Hiro’a n°145 – Dossier : Les collections de Jean Guiart au Musée de Tahiti et des îles

DOSSIER – Musée de Tahiti et des îles (MTI) – Fare Manaha

Les collections de Jean Guiart au Musée de Tahiti et des îles

Rencontre avec Tara Hiquily, chargé des collections ethnographiques au Musée de Tahiti et des Îles. Texte : Alexandra Sigaudo-Fourny – Photos : MTI (sauf mention)

Le 4 août dernier, Jean Guiart, une grande personnalité du monde de l’ethnologie, s’est éteint à l’âge de quatre-vingt-quatorze ans à son domicile de Punaauia. Cet anthropologue et ethnologue très discret, spécialiste des arts et des religions de l’Océanie, a fait plusieurs dons au Musée de Tahiti et des Îles entre 2013 et 2018. Des objets qu’il avait glanés sur le terrain lors de ses recherches en Mélanésie, ou acquis dans des galeries. Tous sont aujourd’hui précieusement conservés dans les réserves du Musée de Tahiti et des Îles.

« C’était un homme discret, avec une petite voix. Un homme passionnant, j’étais sous le charme de ses cours », se souvient Tara Hiquily, chargé des collections ethnographiques au Musée de Tahiti et des Îles et élève de Jean Guiart pendant six ans lors de ses études à l’École du Louvre, puis à la Sorbonne, à l’École pratique des hautes études (EPHE). En 2013, c’est à Tahiti que leurs chemins se croisent à nouveau. L’anthropologue, installé sur l’île depuis 1997, veut faire don d’un objet au Musée. « Jean Guiart n’entretenait pas de lien particulier avec le Musée, il avait peu de contacts avec nous finalement, mais un jour il est venu pour nous déposer un petit objet originaire de l’île de Pâques. » Cet objet appelé Moai tangata moko ou homme-lézard, d’une longueur de 28,7 cm, est une petite statue en bois achetée il y a près de quarante ans par l’anthropologue à un marchand américain. « C’est un objet sujet à controverse. Les statues de Rapa Nui sont très rares et très convoitées. Malheureusement, beaucoup de copies de grande qualité se sont mélangées aux vraies. Dans les collections privées, c’est parfois compliqué de démêler le vrai du faux », précise Tara Hiquily.

Jean Guiart détenait-il une véritable statue de l’île de Pâques ou juste une très convaincante copie ? Pour le savoir, le Musée mène l’enquête et tente de faire parler la nature du bois qui se trouve être dans un excellent état de conservation. « Rapa Nui a connu un cataclysme environnemental et le toromiro (sophora toromiro) est une variété endémique de l’Île de Pâques qui est devenue rarissime avec la déforestation massive de l’île au XVIIe siècle. » Plus tardivement, de nombreux objets ont été réalisés en robinier, un bois proche du toromiro introduit par les missionnaires. « Si l’objet n’est pas fait dans ce bois, nous avons la certitude que c’est un faux. Le contraire ne veut pas dire que c’est forcément un vrai…, car le toromiro bien que rarissime n’a disparu définitivement qu’en 1960 donc il n’est pas toujours simple de prouver l’origine et l’authenticité de ces objets. » Le Musée poursuit donc ses investigations compte tenu des nombreux objets douteux qui circulent et demande une expertise à Catherine et Michel Orliac, chercheurs au CNRS et spécialistes de l’Île de Pâques. Premier constat, selon leur identification botanique au microscope électronique à balayage, le bois serait bien du toromiro. Selon les deux chercheurs français, l’objet serait donc authentique, même si de meilleurs échantillons permettraient de conclure avec plus de probabilité à l’authenticité de l’objet. Pour le Musée de Tahiti et des Îles, qui jusque-là ne possédait aucun exemplaire ancien, c’est une pièce de grande valeur qui a rejoint sa collection. Le Moai tangata moko de Rapa Nui devrait d’ailleurs être exposé au grand public lors de la réouverture des nouvelles salles du Musée en 2021.

Tambours, assommoir et masques

Après ce premier don, Jean Guiart est revenu vers le Musée de Tahiti et des Îles avec une deuxième série d’objets. Certains qu’il avait collectés lors de ses recherches en Mélanésie et en particulier au Vanuatu. Il y a d’abord de très grands tambours de 3,50 m de haut, assez récents et originaires de l’île d’Ambrym. Creusés dans un arbre avec une tête au sommet, ces tambours ne sont pas des objets folkloriques ou de décoration, mais rythment encore aujourd’hui les cérémonies des tribus du Vanuatu. C’est une fente longitudinale sur le devant du tambour qui permet d’émettre des sons différents.

Autre objet, autre utilisation, un magnifique assommoir à cochon fait aussi partie de la collection offerte au Musée de la Pointe des Pêcheurs. Originaire également du nord d’Ambrym, cet objet en bois massif sculpté est utilisé au Vanuatu au moment des grandes festivités liées notamment aux passages de grade ou aux initiations pour tuer les cochons de manière cérémonielle. Jean Guiart en avait fait l’acquisition sur place.

L’anthropologue a également fait don de quatre petits masques, des visages originaires du fleuve Sépik, le plus long cours d’eau de Nouvelle-Guinée. Ces masques en bois imprègnés de pigments, dont la facture est authentique, sont contemporains (XXe siècle) et dans un excellent état de conservation. Ils mesurent entre 20 et 23 cm de haut. Jean Guiart aurait acheté ces masques en 1968 à Jacques Kerchache, un célèbre collectionneur et marchand d’art français, spécialisé dans les arts premiers et surtout initiateur du Musée du quai Branly. Ce type d’objet est peu fréquent et, là encore, le Musée de Tahiti et des Îles n’en possédait pas avant ce don.

Une herminette cérémonielle

En 2018, le chercheur français a fait don d’un dernier objet. Il s’agit d’une très belle herminette cérémonielle en provenance de Nouvelle-Guinée. « Jean Guiart nous a affirmé que cette herminette n’avait jamais été utilisée. Elle était posée sur l’épaule des femmes à certaines occasions comme un mariage et indiquait le statut social de la femme qui la portait. Dans le cadre d’un mariage, elle servait aussi de dot. Celle-ci est datée du milieu du XXe siècle et aurait été donnée à l’anthropologue par une délégation de la tribu de Nouvelle-Guinée en remerciement d’un service rendu », nous explique le chargé des collections du

Musée. La lame en pierre de couleur verte (une néphrite) est fixée à un manche en bois par un lien tressé en fibre de coco. Assommoir, statue, tambour, herminette… tous ces objets sont rares et précieux. Aujourd’hui conservés à Tahiti, ils enrichissent les collections du Musée de Tahiti et des Îles et participent à raconter une histoire commune, celle des peuples

d’Océanie.

Jean Guiart

Né en 1925 à Lyon, Jean Guiart a consacré sa vie à la Mélanésie et en particulier à la Nouvelle-Calédonie (où il avait rencontré son épouse Joséphine Pawé Wahnyamala, native des Îles Loyauté) et au Vanuatu. Sa rencontre avec Maurice Leenhart, missionnaire et ethnologue en Nouvelle-Calédonie et celle avec Claude Levi-Strauss ont été déterminantes dans sa vision universitaire des cultures non occidentales. Professeur d’ethnologie, directeur d’études à l’École pratique des hautes études, directeur du laboratoire d’ethnologie du Musée de l’Homme, Jean Guiart laisse une œuvre prolifique. « S’il n’a pas mené de recherches sur la Polynésie, j’ai le souvenir de quelqu’un qui en parlait quand même beaucoup. C’était un homme qui avait des connaissances très larges de l’Océanie, une véritable encyclopédie, et il était naturellement féru d’histoire polynésienne. Jean Guiart avait une façon de tout recouper et de tout mettre en doute. Cet anthropologue et ethnologue a repoussé les frontières de son domaine de recherches pour avoir une vision globale. Les Océaniens ont une histoire récente et commune, Jean Guiart l’avait compris », nous confie Tara Hiquily. Fondateur des éditions Te-Pito-o-te-Fenua à Tahiti, Jean Guiart a produit de nombreux ouvrages à retrouver sur le Salon du livre en novembre prochain.

Comment fonctionne un don ?

Chaque année, le musée reçoit un à deux objets sous forme de don. Si le Musée privilégie les pièces qui concernent directement la Polynésie et les peuples polynésiens, elle accepte parfois des pièces d’horizons plus vastes comme la collection de Jean Guiart. « Généralement, nous essayons de dissuader les donateurs, lorsqu’il ne s’agit pas d’objets liés à notre aire géographique, car cela signifie que nous ne les exposerons jamais ou très rarement », précise Tara Hiquily. Lorsqu’un donateur se présente avec un objet au département Conservation du Musée, le conservateur ou le chargé des collections analyse les pièces ; si le don est pertinent, alors la demande est soumise au conseil d’administration du Musée. Celui-ci examine les remarques et l’avis du département Conservation. Le conseil d’administration peut suivre ou pas l’avis motivé du département.

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