Hiro’a n°172 – Le saviez-vous ? Sarah Vaki, le tapa dans tous ses états

172

Le saviez-vous – Service de l’Artisanat traditionnel (ART) – Pu Ohipa rima ΄i

Sarah Vaki, le tapa dans tous ses états

Rencontre avec Sarah Vaki, spécialiste du tapa marquisien et membre de l’Académie marquisienne. Texte : MO – Photos : Service de l’artisanat

172 p24-25 P1180417

Sarah Vaki, membre de l’Académie tahitienne et retraitée de l’éducation nationale, est devenue au fil des années une spécialiste du tapa des Îles Marquises. Un savoir-faire inestimable reçu des māmā de son village.

Au sujet du tapa, cette étoffe fabriquée traditionnellement à partir de l’écorce d’arbres, Sarah Vaki est intarissable. Née à Omoa, un petit village de Fatu Hiva aux Îles Marquises, elle a grandi parmi les anciennes au rythme des frappes du tapa et bercée par leurs conversations. Auprès d’elles, elle a appris cet art ancestral. «  J’ai toujours été très intéressée par le tapa, depuis petite, et c’est ce qui a fait que je suis artisane aujourd’hui », explique-t-elle simplement. Dans son village, si le tapa est un objet de la vie quotidienne, son utilisation est aussi entourée de quelques curieux mystères que Sarah va découvrir au fil du temps.

Le tapa à toutes les étapes de la vie

« Les enfants n’avaient pas le droit de passer par certains lieux dans le village. Cela m’intriguait et j’ai fini par découvrir pourquoi… En fait, les femmes y faisaient sécher les tapa qu’elles utilisaient comme serviettes hygiéniques. » Plus tard, en devenant jeune femme, une vieille du village lui remet un ΄ō΄ini (panier tressé en feuilles de cocotier) dans lequel se trouvent des paquets enrobés d’écorce de bananier séchée. « Des pīere (bananes séchées) ? », demande Sarah, étonnée. Il s’agit en fait d’un type très particulier de tapa, le ΄a΄eu pipi. « C’est un tapa travaillé très finement, réalisé en écorce de banian au moment de la floraison du hinano. Il est trempé dans le coco râpé, et le re΄a (gingembre), puis séché. Très souple après le séchage, il est ensuite parfumé avec des fleurs. Il peut conserver ce parfum plusieurs semaines. Son utilisation est réservée à la femme lors d’un rapport physique, pour nettoyer les parties génitales de l’homme et de la femme. Il était ensuite nettoyé à la rivière pour une prochaine utilisation. »

De même, lorsqu’une femme arrivait au terme de sa grossesse, toutes les femmes de la famille tapaient le tapa spécifique à cet événement. « Elles prenaient surtout les racines aériennes du banian qu’elles travaillaient finement. »

Du métier d’enseignante…

Avant de devenir artisane, Sarah Vaki a fait carrière dans l’éducation nationale. Pourtant, rien ne la destinait à l’enseignement. En 1966, à la demande de l’administrateur des Marquises, elle accepte un poste d’enseignante dans une petite école de Hakatau à Ua Pou. « J’y suis restée un an. J’ai aimé et j’ai appris le travail d’enseignante sur le tas. J’avais ma classe, avec mes petits élèves. Ils parlaient uniquement marquisien, et ce sont eux qui m’ont enseigné leur langue. » Elle apprend aussi auprès des personnes âgées de ce village. « Je pense que c’est ce contact permanent avec les anciens qui m’a permis de mieux connaitre ma culture. » Ainsi débute une longue carrière, récompensée en 2005 par les Palmes académiques, un an avant sa retraite. Durant toutes ces années, Sarah conserve cet intérêt pour la culture marquisienne, la langue, les traditions qu’elle n’a de cesse de promouvoir auprès de ses petits élèves. « Les parents fournissaient le matériel nécessaire, les ike (battoirs en bois de fer) et les kiva (pierre de frappe) pour leur apprendre à fabriquer le tapa. Les échasses aussi pour leur montrer les jeux anciens. Je faisais venir les anciens du village afin qu’ils racontent les légendes. »

… à celui d’artisane

C’est donc tout naturellement que Sarah Vaki, retraitée, fait le choix de devenir artisane. « Je voulais savoir comment étaient faits les différents tapa, quelles écorces étaient utilisées. Ensuite, il y a eu les motifs, alors je me suis aussi intéressée au tatouage. » Ainsi, en matière d’écorces, Sarah a recensé quatre espèces d’arbres utilisées pour la fabrication du tapa. « On utilise régulièrement le aute (mûrier à papier), le ΄ōrā (banian), le ΄uru (arbre à pain) et depuis une vingtaine d’année, le caoutchouc (ficus elastica). Mais il y a une autre écorce que les vieilles utilisaient, c’est le hihea (pas de traduction). Il donnait une étoffe ressemblant à du coton. »

Cette démarche est d’autant plus importante pour Sarah qu’elle assiste à la disparition inexorable de certains savoir-faire. C’est le cas notamment du ΄ahu enata hérité de sa grand-mère marquisienne. « C’était un grand tapa, de trois à quatre mètres de large sur six de long, aussi fin que du papier à cigarette et strié. » Grâce à des recherches personnelles, Sarah a pu en apprendre un peu plus sur sa fabrication mais « plus personne ne sait faire ce tapa-là. Il était fabriqué avec l’écorce des branches de ΄uru parce que la sève permettait de coller les morceaux entre eux pour obtenir de grandes longueurs de tapa. Il y avait toute une préparation pour le faire. Et l’assemblage ne laisse aucune trace. » La pièce dont elle a hérité est actuellement conservée au Musée de Tahiti et des îles.

Membre de l’Académie marquisienne

En 2000, l’Académie marquisienne est créée et Sarah Vaki en est membre. « Nous sommes treize, deux représentants par île et un membre sur Tahiti, et pratiquement tous issus de l’enseignement. » Actuellement, l’Académie travaille sur la réalisation du dictionnaire marquisien, qui sera traduit en français et en anglais. La langue marquisienne, selon Sarah Vaki, est toujours bien vivante. « Ce qui est étonnant, c’est que nos jeunes, dans nos îles, parlent français. Mais on constate que lorsqu’ils sortent de leur île pour venir à Tahiti, ils parlent marquisien entre eux ! »

La transmission en question

Sauvegarder la culture, et en particulier les savoir-faire qui y sont associés, est une tâche que Sarah Vaki a toujours portée, en tant qu’institutrice, mais également en tant que mère et grand-mère ainsi que dans son métier d’artisane. « J’ai quatre filles que j’ai poussé à aller à l’école pour avoir un bon travail. Elles vivent à Tahiti. Alors, maintenant, je transmets mes connaissances à mes petites-filles, quand elles viennent en vacances à Fatu Hiva. » Plus globalement, Sarah aide les jeunes de retour sur l’île en leur enseignant les secrets de la fabrication du tapa.

Légende

Sarak a recensé quatre espèces d’arbres utilisées pour la fabrication du tapa.

Vous aimerez aussi...