N°129 – Tetiaroa, un « lieu spécial »

 

Service de la culture et du patrimoine (SCP) – Pu no te ta’ere e no te faufa’a tumu129 - Pour vous servir - Fouilles Tetiaroa - Mark Tetiaroa

Rencontre avec Mark Eddowes, archéologue, et Joany Hapaitahaa, historienne au Service de la culture et du patrimoine. Texte : Élodie Largenton. Photos : Mark Eddowes, SCP.

 

Des fouilles préventives ont été menées à Tetiaroa en avril dernier sous la direction de l’archéologue Mark Eddowes. Quasiment aucun dépôt culturel n’a été trouvé, ce qui laisse penser que la partie est de l’atoll n’était pas habitée et ne servait qu’à des cérémonies ponctuelles. Pour Mark Eddowes, cette étude confirme « l’aspect unique et particulier de Tetiaroa dans la culture ma’ohi ».

 

Avec son lagon turquoise, ses superbes motu et sa faune exceptionnelle, Tetiaroa attire les stars hollywoodiennes, de Marlon Brando hier à Leonardo Di Caprio et Robert De Niro aujourd’hui. Mais sa renommée est bien plus ancienne et son histoire bien plus riche. À l’occasion du dépôt d’une demande de permis de lotir par la société de Dick Bailey, Tahiti Beachcomber SA (TBSA), des fouilles archéologiques ont été menées dans la partie est de l’atoll. L’archéologue néo-zélandais Mark Eddowes, qui travaille depuis une vingtaine d’années en Polynésie française, a mené ces recherches avec l’aide de deux assistantes sur les 17 lots concernés, d’une superficie moyenne de 50 mètres de large sur 100 mètres de long. « On a commencé par faire de la prospection sur des structures lithiques qui existent à la surface, puis on a fait des sondages pour voir l’importance des résidus archéologiques », explique Mark Eddowes. L’équipe a choisi de commencer à partir de la passerelle, où se trouve un petit marae tupuna, familial, « un site bien connu, fouillé partiellement par le professeur Sinoto dans les années 1970 », précise l’archéologue néo-zélandais. Puis, les chercheurs ont procédé à des fouilles de l’autre côté de la passerelle, en allant vers le nord, et ils ont terminé par l’examen de l’intérieur de la passerelle, à quelque 60 / 80 mètres de la plage.

Des vestiges d’un ahima’a

Résultat : à part des conduites d’eau et d’électricité « qui datent sans doute de l’époque de Marlon Brando », l’équipe n’a pas trouvé grand-chose. Les dépôts archéologiques sont « quasi inexistants, il n’y a pas d’ossement, pas d’amulette ni d’hameçon, rien de culturellement intéressant », indique Mark Eddowes. C’est ce qu’on appelle des « fouilles stériles », précise Joany Hapaitahaa, historienne au SCP. L’équipe a tout de même découvert un lieu de préparation du repas, un ahima’a, non loin du marae. Sur place, des os de cochons de grande taille ont été trouvés, il s’agissait « sans doute d’offrandes », pense Mark Eddowes. Du charbon a été prélevé pour une datation au carbone 14, qui devrait permettre de dater de manière plus fine la construction du marae ; d’après les études du professeur Sinoto, il ne s’agit pas d’un site très ancien, il daterait du XVIe ou XVIIe siècle. L’équipe de chercheurs a fait une autre découverte : une grande pierre basaltique, en bord de mer. Étant donné qu’il n’y a quasiment pas de basalte sur les atolls coralliens, cela signifie que la pierre a été volontairement prélevée dans une autre île et transportée à Tetiaroa. « Dans les traditions orales, cette pierre est associée à un esprit, une sorte de gardien qui veille sur l’atoll et la zone de pêche », explique l’archéologue néo-zélandais.

Un lieu réservé à l’élite

Si les résultats de ces fouilles peuvent paraître décevants, cela souligne au contraire « l’aspect unique et particulier » de Tetiaroa aux yeux de Mark Eddowes. Cela montre que les relations humaines étaient limitées du côté est de l’atoll, à proximité du lagon. « Il n’y avait pas d’occupation permanente et le nombre de personnes à s’y rendre était très faible. La zone n’était utilisée que ponctuellement pour des cérémonies, et l’activité se concentrait autour du marae », expose l’archéologue. Il rappelle qu’il n’y avait « pas de population manahune » à Tetiaroa, que le lieu était réservé à l’élite, aux personnes de haut rang. En 2014, une prospection des sites archéologiques des îlots avait permis de découvrir une centaine de « structures particulières, uniques, chaque îlot a sa spécificité », rapporte Mark Eddowes. « C’est vraiment un site spécial », souligne-t-il.

La découverte de dépôts archéologiques importants peut freiner un projet de construction. Ce n’est pas le cas ici, la société TBSA va donc pouvoir utiliser ces 17 lots, avec quelques restrictions : « On va faire une emprise pour protéger le marae, avec un périmètre de sécurité de 15 mètres autour de la structure », indique Joany Hapaitahaa. L’archéologue effectuera, par ailleurs, des interventions ponctuelles « pour voir s’il n’y a pas d’autres éléments qui peuvent être étudiés », explique-t-il. Il faudra aussi veiller à ce que les constructions « ne nuisent pas visuellement au marae », ajoute Mark Eddowes. Il ne s’agit pas seulement de contraintes, fait-il remarquer : cela favorise le développement d’un écotourisme durable. Selon l’archéologue, « les gens réclament l’accès à un patrimoine », ils ne se satisfont plus de la seule carte postale.

 

 

Qu’est-ce qu’une fouille préventive ?

Sauvegarder les archives du sol : c’est le but de l’archéologie préventive. Avant la réalisation de travaux « chez des particuliers qui vivent sur des zones culturelles, ou dans le cadre de projets d’aménagement », la loi impose de s’assurer qu’il n’y a pas de vestiges du patrimoine culturel susceptibles d’être détruits, explique Joany Hapaitahaa. Quand la société de Dick Bailey, TBSA, a déposé sa demande de lotir, elle a donc été invitée à engager un archéologue pour procéder à des fouilles préventives sur les terrains concernés. Ce fut le cas aussi, récemment, du site Aorai Tini Hau, qui a fait l’objet de fouilles menées par Paul Niva.

 

Pour en savoir plus sur la réglementation

Code de l’aménagement de la Polynésie française : http://lexpol.cloud.pf/LexpolAfficheTexte.php?texte=114683

 

Code du patrimoine : http://lexpol.cloud.pf/LexpolAfficheCodes.php?code=31

 

Loi du pays n° 2015-10 du 19 novembre 2015 instituant un code du patrimoine de la Polynésie française et précisant le contenu de son livre VI relatif aux monuments historiques, sites et espaces protégés : http://lexpol.cloud.pf/LexpolAfficheTexte.php?texte=459313

 

Arrêté n° 480 CM du 25 avril 2016 relatif à la partie réglementaire du livre VI du code du patrimoine de la Polynésie française : http://lexpol.cloud.pf/LexpolAfficheTexte.php?texte=465958

 

+ d’infos : www.culture-patrimoine.pf

 

 

 

 

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