Hiro’a n°157 – Dossier : Inscription des îles Marquises sur le chemin de l’Unesco

Dossier

Rencontre avec Gaëtan Deso, chargé de mission auprès du ministère de la Culture et de l’Environnement. Texte mis en forme par Lucie Rabréaud à partir du dossier « Iles Marquises, proposition d’inscription au patrimoine mondial de l’Unesco, étape 2 », par le ministère de la Culture et de l’Environnement – Photos : DCP et Lucie Rabréaud.

 

Inscription des îles Marquises sur le chemin de l’Unesco

 

L’inscription des Marquises au patrimoine mondial de l’Unesco avance : le dossier pour la deuxième étape a été présenté à la mi-septembre et le gouvernement est désormais en attente d’une réponse pour passer à la suite. Il faudra encore plusieurs années pour le voir aboutir.

 

L’inscription d’un bien au patrimoine mondial de l’Unesco est un long chemin. L’etape 2 vient d’être franchie par le gouvernement de la Polynésie française qui porte la candidature des Marquises. Il faut désormais attendre la réponse de l’exécutif métropolitain, qui apportera sans doute des recommandations sur le dossier. ≪ Cela prend du temps et nous n’avons pas de date ≫, précise Gaëtan Deso, charge de missions auprès du ministère de la Culture et de l’Environnement. Impossible donc de savoir quand il sera possible de passer à l’étape 3. ≪ La France inscrivait beaucoup de dossiers à l’Unesco a une certaine époque, ils se sont structurés et ont mis en place le comité national des biens français. Il existe désormais des normes pour faire monter les meilleurs dossiers et trois étapes à suivre. ≫ La première consiste en une présentation du dossier : il faut vendre le projet, justifier la déclaration de valeur universelle et exceptionnelle ; la deuxième est la présentation du dossier affine avec l’historique, le développement, le périmètre du bien ; la troisième est la partie stratégique, avec la présentation du plan de gestion. Une large concertation de la population est donc lancée afin de garantir la protection du bien. ≪ Dans cent ans, un visiteur doit pouvoir voir les mêmes paysages aux Marquises qu’un visiteur en 2020. A nous d’inventer toutes les clefs, avec la population locale, pour préserver la faune, la flore, les sites et continuer à développer des projets économiques. C’est le dialogue.

 

Faire valoir nos spécificités

Entre ces étapes, le dossier évolue, s’adapte, se modifie, rien n’est figé. Une fois cette troisième étape remplie, le dossier sera déposé sur le bureau du ministre de la Culture du gouvernement français et celui du président de la République. A eux de choisir, dans la pile, celui qu’ils iront présenter à l’Unesco. ≪ Il faut que notre dossier soit très bon. Le gouvernement présente un dossier par an pour le patrimoine immatériel et un par an pour le patrimoine matériel. ≫ Plusieurs raisons motivent les porteurs du projet à faire ce long chemin pour inscrire les Marquises au patrimoine mondial de l’Unesco. ≪ Faire entendre et faire voir les richesses de la Polynésie française sur les plans culturel et naturel et faire valoir ses spécificités. C’est une belle fenêtre pour montrer ce qu’on a et comment on le préserve. Tous les pays qui ont ratifié la convention de l’Unesco reconnaitront qu’aux Marquises, il y a un développement culturel spécifique, une histoire spécifique et tout ça, dans un contexte naturel spécifique. Le but est vraiment de mettre en valeur le côté unique et exceptionnel de l’archipel des Marquises. Ce n’est pas forcément un outil touristique, c’est une reconnaissance. ≫ Le dossier de candidature est d’ailleurs une véritable mine d’informations. Sa lecture permet de réaliser la richesse de l’archipel.

Tous ces atouts sont listés par critères, dans lesquels se retrouvent sept ensembles : les iles inhabitées de Eiao et Hatutū, Nuku Hiva, ’Ua Pou, l’aire marine côtière de ’Ua Huka,

Hiva ’Oa et Tahuata, Fatu ’Uku et Fatu Hiva. Les Marquises entrent dans la catégorie

≪ Bien mixte en série ≫, ce qui signifie que c’est un bien nature et culture de plusieurs ensembles. ≪ Nous racontons une seule histoire, mais à travers sept ensembles qui sont connectés historiquement, naturellement et culturellement. ≫ Chacun de ces ensembles contribue à démontrer la valeur universelle exceptionnelle du Bien.

 

Encadré 1

Les limites du Bien

Le périmètre du Bien proposé à l’inscription représente 268 km2 de terres émergées et 1 388 km2 d’espace marin côtier. Cet espace combine les valeurs naturelles et culturelles. Sur chaque ile retenue, l’aire proposée englobe la ligne de crête (l’arête centrale de l’ile) et se répartit de part et d’autre de celle-ci jusqu’à une limite ou se concentrent les plus forts taux d’endémisme. L’extension vers le littoral est réalisée par les bassins versants des vallées où se concentrent les vestiges archéologiques de l’habitat ancien. La limite marine du Bien correspond à une extension de trois milles nautiques depuis le littoral.

 

« Une zone de refuge »

La surface du Bien permet une représentation complète de la diversité biologique et géologique. La très faible densité de population, l’absence de tourisme de masse et la pression de la pêche limitée contribuent à ralentir les dégradations et à garantir son bon état de conservation. Les actions mises en œuvre, associées aux pratiques ancestrales, permettent de faire de ces ensembles une zone de refuge pour des espèces rares ou menacées. La morphologie particulière des iles a également créé des lieux uniques d’une grande richesse écologique. L’absence de barrière corallienne accentue l’effet de verticalité et permet aux dauphins d’Électre et à deux espèces de raies manta de se réunir en banc à quelques mètres des falaises. Une grande diversité d’espèces marines a d’ailleurs adopté des comportements atypiques. Vingt et une espèces d’oiseaux marins nichent aux Marquises. Les iles de cet archipel sont un modèle remarquable de l’évolution des espèces en milieux insulaires océaniques.

 

Le lien entre les hommes et la nature

La richesse du patrimoine archéologique fait de ces iles de précieux conservatoires abritant des témoignages exceptionnels pour la connaissance des anciennes chefferies ’enata. Les vallées marquisiennes constituaient l’unité politique et cosmologique de ces chefferies. C’est dans ces lieux que se trouvent les sites archéologiques, qui, tous, ont eu un devenir diffèrent : certains ont été protégés par la végétation, d’autres dégradés par des facteurs naturels ou par l’activité humaine mais beaucoup sont encore préservés, certains ont été restaurés et d’autres ont fait l’objet de recherches et d’études scientifiques et sont donc richement documentés. La tradition orale a permis d’apporter des éclairages sur la compréhension des sites et leurs usages et de sauvegarder jusqu’à aujourd’hui la place, l’identité, le nom et l’histoire de certains tiki. C’est d’ailleurs à travers cette tradition orale que s’exprime le rapport intime des ’Enata a leur environnement. Ce rapport entre les hommes et la nature est à l’origine du développement d’une organisation territoriale, sociale et d’une expression artistique bien identifiable.

 

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Encadré 2

 

« Les atouts » des Marquises

 

Voici les descriptions, par critères retenus, des atouts des Marquises. Les critères iii, iv et vi correspondent à la culture et les critères vii, ix et x à la nature.

 

Critère iii : « Apporter un témoignage unique ou du moins exceptionnel sur une tradition culturelle, une civilisation vivante, qui a failli disparaître. »

 

Les Marquises témoignent d’une extraordinaire faculté d’adaptation d’une société polynésienne arrivée par la mer vers l’an mil sur l’un des archipels les plus isolés du monde. L’organisation territoriale, spatiale, sociale et spirituelle de cette société est illustrée par la richesse, la diversité, la concentration et le caractère monumental des structures architecturales bâties au sein des vallées. Cette organisation s’est accompagnée du développement d’une expression artistique très spécifique à l’archipel associant sculpture (tiki) et gravure (pétroglyphes) témoignant du rapport étroit de l’être humain à son environnement.

 

Critère iv : « Offrir un exemple éminent d’un type de construction ou d’ensemble architectural ou technologique ou de paysage illustrant une ou des périodes significative(s) de l’histoire humaine. »

 

Les contraintes topographiques et climatiques de ces îles volcaniques ont conduit les ’Enata à construire sur les pentes des vallées encaissées des plateformes lithiques (en maçonnerie sèche) élevées à deux niveaux (paepae) pouvant atteindre près de 6 mètres de hauteur.
Le paepae est à la base de l’architecture marquisienne à la fois domestique et cérémonielle (tohua et me’ae). Ce type de constructions et de complexes architecturaux monumentaux est unique dans le monde et caractérise une culture et un savoir-faire d’une société humaine qui s’est adaptée à son environnement.

Ainsi à Hiva Oa, l’ensemble cérémoniel d’Upeke Pata, ou les nombreux et imposants tiki du site de Iipona en sont des illustrations remarquables. À Nuku Hiva, la vallée de Hatiheu qui abritait la célèbre tribu des Taipi décrite par l’écrivain Melville comporte sept tohua, dont le grand ensemble mis en valeur de Kamuihei-Teiipoka est un exemple réputé.

 

Critère vi : « Être directement ou matériellement associé à des événements ou des traditions vivantes, des idées, des croyances ou des œuvres artistiques et littéraires ayant une signification universelle exceptionnelle. »

 

Malgré le choc démographique et l’acculturation au contact européen, la littérature orale a préservé de nombreux récits relatifs aux paysages réels ou cosmologiques grâce aux écrits des premiers visiteurs (fin du XVIIIe et XIXe siècles) et des premiers travaux ethnographiques effectués à la fin du XIXe siècle. Combinés aux savoirs transmis de génération en génération, ces recueils représentent aujourd’hui un corpus important de mythes, légendes et récits historiques exprimant de façon implicite, en langue marquisienne, un ensemble cohérent renseignant sur la vie des chefferies ’enata dans toutes leurs dimensions, depuis les origines du monde jusqu’à leur rapport avec l’environnement. L’ensemble de ces connaissances et traditions encore vivantes apporte un éclairage unique sur une civilisation polynésienne et sur la compréhension de son environnement. Les Marquisiens n’ont eu de cesse de s’affirmer comme une culture forte et originale au sein de la Polynésie française, et reconnue à l’échelle de tout le Pacifique.

 

Critère vii : « Représenter des phénomènes naturels ou des aires d’une beauté́ naturelle
et d’une importance esthétique exceptionnelles. »

 

Les îles Marquises ont hérité de leur violent passé volcanique de paysages très accidentés et vertigineux qui se dressent brusquement à plus de 1 000 mètres au-dessus de l’océan. La luxuriance de la végétation combinée à la diversité́ des formes du relief marquées par des crêtes sommitales acérées, des aiguilles phonolitiques, des cotes déchiquetées aux falaises maritimes abruptes façonnent des paysages insulaires sans égal sous ces latitudes tropicales. Dépourvues de lagon, les côtes sont en contact direct avec le grand océan et offrent des espaces d’observation d’espèces au comportement habituellement pélagiques telles que les dauphins d’Électre et dauphins à longs becs qui se réunissent en banc de plusieurs centaines d’individus au pied des falaises. La présence simultanée de deux espèces de raies manta géantes et de récif est, elle aussi, tout à fait inhabituelle et quasi unique au monde. L’ensemble compose un tableau majestueux d’une nature sauvage et souveraine.

 

Critère ix : « Être des exemples éminemment représentatifs de processus écologiques et biologiques en cours dans l’évolution et le développement des écosystèmes et communautés de plantes et d’animaux terrestres, aquatiques, côtiers et marins. »

 

Les îles Marquises sont un modèle d’étude de l’évolution des espèces en milieux insulaires océaniques. L’isolement des autres continents pendant des milliers d’années et la géomorphologie très particulière des îles Marquises ont favorisé les processus de diversification génétique dans les écosystèmes marins. La combinaison de processus océanographiques originaux, d’une importante productivité́ primaire et de l’absence de récifs coralliens est à l’origine de forts taux d’endémisme des poissons côtiers et mollusques et de l’exceptionnelle intégrité́ de la chaine tropique (biomasses abondantes et grandes proportions de prédateurs supérieurs). L’écosystème marin encore sauvage est l’un des plus intègre au monde.

 

Critère x : « Contenir les habitats naturels les plus représentatifs et les plus importants pour la conservation in situ de la diversité́ biologique, y compris ceux où survivent des espèces menacées ayant une valeur universelle exceptionnelle du point de vue de la science ou de la conservation. »

 

Site d’exception pour la conservation de la biodiversité́ terrestre et marine sur le plan mondial, l’archipel des Marquises est considèré comme un centre de diversité́ pour les plantes par l’UICN et le WWF en raison de la grande diversité́ de plantes endémiques (48 % de la flore) qui se répartissent principalement au sein des forêts sèches et semi-sèches, des forêts hygrophiles et des forêts ombrophiles. Ces forêts ont d’ailleurs été intégrées dans l’Écorégion des forêts du Pacifique sud définie par le WWF. Les îles Marquises constituent un archipel d’une importance majeure pour l’avifaune. Elles constituent l’un des rares sites de reproduction au monde connus pour 21 espèces d’oiseaux marins. Par ailleurs, 11 espèces et sous-espèces d’oiseaux terrestres sont endémiques des Marquises. C’est pourquoi l’archipel est reconnu comme une zone d’endémisme pour les oiseaux et Fatu Hiva fait partie des sites AZE (Alliance for Zero Extinction) en raison de la présence du ’Oma’o ke’e ke’e qui ne se trouve que dans une seule vallée de cette île. La valeur exceptionnelle du Bien est renforcée par l’écosystème marin qui abrite des taux d’endémisme chez les poissons côtiers (13,7 %) et mollusques (10 %) parmi les plus forts au monde et offre un habitat pour plus de 40 espèces emblématiques dont 16 mammifères marins et 26 raies et requins. Cet espace isolé a ainsi été reconnu comme « zone marine significative de niveau international sur les plans écologique et biologique ».

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