Hiro’a n°166 – Trésor de Polynésie : Les Tu΄aro Mā΄ohi, au fil des Heiva

Rubrique Trésor de Polynésie

Musée de Tahiti et des îles (MTI) – Fare Manaha

 

Rencontre avec Tara Hiquily, chargé des collections ethnographiques au Musée de Tahiti et des îles, Enoch Laughlin, président de la Fédération ΄Āmuitahira΄a Tū΄aro Mā΄ohi et Habanita Hauata, ancienne championne de lancer de javelot. Texte : Pauline Stasi – Photos : MTI

 

Les Tu΄aro Mā΄ohi, au fil des Heiva

 

La très belle exposition « Tahiti ti΄a mai, du Tiurai au Heiva » au Musée de Tahiti et des îles plonge le visiteur dans 140 ans d’histoire du plus ancien festival océanien, le Heiva. Parmi les objets présentés, de superbes clichés en noir et blanc de lanceurs de javelots. À travers eux, c’est tout un pan de la culture polynésienne, les Tu΄aro Mā΄ohi, qui se dévoile au public. 

 

Grimper de cocotier, lever de pierre, lancer de javelot, décorticage de coco, coprah, lutte traditionnelle, courses de porteurs de fruits, échasses ou encore régates de pirogues à voile, les Tu΄aro Mā΄ohi attirent chaque année des milliers de visiteurs lors des festivités du Heiva. La dextérité, la force ou encore l’agilité de ces athlètes forcent l’admiration.

Véritables marqueurs de l’histoire et de la culture polynésienne, les Tu΄aro Mā΄ohi, pratiqués bien avant l’arrivée des Européens, n’ont été que progressivement intégrés aux éditions du Heiva. « Lors des premières années des fêtes du Tiurai, les piliers incontestables étaient le va΄a et les chants et danses. En étudiant les différentes éditions du journal Le Messager du milieu et de la fin du 19e siècle, qui présentaient les programmes des fêtes, on ne trouve pas à cette époque de traces d’épreuves du pātiafā, le lancer du javelot. Ce n’est qu’en 1935 que le pātiafā est inscrit sur le programme officiel du Heiva. Le fendage et l’extraction de la chair des noix de coco ou les courses de porteurs de fruits ne sont apparus, eux, que dans les années 1960. De même, il a fallu attendre les années 2000 pour voir les épreuves de grimper au cocotier ou de lever de pierre rentrer au Heiva », explique Tara Hiquily, chargé des collections ethnographiques au Musée de Tahiti et des îles.

« De génération en génération »

Ces disciplines sont autant de témoignages de l’histoire de la société polynésienne et de ses îles. « On compte actuellement environ 900 athlètes licenciés. Certaines îles ou atolls sont spécialisés dans des disciplines précises. À Anaa aux Tuamotu, par exemple, le pātiafā, le lancer du javelot, est une vraie tradition qui se transmet de génération en génération. Aux Australes, ça va être le lever de pierre par exemple. Il est très important de les préserver et de continuer à les faire vivre, car à travers ces sports traditionnels, ce sont les traditions, les savoir-faire de nos îles que nous perpétuons », indique Enoch Laughlin, président de la Fédération ΄Āmuitahira΄a Tū΄aro Mā΄ohi (FATM), créée en 2003, qui rassemble une trentaine d’associations réparties sur les cinq archipels de Polynésie française.

Et certaines de ces traditions trouvent leur genèse dans la rivalité entre les hommes, à l’instar du pātiafā. « En temps de guerre, le javelot était utilisé comme une arme. Autrefois, lorsqu’un clan battait un autre clan, les vainqueurs prenaient les crânes de leurs adversaires morts et les plaçaient en haut d’un mât. Les guerriers lançaient alors leurs javelots dessus. Par cet acte, les vainqueurs montraient leur puissance », explique Habanita Hauata, ancienne championne de lancer de javelot.

Viser le haut du coco

Fort heureusement, les temps ont changé depuis et les crânes ont été remplacés par des noix de coco. Piqué en haut d’un mât de plus de 9,50 mètres, ou 6,10 mètres, et à une distance de 22 mètres et 15 mètres, selon les catégories, le coco requiert une sacrée dose d’adresse pour être touché et mieux encore, pour être atteint sur le dessus, car plus le javelot est planté haut, plus le nombre de points remportés par le compétiteur est important. « Chaque lanceur a dix javelots. Si le javelot est planté en haut du coco, on remporte dix points, en bas, c’est quatre. À la fin de la série, on comptabilise les points. Chaque lanceur a ses propres lances reconnaissables », précise Habanita Hauata, qui a tout appris du lancer du javelot avec son père fa΄a΄amu. Car effectivement, viser et planter un coco avec un javelot ne s’improvise pas, c’est un art qui nécessite un véritable apprentissage. « Il m’a appris à partir de quatorze ans, on allait s’entrainer tous les week-ends dans les jardins du Musée de Tahiti. C’est lui qui fabriquait les javelots en bois de pūrau ou de bambou. Il faut faire preuve de beaucoup d’adresse, mais aussi de force pour que le javelot reste planté dans le coco. La technique des gestes s’apprend, il faut faire attention au vent aussi. J’ai dû arrêter il y a deux ans, mais cela fait partie de notre culture. C’est une histoire de famille. Mes cousins en font aussi », indique la jeune femme, plusieurs fois récompensée pour ses résultats en lancer de javelot.

Le lever de pierre, amora΄a ΄ōfa’i servait, lui, aux chefs et aux guerriers à montrer leur force et leur résistance. Ils devaient soulever la pierre sacrée autant de fois que possible jusqu’à être épuisés.

Plus pacifistes, mais pas plus reposants, la course de porteurs de fruits, le grimper au cocotier ou le décorticage de coco trouvent certainement leurs origines dans le passé agricole des Polynésiens.

Les Tu΄aro Mā΄ohi sont considérés aujourd’hui comme des sports à part entière.

 

 

encadré

 

Pratique :

Exposition « Ti΄a mai, du Tiurai au Heiva » jusqu’au au 31 octobre

Dans le respect des mesures sanitaires

Adultes : 600 Fcfp / personne

Groupes (+10 pers) : 500 Fcfp / personne

Étudiants et -18 ans : gratuits

Réservation www.billetterie.museetahiti.pf

À noter que l’exposition est présentée en tahitien et en français ; un audio-guide en anglais est proposé pour le public anglophone.

 

Des visites guidées sont proposées par l’équipe scientifique du Musée les samedis 14 et 28 août, les 11 et 25 septembre et les 9 et 23 octobre.

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