Hiro’a n°180 – Dix questions à Vairea Teissier , documentaliste au Musée de Tahiti et des îles

« Reconstituer un patrimoine végétal pour le transmettre à nouveau… »

Propos recueillis par Cl. Augereau – Photos : CLA – leader Vairea

Août 2020, la première pierre de la construction du nouveau Musée de Tahiti et des îles était posée. Aujourd’hui, alors que le bâtiment dédié à la nouvelle salle permanente est en phase de finition, les jardins ne sont pas oubliés et sont, eux aussi, étendus et repensés afin de proposer une vaste collection ethnobotanique. Tour d’horizon avec Vairea, qui en gère la réalisation.

Il existe un grand projet de rénovation des jardins du Musée de Tahiti et des îles. De quoi s’agit-il exactement ?

« Cela va de pair avec la reconstruction du musée car l’ambition aujourd’hui est de vouloir l’associer avec l’extérieur, dans la mouvance des projets des Jardins d’Atea et d’Hiti initiés en 2011. En fait, la mémoire a quelque peu disparu, et nous souhaitons reconstituer un patrimoine végétal pour le transmettre à nouveau, faire connaitre les espèces ainsi que leurs utilisations anciennes. Notre objectif premier est pédagogique, à la fois pour les scolaires, nos populations et les visiteurs en général. »

Le site du musée est lui aussi chargé d’histoire…

« On a voulu inclure cet héritage végétal dans le site même du musée, car c’est un lieu culturel prestigieux. Il faut se souvenir qu’auparavant, c’était la résidence des ari΄i de Punaauia, qui comportait au moins une dizaine de marae, dont celui de Taputapuātea, allié à celui de Ra΄iātea. C’est le deuxième à avoir été implanté à Tahiti, après celui de Tautira. »

Comment intervenez-vous dans ce projet ?

« J’ai déjà participé aux premiers jardins en 2011 et à leur réalisation en 2014, je suis donc assez aguerrie sur le sujet ! Ensuite, je dirais que c’est trente-huit ans de connaissance, une expérience de vie, des rencontres comme celle avec le botaniste Jean-François Butaud, notre caution scientifique qui a écrit Le guide floristique des plantes du musée, et aussi les livres. »

Comment s’organise l’aménagement des jardins ?

« Le chantier a commencé début août. L’ancien musée a complètement été démoli, l’abri à pirogue n’existe plus, et

cela a permis d’agrandir le patio. Nous allons rester dans la gamme des herbacées jusqu’aux arbrisseaux, avec une centaine d’espèces environ. On distinguera six zones :

les plantes de vallée, poussant en “zone humide”, avec notamment des fougères ;

une collection de bananiers : une vingtaine d’espèces sortant de l’ordinaire, notamment le mei΄a ΄āpara, aussi appelé “corne de bœuf”, avec son tronc et ses fruits rouges ;

des cannes à sucre : car il faut se rappeler que, pendant la période coloniale, des cannes ont été plantées à Atimaono ;

une zone dédiée à la famille des gingembres et des herbacées, où l’on pourra découvrir entre autres le ha΄eha΄a, une petite herbe rampante qui intervient dans la composition des trente recettes médicinales les plus connues ;

la végétation de bord de mer ;

– et bien sûr, un panel de plantes alimentaires comme le taro, le taruā, ou encore les patates douces. »

Parlez-nous des plantes. Comment les choisissez-vous ?

« Au final, on ne les connait pas si bien… Qui peut dire quel est le goût du taruā, aujourd’hui peu consommé ? Les enfants mangent des patates douces dans leur assiette mais sont incapables de savoir à quoi elles ressemblent dans la nature… Dans les jardins, on trouvera des spécimens venus de toute la Polynésie, du palmier endémique des Marquises, appelé ΄enu, au ΄ōfai, petit flamboyant lui aussi endémique que l’on trouve sur les atolls et qui donne des fleurs extraordinaires. »

Il faut aussi qu’elles aient un contexte…

« Oui, pour faire mon choix, j’essaie de trouver des contextes avec un lien culturel, historique ou d’usage. Par exemple, lorsqu’on parle du (aujourd’hui, on dit ΄autī), c’est relié au sacré. Il sort du tibia du dieu Ta΄aroa. Le pua, dont la fleur était, jusque dans les années 1950 et 1960, autant appréciée des Polynésiens que le tiare tahiti, a aussi une origine divine : l’arbre a été transporté sur Terre par le dieu Tāne qui l’a pris de son dixième ciel et l’a transporté ici même, à Punaauia. De nos jours, le pua a quasiment disparu des jardins. »

Où trouvez-vous les plantes ?

« Je les trouve à la pépinière de la famille Gooding à Mahina. Nous essayons d’en avoir trois exemplaires de chaque. »

Rencontrez-vous des problèmes de biotope ?

« J’ai quelques espèces d’altitude en effet, qui poussent dans les premiers cent mètres mais, par bonheur, elles s’acclimatent assez bien, même proche du littoral ! »

Des panneaux explicatifs seront-ils mis en place ?

« Bien sûr, il y a ce qu’on appelle les “petits cartels”, des fiches identitaires qui mentionneront les noms indigène et scientifique, la famille, le statut biogéographique et les utilisations. Et il existe aussi le cartel développé dans lequel est expliqué le contexte historico-culturel. Pour ces derniers, j’ai fait mon choix parmi quelques plantes emblématiques. »

Ce jardin va témoigner de la richesse et des connaissances des temps anciens…

« Les plantes, ce sont des collections vivantes ! Si les Polynésiens ont su se développer, c’est grâce à une connaissance extrême de leur environnement naturel. Aujourd’hui, nous sommes dans une volonté de transmission alors que la tendance est aux végétaux ornementaux et que tout le monde veut se soigner par les plantes et s’improviser “pharmacien” ou “médecin” traditionnel ! Mais il faut savoir de quoi en parle… Connaitre les plantes, c’est aussi en planter chez soi ! » ◆

HT

légendes

΄Ape – Alocasia macrorrhizos

aussi appelé « oreille d’éléphant – alocase »

΄Ape naheahea – Monstera deliciosa

aussi appelé « plante gruyère – faux philodendron »

« Ces deux ΄ape sont l’exemple parfait de l’évolution de la connaissance que l’on peut avoir d’une plante. Ou comment une plante peut évoluer en une autre… Ainsi, aujourd’hui, lorsqu’on parle de ΄ape, on ne désigne plus celui quej’appelle “le vrai ΄ape”, celui que ma génération, qui a aujourd’hui une soixantaine d’années, connaissait comme étant une espèce dont on mangeait le rhizome en temps de disette. On pouvait aussi le consommer en pudding, cuit dans des fûts de bambou. Il fut même un temps où il était très cultivé sur les atolls des Tuamotu, planté dans des fosses de culture creusées jusqu’à la lentille d’eau douce. Désormais, lorsqu’on parle de ΄ape, on ne l’identifie qu’au ΄ape naeheahea, purement ornemental et introduit à la fin du XIXe siècle en Polynésie, dont on retrouve les motifs sur de nombreux tīfaifai ou sur les tissus de vêtements de la mode locale. »

Légende

Vairea Teissier, documentaliste au Musée de Tahiti et des îles – Te Fare Manaha.

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