N°114 – A l’école des arts traditionnels 

Conservatoire Artistique de Polynésie française – Te Fare Upa RauINITIATRICE DU PROJET INGRID MACO TEVANE

Rencontre avec Giuliano Chiello, professeur agrégé de musique au collège de Taravao et chargé de mission d’inspection au sein de l’Éducation, Ingrid Neveling, proviseure adjointe du collège Maco Tevane, Toanui Mahinui et Hinavai Raveino, professeurs de ‘ori tahiti au Conservatoire.

 

Suivant l’exemple et la formidable dynamique des classes à horaires aménagés « CHAM* », lancées depuis cinq ans entre le Conservatoire et le collège de Tipaerui, deux collèges de Tahiti ont décidé d’ouvrir leurs enseignements aux arts traditionnels polynésiens. Nous revenons, aujourd’hui, sur l’expérience menée au collège de Taravao avec la première classe à horaires aménagés du Pays, la classe « CHAD ». Découverte également de ce que le collège Maco Tevane a proposé avec le projet Hooponopono. Dans les deux cas, l’immersion des élèves dans la pratique de leur culture donne des résultats étonnants. Rencontre avec les acteurs de cette petite révolution.

Désormais, les arts traditionnels entrent dans le cursus du collège et seront notés au même titre que l’histoire-géographie ou le français. C’est un nouveau regard sur l’utilité de la culture et des arts traditionnels.

« Amener l’identité traditionnelle plus près de l’institution éducative »

Giuliano Chiello est professeur agrégé de musique au collège de Taravao, et également chargé de mission d’inspection au sein de l’Éducation. Cet homme, passionné par le patrimoine culturel polynésien, a été l’un des instigateurs du projet de classe CHAD au collège de Taravao. Témoignage de l’intéressé.

« Parfois, nous pouvons jouer un rôle dans le cours des choses. Pour cela, il faut se laisser interpeller… Quand je suis arrivé en Polynésie, deux choses m’ont profondément marqué : tout d’abord une culture extraordinairement vivante, avec un patrimoine musical exceptionnel. Ensuite, une institution scolaire, au niveau collège en particulier, fondamentalement coupée de cette richesse, indifférente à ce savoir-faire artistique (sauf ponctuellement lors des journées du patrimoine, des fêtes, parfois des activités périscolaires). Quand on est professeur de musique, cela vous fait réfléchir, vous remet en cause ! Surtout lorsqu’on exerce dans un contexte de décrochage scolaire… Je me suis dit qu’il fallait absolument agir, faire quelque chose, amener l’identité traditionnelle plus près de l’institution éducative. Mais comment faire ? Au niveau de l’Éducation Nationale, les professeurs n’ont pas de légitimité sur ce sujet. Il fallait donc trouver des intervenants – danseurs, musiciens, artistes – ayant une pratique solide, des racines authentiques, et envisager avec eux deux axes de travail possibles : une intervention régulière auprès des élèves ; des interventions ponctuelles auprès des enseignants en poste, pour les former et inspirer chez eux une certaine adaptation de leur démarche pédagogique. Mais dans les deux cas, il fallait trouver un cadre statutaire, des financements ».

Partenariat : le secret de la réussite

« Si j’avais commencé à réfléchir à tout cela en tant que professeur d’éducation musicale, ce n’est que lorsque j’ai été nommé Chargé de Mission d’Inspection que j’ai négocié la bonne solution, à savoir la création d’un partenariat entre le collège de Taravao et le Conservatoire Artistique de Polynésie, dans le cadre des Classes à Horaires Aménagés en Musique et en Danse, un dispositif national régi par une charte très précise. Un tel dispositif en Polynésie n’est pas une nouveauté en soi, puisqu’une classe CHAM existe déjà au collège de Tipaerui. Mais il s’agit là d’une « CHAM option classique », très intéressante, comme tout partenariat artistique de qualité, mais qui n’apporte pas de solution à mon constat initial : un manque d’intégration de la culture (musicale, mais pas que…) polynésienne au sein du collège. De plus, il me semblait essentiel d’introduire également la dimension chorégraphique, si importante et riche de potentiel éducatif et identitaire. C’est pourquoi j’ai entrepris de créer la première double section CHAM-CHAD option arts traditionnels de Polynésie française. »

Le projet était lancé, et les équipes pédagogiques du Conservatoire allaient suivre.

« J’ai rédigé une première esquisse du projet, en octobre 2015, après avoir rencontré la direction du Conservatoire en la personne de Fabien Dinard, lequel s’est déclaré de suite favorable à sa mise en œuvre – je tiens à le remercier beaucoup de sa disponibilité. J’ai également rencontré Madame Sanquer, Ministre de l’Éducation, qui m’a assuré de tout son soutien dans cette action. Ensuite, j’ai trouvé en la personne de Madame Lombardo, Principale du collège de Taravao, un défenseur inconditionnel du projet, dont elle a immédiatement saisi l’intérêt et les enjeux, en particulier pour le bassin de la Presqu’île, enclave identitaire au grand potentiel artistique mais bien souvent, malheureusement, coupée des ferments culturels de la ville, socialement et économiquement fragile. Elle s’est donc emparée à bras le corps du projet, a assuré la suite des négociations institutionnelles (DGEE, Vice-Rectorat…), la promotion auprès des familles et le montage administratif et financier. De mon côté, je contactais et constituais les équipes pédagogiques du Conservatoire et du collège, que je voudrais au passage remercier chaleureusement pour leur investissement : Mme Hernandez, professeur d’EPS-danse, en charge avec moi de la partie pédagogique collège, et les enseignants du Conservatoire, Hans Fataauira, Hinavai Raveino et Toanui Mahinui. »

« Le projet a vocation à être pérennisé »

« L’année zéro est donc pour nous 2016. Nous avons ouvert les portes de la nouvelle section en août, avec une trentaine d’inscrits appartenant à trois classes de 6ème. Ces élèves sont regroupés lors des cours de musique et de danse. Nous avions prévu des auditions et entretiens pour le recrutement, mais finalement le nombre de demandes est resté dans nos possibilités d’accueil. Toutes les demandes ont donc pu être satisfaites. Il faut souligner l’énorme effort financier supporté par le fond social du collège, qui a permis de payer les droits d’inscription au Conservatoire pour les familles en difficulté. Le foyer socio-éducatif a également mis la main à la poche, permettant l’achat d’un ensemble de percussions traditionnelles. Cet aspect économique constituera sans doute un point de réflexion fort pour les années à venir, puisque le projet a vocation à être pérennisé : alors que les actuels 6ème continueront leur cursus CHAM-CHAD jusqu’à la 3ème, une nouvelle section de 6ème démarrera chaque année. A plein régime, les quatre niveaux CHAM-CHAD regrouperaient plus d’une centaine d’élèves. Si nous voulons continuer à assumer un rôle social, en offrant aux plus motivés mais démunis un tel parcours d’études, nous espérons que les pouvoirs publics – Communes, Pays – pourront apporter une aide. »

Un diplôme après le collège ?

« Les élèves des classes CHAM-CHAD peuvent espérer obtenir les diplômes du Conservatoire », poursuit Giuliano Chiello. Mais la durée des études artistiques pour y parvenir dépasse les quatre années de collège. Pour aboutir, il faudrait envisager une suite de cette formation au lycée polyvalent de Taravao, et nous espérons qu’une réflexion pourra être engagée les années à venir. Cette suite pourrait prendre plusieurs formes : un parcours de préparation au BAC option art-danse ; des Classes à Horaires Aménagés sur le modèle du collège ; des classes préprofessionnelles OPECO (sorte de BAC Pro dans le domaine artistique). Je voudrais souligner que, si un tel dispositif devait voir le jour, il faudrait à tout prix garder à l’esprit une logique territoriale cohérente, au-delà des intérêts particuliers des établissements et des combats de prestige. Le lycée de Taravao serait selon moi le choix le plus légitime, non seulement dans un souci de continuité avec le projet déjà en place au collège, mais, je le répète, de par sa situation d’éloignement géographique et culturel, de fragilité socio-économique. »

 

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Rencontre avec Ingrid Neveling, proviseure adjointe du collège Maco Tevane

Si le collège de Taravao a été le premier à se lancer dans l’aventure des arts traditionnels comme composante pleine et entière de la scolarité des collégiens, le nouveau collège Maco Tevane a rapidement suivi. L’une des instigatrices principales, la proviseure adjointe de l’établissement, Ingrid Neveling, témoigne avec un enthousiasme qui fait plaisir à voir… et des résultats à la clé.

« Depuis le 25 novembre 2016, le collège a choisi de porter le nom d’un célèbre académicien et fervent défenseur de la langue et de la culture polynésienne : Maco Tevane. C’est sous le mana de ce grand homme polynésien que le collège a souhaité se placer. Une grande fête a eu lieu au collège en son honneur, en présence de nombreux invités. La culture polynésienne et les arts traditionnels ont été mis à l’honneur comme il se doit. La Polynésie a des atouts majeurs dont une culture extraordinaire et une jeunesse exceptionnelle. Pour permettre aux élèves de réussir leur parcours scolaire et de mettre en valeur leur fort potentiel, tout en s’appuyant sur leurs racines, l’équipe du collège a souhaité orienter sa politique éducative vers la culture polynésienne et les arts traditionnels. Afin de faire bénéficier les élèves des meilleurs enseignements dans le domaine de la langue tahitienne et des arts traditionnels, la direction du collège Maco Tevane s’est appuyée sur une de ses professeurs émérites, Mme Tunutu Vaihere et sur le Conservatoire. Fabien Dinard, le directeur du Conservatoire et son équipe ont accepté de relever défi, et le rêve est devenu réalité ».

Conservatoire : un partenariat essentiel

Depuis la rentrée scolaire 2016, les élèves de 3ème du collège Maco Tevane bénéficient d’un cursus arts traditionnels. Ils se rendent au Conservatoire tous les mardis et reçoivent des enseignements de himene, to’ere et ‘ori tahiti avec Mama Iopa, Moon, Erena, Toanui, accompagnés par l’orchestre traditionnel, soit 3h de cours intensifs hebdomadaires.

« Les effets sont plus que positifs puisque l’absentéisme a été considérablement réduit. Les élèves voient l’école sous un autre jour et ont plaisir à apprendre autrement. Ils ont à cœur de faire vivre leur culture et se sentent davantage responsables envers la société polynésienne à laquelle ils appartiennent », indique Ingrid Neveling. « Nous sommes fiers d’être Polynésiens et je veux un jour moi aussi apprendre ma culture à mes enfants », nous a confié un élève de 3ème. Ainsi, la langue tahitienne reprend vie tout naturellement dans le quotidien de ces adolescents. Les élèves souhaitent poursuivre, après le collège, leur cursus des arts traditionnels, et caressent l’espoir de devenir à leur tour diplômés du Conservatoire, pour voyager autour du monde et transmettre leur passion pour leur culture. Ils ont à cœur de s’investir pour leur fenua, ont gagné estime d’eux même et ambition. Pari gagné !

La relève est déjà là !

La relève est déjà assurée puisque des élèves de 6ème et 5ème de Taravao bénéficient eux aussi depuis la rentrée 2016 de cours de reo tahiti, to’ere, ukulele et ‘ori tahiti, 3 fois par semaine, avec les précieux enseignants du Conservatoire et du collège, et l’aide des Ministères de l’Education et de la Culture. Ce sont ces élèves qui intégreront le cursus des arts traditionnels au Conservatoire l’an prochain. Ils ont hâte !

La question qui peut se poser est à quand un cursus arts traditionnels et culture polynésienne tout au long de la scolarité ?

 

 

Rencontre avec Hinavai Raveino et Toanui Mahinui, professeurs de ‘ori tahiti

« C’est un très beau résultat ! » 

Deux jeunes et brillants enseignants du Conservatoire, Hinavai Raveino et Toanui Mahinui, médaillés d’or de l’établissement en danse traditionnelle, témoignent de leur expérience avec les élèves du collège de Taravao. Les professeurs sont enthousiastes, comme leurs élèves. La rencontre a bien eu lieu. Interview.

Hinavai et Toanui, comment vivez-vous cette première expérience avec les élèves du collège de Taravao ?
Hinavai : J’ai été très contente d’intégrer le collège de Taravao pour cette première expérience de CHAD. Il faut savoir qu’ils sont très éloignés de la ville et que c’est une chance pour eux de pouvoir suivre cet enseignement. Cela leur permet de s’épanouir en dehors des matières générales. Nous avons tout de suite accroché avec eux parce qu’ils étaient très réceptifs et ont beaucoup apprécié ce qu’on leur enseignait.

Toanui : En tant qu’enseignants du Conservatoire, ça nous fait plaisir d’avoir une autre classe, différente dans le sens où ils découvrent avec bonheur ce qu’est le ‘ori tahiti.

Qu’attendez-vous de ces jeunes élèves ?
Hinavai : Nous attendons d’eux qu’ils fassent leurs preuves, c’est à dire qu’ils retiennent ce qu’on leur enseigne. Comme les noms des pas de danse, la technique. Mais ce n’est pas que danser : c’est aussi savoir travailler en groupe, cultiver le respect des autres, la mémorisation des chorégraphies et surtout, l’implication qu’ils montrent, c’est très important et nous prenons tout ça en compte.

Toanui : Leur premier gala de décembre, à la mairie de Pirae s’est très bien passé. Ils ont pris plaisir à venir, à porter leur costume, à répéter. Cela montre leur réelle implication, et c’est déjà un très beau résultat. Nous tenons d’ailleurs à remercier la directrice du collège Madame Lambardo et M. Guiliano d’avoir mis en place ce projet de CHAD.

Comment se déroulent les enseignements ?
Hinavai et Toanui : Nous avons cours de danse deux heures le lundi après-midi. Les élèves ont également cours avec Hans Faatauira, professeur de percussions du Conservatoire et depuis peu, ils rencontrent Mama Iopa et son assistant, Mike Tessier, pour un apprentissage des chants traditionnels et des himene : leur cursus se complète et c’est une très bonne chose.

 

 

Une grande première et une grande fierté : le gala de décembre

Le Gala de fin d’année du Conservatoire, mercredi 7 décembre dernier dans les jardins de la Mairie de Pirae, a été un véritable baptême du feu pour les collégiens de Taravao. Pour Hans Faatauira, professeur de percussions du Conservatoire, l’heure était à la fierté. « Oui, je peux dire que je suis particulièrement fier de mes élèves, que nous avons lancés lors du gala de décembre. Mes petits percussionnistes ont interprété avec brio cinq pehe assignés à des pas de danse – tamau, ori opu, tumami, varu et fa’arapu. D’autres défis les attendent, notamment le gala de To’ata en juin, mais déjà, je leur tire mon chapeau ! »

Idem pour Giuliano Chiello : le sentiment de fierté prédomine. « Ça a été un moment très émouvant. J’étais fier de ces enfants. Je me souviens encore de l’un d’entre eux, il y a plus d’un mois, qui pleurait dans le bureau de Madame Lombardo, il voulait tout arrêter, en proie aux doutes, à un certain repli sur soi, la fatigue et la démotivation, face à un niveau d’exigence élevé – et d’un autre qui « chappait » les cours, pour les mêmes raisons… Et puis, ce mercredi-là, tous les deux, avec les autres, transfigurés de bonheur ! Protagonistes d’un moment, en situation de réussite ! Quel cadeau ! Je pense qu’on peut en être tous fiers, avec le Conservatoire, on leur a offert la possibilité d’être acteurs d’un très beau spectacle, au cœur d’un tourbillon de musiques et de couleurs, mais surtout on leur a offert la confiance en eux, la motivation et un esprit de groupe. Il fallait les voir aussi dans le bus Taravao-Pirae : la complicité, l’entente, une véritable ambiance de troupe professionnelle pour ces 6èmes à leur troisième mois de projet commun ! Alors, imaginez ce que ça peut donner sur 4 ans ! C’est une expérience de vie extraordinaire pour ces élèves. Et pour la Presqu’île, c’est l’assurance d’une relève artistique pleine de promesses. Les élèves se sont également investis pour animer une partie de spectacle du téléthon, dans le stade du collège de Taravao. »

 

 

*Classe à horaires aménagées musique

 

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