N°132 – Le tissu de cheveux d’Orama Nigou

 

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Rencontre avec Orama Nigou, diplômée du Centre des métiers d’art en juin dernier, avec les félicitations du jury. Texte : Benoît Buquet.

 

Au Centre des métiers d’art, Orama Nigou a fabriqué une collection complète de robes et de bijoux à partir de cheveux récupérés. Ses œuvres ont été présentées à la Tahiti Fashion Week. Elle s’apprête à entrer dans une école de design en France.

 

Des créations textiles à partir de cheveux humains suspendues au plafond dans une salle du Centre des métiers d’art (CMA) à Papeete. Ici un corset, là une robe évasée… La créatrice, Orama Nigou, a 20 ans et vient d’achever, avec cette collection, son cursus au CMA.

Du tissu à base de cheveux humains ! Orama Nigou ne sort pas cette idée de nulle part. Elle le certifie : « Le cheveu est un élément présent partout dans la culture polynésienne. » Jadis, les cheveux étaient aussi utilisés pour fabriquer des objets. « C’était un matériau qui avait beaucoup de mana, qui était très noble. Autrefois, il y avait des coiffes de danses fabriquées à partir de cheveux », assure Orama Nigou, qui a donc simplement « réutilisé une matière déjà très présente dans la culture traditionnelle polynésienne ».

Du prestige à la répulsion

Pourtant, l’artiste en convient : de nos jours, les cheveux, une fois coupés, engendrent plutôt la répulsion. Elle a voulu « mettre les gens face à cette contradiction qui existe entre le prestige qui accompagnait cette matière autrefois et le dégoût qu’elle provoque aujourd’hui ». « Je voulais rapprocher la matière du corps, je voulais obliger les gens à la toucher. Au départ, c’était des parures, puis des vêtements », raconte-t-elle.

Sur le plan pratique, sa recette est en fait assez simple. Depuis deux ans, Orama Nigou parcourt les salons de coiffure pour collecter des chutes de cheveux. Elle mélange ces cheveux récupérés à de la colle pour en faire une pâte qu’elle étale ensuite et façonne à sa guise pour fabriquer ses pièces. Parfois, elle utilise un morceau de tissu en coton comme support, pour faire un corset par exemple.

Elle estime avoir passé « entre vingt et trente heures » pour la fabrication de chaque pièce, temps de séchage exclu. « L’avantage de cette matière, c’est qu’elle est souple. Je peux donc façonner mes robes directement sur le mannequin de couture. Ensuite, il faut entre 12 et 24 heures pour le séchage, selon le taux d’humidité. »

Le résultat est une matière « malléable » et avec « une très belle transparence ». Les fibres générées par les cheveux ont toutefois un inconvénient : elles sont rugueuses, voire carrément râpeuses, au toucher, et donc pas très agréable au contact de la peau. « Pour l’instant, ce n’est pas fait pour être confortable. C’est un travail sculptural », explique Orama Nigou.

Nouveau défi : développer le tissage à partir de cheveux

Il s’agit donc d’une œuvre d’art. « Pour la présenter, il fallait lui donner une forme. Naturellement, j’ai créé des vêtements et des bijoux parce que je ne pouvais pas présenter le tissu comme ça. Je me suis donc rapprochée de l’univers de la mode… » Orama Nigou a présenté ses robes en cheveux à la Tahiti Fashion Week en juin dernier à l’hôtel Méridien. « L’idée n’était pas d’avoir des retombées financières immédiates, mais de faire parler de mes créations. J’ai beaucoup apprécié l’expérience, et apparemment, ça a fait son petit effet », sourit la créatrice.

Elle a aussi utilisé son tissu pour constituer son dossier pour la poursuite de ses études. Ce dossier lui a permis d’être repérée par l’école des métiers d’arts Raymond-Loewy à La Souterraine (Creuse), où elle fera sa rentrée dans les prochaines semaines, après trois années passées au Centre des métiers d’arts de Papeete. Dans cette école du Massif central, Orama Nigou préparera un Diplôme national des métiers d’art et du design (bac+3, ex-DMA ou BTS arts appliqués), mention « matériaux », option « textile responsable ».

Même si « avec le climat sec de la métropole, le tissu devient plus rigide », Orama Nigou compte profiter de cette nouvelle expérience dans l’Hexagone pour continuer à développer les techniques de fabrication de tissu à partir du cheveu. Elle a déjà quelques idées bien précises : « Pour l’instant, la colle que j’utilise n’est pas biodégradable, et j’aimerais trouver un matériau éco-responsable », explique-t-elle. Autre projet : « Développer le tissage à partir de cheveux ! Mais ça veut dire qu’il faut que je trouve  des cheveux très longs, alors que jusqu’à présent, je pouvais utiliser des cheveux de toutes tailles. Je les découpais… »

 

+ d’infos : 40 43 70 51, www.cma.pf, page Facebook Centre des Métiers d’Art de la Polynésie française

 

 

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