Sur le feuillage, il y a des petites rainures qui se forment, il faut chercher à travailler avec. Le comptage est compliqué, c’est tout un calcul d’additions et de divisions… Je suis toujours impressionnée : comment les anciens ont réussi à créer tout ça ? La première feuille doit être sous une seule feuille, la deuxième sous deux et la troisième sous trois. Une fois terminé cet étage, tu passes à un autre étage… Il faut un à six mois d’expérience pour être plus à l’aise. »

Par quoi commence ton enseignement ?

« L’anatomie du cocotier, les parties qu’il faut couper pour travailler. Je détaille toujours le cocotier comme un être humain : le tronc est le plus ancien, les premières feuilles sont les adultes, au milieu les adolescents et la partie blanche, c’est le bébé ! Le cocotier a deux cœurs et il faut absolument en préserver un, sinon on tue la plante. Il faut secouer le milieu pour que la deuxième feuille se détache et c’est la première, plus longue, que l’on prend. Le cocotier, c’est l’arbre de vie : il donne à boire, à manger, la maison, tout ce qu’il faut ! »

Comment as-tu appris ce tressage, raraga matua ?

« En observant mes grands-mères. Tous les dimanches, bien avant les années 1980, les femmes ne sortaient pas, elles s’occupaient du foyer, restaient à la maison. Pour les filles, c’était pareil ! On devait percer les coquillages… Nous n’étions pas en âge d’apprendre ce tressage. Mais j’étais déjà passionnée par tout ce qui est manuel. J’ai demandé à ma grand-mère : “Je veux faire !”Non, non, ce n’est pas pour toi”, me disait-elle. Je devais aller chercher les cocos pour la cuisine du week-end et, en même temps, je ramenais la matière première et les grands-mères confectionnaient. Finalement, c’est comme ça l’apprentissage, ma grand-mère m’apprenait déjà, sans que je le sache, à bien choisir ma palme… »

Et finalement, t’a-t-elle montré tout le tressage ?

« Non, pas du tout ! Le soir, j’allumais ma petite lampe à pétrole et je tressais. Un jour, mon grand-père a trouvé tous mes paniers et m’a demandé pourquoi j’avais gâché de l’argent pour acheter ça. Mais je n’avais pas acheté ! C’étaient mes paniers. Il ne me croyait pas, mais heureusement une de mes grands-mères qui habitait en face m’avait vu faire, le soir, à la lumière de la lampe à pétrole et elle lui a confirmé que c’était bien moi qui les avais confectionnés. L’apprentissage, c’est comme ça : on ne nous apprend pas ! Puis j’ai continué à faire ce tressage et j’ai formé d’autres artisans. Mon grand-père a été d’accord : “Donne à ceux qui sont dans le besoin et donne bien”, m’a-t-il demandé. Merci au Service de l’artisanat de m’avoir fait confiance. Je suis fière de partager cette technique de préparation et de tressage du nī΄au. » ◆

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