Hiro’a n°184 – Trésor de la Polynésie

Direction de la culture et du patrimoine (DCP) – Te Papa hiro ́a e Faufaa ́a tumu

À Huahine : restauration du marae Manunu

Installé sur le motu en face du village de Maeva, le marae Manunu desservait la communauté de Huahine nui. Doté d’une architecture de type côtier des îles Sous-le-Vent, mesurant 42 m de long pour 8,20 m de large et 3,80 m de haut dans ses parties les plus grandes, il possède une spécificité intéressante, celle d’avoir un ahu monumental à deux gradins.

Mandaté par la Direction de la culture et du patrimoine (DCP), l’archéologue Moohono Niva a organisé, en septembre 2022, la restauration du marae Manunu, situé sur la commune de Maeva à Huahine, avec l’aide d’une équipe de quatre personnes recrutées sur place. Le chantier a duré un mois. La mission était à la fois de redresser plusieurs dalles du marae qui s’étaient affaissées avec le temps et d’intervenir sur une dalle de corail cassée en deux. Un marae spécifique Manunu ne ressemble pas aux autres marae que l’on trouve ailleurs en Polynésie : il est constitué de plusieurs gradins. « Techniquement, un gradin dans un marae signifie l’intronisation d’un ari ́i », explique Moohono Niva qui, depuis vingt-cinq ans, sillonne les îles du fenua pour sauvegarder les sites historiques. « Deux gradins, cela fait donc deux ari ́i. Nous avons donc ici, comme pour le marae Anini de Huahine iti, situé à l’extrémité sud de l’île, l’histoire de deux générations de chefs avec deux ahu disposés l’un sur l’autre. »

Autre découverte : le démontage d’une partie du mur du marae a mis en lumière l’existence d’une maçonnerie prouvant qu’il existe un ancien vestige à l’intérieur, sur lequel les façades actuelles de Manunu viennent s’appuyer. Sur le site, juste à côté du marae, se trouvent également les vestiges d’une construction dont on pense qu’elle était dédiée au dieu Tane. Il y a quelques années la découverte d’ossements de cochon dans une couche datant d’avant la construction du marae a permis d’estimer que Manunu aurait été construit entre le XVIIe et le XVIIIe siècles.

Systèmes de jointage et de calage

Après avoir effectué un nettoyage de la zone, établi un relevé archéologique, puis délimité et sécurisé la zone, le travail a pu commencer. La première étape a consisté à remettre en place les grandes dalles de corail bouleversées. « Leur redressement a été assez facile. À l’aide de palans, d’étais et de grandes plaques de bois, nous avons pu maintenir les dalles et en soulever toute la masse afin de les positionner très légèrement inclinées vers l’intérieur pour solidifier l’ouvrage. » Ensuite, il a fallu procéder à la technique de jointage, utilisée traditionnellement dans les marae, en remplissant la maçonnerie interne de cailloutis (petites pierres de 5 à 10 mm) trouvés sur place. Enfin, dans le but de solidifier encore un peu plus la structure et de reprendre l’appareillage du marae, l’équipe a dû recourir à la technique du calage. Ce mode opératoire, que l’archéologue qualifie de « méthode européenne », consiste à choisir des pierres, l’une après l’autre, à les tailler et à les insérer en les calant entre les dalles, en alternant basalte et corail.

Restaurer, une étape délicate

La seconde étape, également l’opération la plus difficile et la plus longue, a été de restaurer la dalle de corail fracturée en deux. « Il fallait décider de la technique à utiliser… Nous avons passé presque deux semaines à faire des tests pour voir si on optait pour un collage avec de la chaux. Mais c’était vraiment compliqué et nous ne voulions pas fragiliser encore un peu plus la dalle. Nous avons fait plusieurs essais et finalement, nous avons réuni la dalle de corail par deux assises accompagnées d’un système de calage. L’opération a été lente et minutieuse car le corail était fragile. »

Comme le souligne l’archéologue, chaque marae a son histoire et « reconstruire à l’ancienne est vraiment difficile » d’autant plus que ces sites ne sont jamais vraiment rectilignes… « Ce serait facile de les restaurer bien alignés, mais notre travail est d’essayer de comprendre et de respecter les mécanismes qui font que le site est tel qu’il est aujourd’hui. Par exemple, si un marae “fait un ventre”, comme on dit dans notre jargon, c’est-à-dire qu’il présente un renflement vers l’extérieur, cela peut correspondre à son histoire : soit la personne qui le construisait a arrêté le chantier et l’a repris plus tard ou bien cela peut être aussi la décision de prolonger la structure à un moment donné. Avant d’intervenir et de lancer un chantier de restauration, il faut essayer de comprendre tous ces éléments. » Le rôle de l’archéologue « est de rester au plus proche de l’histoire du passé afin de faire parler les pierres ».

Encadré

Manunu et la reine Hotu-Hiva

« D’après les légendes orales, le marae Manunu (marae national avec Matairea en montagne ) a été construit à la pointe du motu Maeva, car c’est à cet endroit que Hotu-Hiva, la fille du grand chef Tutapu et sa femme Tehaamehameha installés à Raiatea Opoa, a posé le pied. Elle arrive avec un tambour -IPUIPU I TE RAI-, et a été retrouvée, fatiguée endormie, par deux princes guerriers envoyés par le chef du district ; l’un d’eux Teaonui-maruia l’épouse. C’est le début d’une dynastie qui explique la fondation des fameuses tribus de Huahine, raconte l’archéologue Moohono Niva. Manunu signifie d’ailleurs “fatiguée, endormie”, d’où le nom de ce marae qui a été construit pour cette reine. »

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