N°98 – 1815-2015 : Bicentenaire de la Bataille de Fei Pi

SERVICE DU PATRIMOINE ARCHIVISTIQUE AUDIOVISUEL – TE PIHA FAUFA’A TUPUNA MUSÉE DE TAHITI ET DES ÎLES – TE FARE Mise en page 1MANAHA
CONSERVATOIRE ARTISTIQUE DE POLYNÉSIE FRANÇAISE – TE FARE UPA RAU

Rencontre avec Tamatoa Pomare Pommier, chef du service du Patrimoine Archivistique et Audiovisuel.

Texte : SF. Photo : DR.

 

Le 12 novembre 2015 n’est pas n’importe quelle date : il s’agit du bicentenaire de la bataille de Fei Pi, un évènement fondamental de l’histoire de la Polynésie française. Retour sur ce moment décisif qui a participé à la construction de notre pays…

12 novembre 1815. L’armée chrétienne de Pomare II met en déroute celle – païenne – de Opuhara, chef de Papara. Surnommée la bataille de Fei Pi, elle aurait commencé à Paea pour sans doute prendre fin aux environs de ce qui est aujourd’hui la pointe des pêcheurs de Punaauia. Au regard de plus d’un siècle d’histoire de Tahiti, depuis l’arrivée des premiers Européens en 1767 et l’annexion de l’île en 1880, cette date marque un véritable bouleversement dans l’histoire et la société polynésiennes : avec la réalisation des rêves d’hégémonie des Pomare au détriment des Teva, elle symbolise également l’officialisation du christianisme et l’installation des Européens, notamment dans les Îles-du-Vent. Dans quel contexte politique et théologique cette bataille s’est-elle déroulée ? Quelles ont été les motivations de Pomare II ? Quels bouleversements a-t-elle engendré ? Quels sont les vestiges de cette bataille aujourd’hui ? Pour comprendre l’importance de cet événement dans l’histoire de la Polynésie, Hiro’a vous propose de revenir sur le contexte et les raisons de cette bataille.

La tentative de Purea

Avant la bataille de Fei Pi, Pomare II n’était pas le seul à avoir des ambitions pour sa fa- mille. Son père, Pomare I en avait également, ainsi que ses ennemis. En 1767, la cheffesse de Papara, nommée Purea, avait en effet comme ambition pour son fils Teriirere d’éliminer la coalition des chefs de Tahiti montée contre elle, dont Pomare I faisait partie. C’est à cette époque que le premier Euro- péen, le capitaine Wallis, foule le sol tahitien. Clairvoyante, Purea sait que cette nouvelle donnée influencera l’avenir de l’île, d’autant qu’avec lui l’homme amène des armes à feu. La cheffesse de Papara fait donc du capi- taine Wallis son ami dans l’optique de l’inviter à l’investiture de son fils, pour qui elle a construit le plus grand marae de Tahiti, le marae Mahaiatea. Sans doute s’imagine-t-elle pouvoir alors bénéficier pour l’occasion du mana de « feu » des blancs. La présence des mousquets et canons de Wallis aurait certainement convaincu les adversaires de Purea de son alliance avec les « frères anglais ». Mais l’histoire en a décidé autrement… Le Capitaine Wallis décline l’invitation de la cheffesse. Conséquence : la coalition menée par Tutaha, chef de Paea et oncle de Pomare I, inflige une cuisante défaite à Purea. En 1768, le district de Papara est dévasté, et tous les symboles du dieu ‘Oro ainsi que la ceinture écarlate du arii sont transférés sur le marae Outuaimahurau de Tutaha.

 

L’exil de Pomare ii

En 1789, Pomare I sera plus chanceux : bénéficiant du concours des mutins de la Bounty, arrivés un an plus tôt sur Tahiti, et de leurs armes à feu, il défait les chefs les plus puissants du moment. Il récupère les insignes du dieu ‘Oro ainsi que la ceinture royale, les transfère à son tour sur son marae Taputapuatea à Arue, et investit son fils, futur Pomare II, comme grand chef arii rahi de Tahiti. Ce titre ne permettra pas à Pomare II d’être le vrai et le seul arii de Tahiti. D’ailleurs, ce dernier se fera expulser de l’île par les autres chefs de Tahiti. Ses dérapages, sa cruauté et ses injustices commises entre 1803, date de la mort de son père Pomare I, et 1808, conduiront au soulèvement de la population de Tahiti et à son expulsion. Il se dit que l’homme serait devenu agressif suite au décès en 1806 de son épouse, morte des suites d’un avorte- ment volontaire. Pomare II et Tetua auraient, en effet, fait partie du groupe des arioi dont les membres ne pouvaient avoir d’enfants. Quelques années plus tard, Pomare II épousera finalement une autre femme, Temoemoe, fille cadette de Tamatoa III de Raiatea, lors de son exil à Moorea. Pour l’anecdote, Pomare II devait en réalité épouser la fille aînée de Tamatoa III, Teriitaria. Tamatoa, venu avec les chefs de Huahine, Bora Bora, Raiatea et Tahaa, pour aider le roi Pomare dans sa reconquête de Tahiti, lui avait promis la main de sa fille aînée. Mais le hasard de la navigation fit qu’il arriva sur Moorea avec sa fille cadette d’abord. Pomare II s’éprit d’elle, la choisit pour femme, et fit de Teriitaria, débarquée plus tard sur Moorea, sa concubine, la Pomare vahine.

 

Le rapprochement avec le christianisme

Désormais réfugié dans le fief de sa mère à Moorea, Pomare II renforce ses liens avec ses nouveaux amis les missionnaires de la London Missionary Society arrivés à Tahiti en 1798. Se sentant abandonnés par ses dieux, il se rapproche de plus en plus du christianisme, et comprend alors qu’il ne s’agit pas seulement d’une affaire de religion mais de système politique, auquel d’ailleurs il adhère. En 1815, les pure atua, ceux qui ont adopté la foi chrétienne comme lui, se comptent par centaine. Renforcé par ses nouvelles alliances des Tuamotu et des îles Sous-le-Vent, Pomare II décide en- fin de rentrer sur Tahiti à Paea en novembre 1815. Mais le 12 du mois, sa troupe est attaquée à l’improviste par Opuhara, chef de Papara. Fils cadet de sa famille, ce guerrier a pris le trône suite à la fuite de son frère aîné, Tati, après les massacres de Pomare II perpétrés sur Papara quelques années auparavant. Opuhara a gardé une certaine rancœur de ces évènements, et il n’accepte pas le rapprochement de Pomare II avec le christianisme. Sans attendre ses alliés des Teva i Uta et Teva i Tai, il décide donc, avec ses hommes, d’attaquer Pomare II. Cet événement fondamental dans l’histoire polynésienne a été raconté, entre autres, par William Ellis. Arrivé en 1817 à Tahiti, soit deux ans après la bataille, ce dernier a, en réalité, rapporté un récit raconté par un certain Auna. « Auna, jadis arioi et guerrier, maintenant instituteur chrétien, est celui qui m’informa de ces choses », écrit Ellis dans son journal* dans lequel il raconte la bataille de Fei Pi.

La bataille de Fei Pi

Le 12 novembre 1815, Pomare II et ses huit cents hommes environ, venus de Eimo (Moorea), sont réunis pour un culte public dans un lieu nommé Narii, près du village de Punauia, dans le district d’Atehuru. Il s’agit du marae Narii dont il reste seulement quelques pierres aujourd’hui. Au cours du culte, les hommes aperçoivent alors au loin un « grand détachement d’hommes armés, précédés et surmontés par les drapeaux des dieux et des emblèmes de l’idolâtrie ». Mais Pomare II ordonne que le culte se termine calmement puis fait mettre ses troupes en place. Malheureusement, avant même que les « amis du roi ne soient convenablement formés pour une défense régulière », l’armée païenne arrive et la bataille commence.

« L’attaque impétueuse des idolâtres, accompagnée de toute la furie, des imprécations, et des cris de vantardise en usage chez les sauvages se ruant à l’assaut produisit par son choc une certaine confusion dans l’avant- garde de l’armée chrétienne ». Ecrasés par le nombre, les hommes de l’avant-garde finissent par céder. La bataille fait de nombreuses victimes, blessés et morts. « Les païens poursuivaient leur avance et la victoire semblait accompagner leur marche dévastatrice, jusqu’au moment où ils atteignirent la position occupée par Mahine (ndlr : roi de Huahine), Pomare vahine et leurs compagnons d’armes », relate Ellis. Dans son récit, le pasteur britannique raconte qu’à ce moment-là l’un des hommes de Mahine, Raveae, transperce le corps d’Opuhara, chef de Papara et commandant des forces païennes. Blessé, le guerrier tombe puis meurt. La version de la reine Marau Taaroa, la dernière de Tahiti, diverge de celle du missionnaire. En effet, l’arrière petite nièce de Opuharara conte dans ses Mémoires* que le guerrier de Papara aurait été abattu par un coup de fusil tiré par des « Blancs » dissimulés derrière le marae. Selon elle, Opuhara venait à peine de débarquer et de s’élancer dans la bataille en lançant son cri de guerre… Quoiqu’il en soit, la mort du chef marque la fin de la bataille. « Quand la nouvelle de la mort de Opuhara se propagea, elle sema la panique dans les rangs de ceux qu’il avait commandés », écrit William Ellis. Craignant un pillage puis un massacre, comme il était plus ou moins de coutume après une bataille, les hommes du défunt Opuhara fuient le combat.

En route vers une monarchie chrétienne

A la surprise générale, Pomare II alors maître de la situation, avec Mahine et Pomare vahine qui ont fait preuve d’une grande comba- tivité, interdit tout massacre et pillage des vaincus puis prône le pardon. L’anthropolo- gue suédois Bengt Danielsson a ainsi écrit dans son « Mémorial Polynésien » : « Voyant que la victoire est assurée, Pomare revient à terre et, à la grande surprise de tous, il déclare que l’évangile chrétien enseigne l’amour – te aroha – et le pardon. Aucun massacre, aucune représaille ne doivent avoir lieu. Les vaincus sont si impressionnés par cette clémence inhabituelle qu’ils renoncent à leurs « anciennes croyances dans les semaines qui suivent ». Stratégie ou véritable conversion ? Même si les interrogations ont fait bon train quant à la sincérité de cette clémence du roi Pomare, cet acte de générosité marque sans aucun doute la fin du culte de ‘Oro et le début de la propagation du christianisme aux Îles-du-Vent. Devenu l’unique arii rahi de Tahiti, Pomare II fera détruire tous les marae de Tahiti et Moorea. Monarque absolu au lendemain de la bataille, le roi réorganise également la monarchie dans laquelle les anciens arii deviennent des tavana, terme venant de l’anglais governor. Quatre ans plus tard, le 16 mai 1819, après l’avoir tant désiré, Pomare II est enfin baptisé. Il devient ainsi le premier roi chrétien du triangle polynésien. Le peuple le suivra en masse, même si la conversion n’est pas sincère pour tous les fidèles. Trois jours plus tard, il érige le code des lois Pomare et son royaume devient une monarchie chrétienne. Toute la société polynésienne connaît dès lors un véritable bouleversement. Alors qu’avant les chefs de districts avaient chacun leur pouvoir et leur loi, les Îles-du-Vent sont désormais sous les ordres d’un seul chef et d’une même loi pour tous. Des changements à l’état civil s’opèrent, les noms de famille apparaissent sur Tahiti, certains droits héréditaires disparaissent… Au fil des ans, ce qui fondait la société polynésienne d’antan disparaît, et une nouvelle société se construit. En 1821, Pomare II, réputé pour être un buveur invétéré, meurt des suites d’une maladie et laisse le trône à son fils alors âgé de 1 an. Trop jeune pour gouverner, ce sont finalement des régents qui prendront les rênes du royaume, dont Pomare vahine. La fille de Pomare II, Aimata, prendra ensuite la relève et deviendra Pomare IV. Son règne fût long et complexe. C’est sous sa couronne que sera signé le protectorat français en 1838, et que se déroulera également la guerre franco-tahitienne de 1844 à 1846 dont les Tahitiens sortiront perdants. A sa mort, son fils Pomare V prendra la suite et cédera finalement son royaume à la France le 29 juin 1880. Il y aura donc toujours un « après » bataille de Fei Pi.

L’histoire du lieu et du nom

Un certain nombre de versions ont été don- nées quant à la signification de ce nom « Fei Pi », signifiant mot pour mot « fe’i verts ». Pourquoi avoir appelé cette bataille ainsi ? Certains ont expliqué que celle-ci se serait déroulée dans une plantation de fe’i ou sur une terre portant ce nom. En réalité, la bataille a démarré dans un lieu appelé Narii qui n’est autre qu’un marae situé à Paea, derrière l’actuel magasin Orofero. Selon l’ethnologue Keneth Emory, qui a recensé ce marae fort délabré en 1929, il s’agirait du marae Outu’aimahurau. Aujourd’hui, il n’en reste plus aucune trace sinon une pierre haute de soixante centimètres, encastrée et visible dans le mur de la propriété d’un matahiapo, héritier par son arrière grand-père de ce morceau de terre. A l’époque de son installation en 1975, il ne restait déjà rien du marae, seulement quelques pierres qu’il a utilisées pour construire les fondations de sa maison. La version la plus probable quant à la signification du nom Fei Pi pourrait bien venir de l’historienne Aurora Natua, décédée en 1991. Selon elle, l’appellation viendrait d’un quolibet adressé aux gens de Opuhara. C’est le pasteur Charles Barff, contemporain de Ellis, qui serait à l’origine de cette information, la tenant lui-même de Mahine, arii de Huahine allié de Pomare et témoin actif de cette bataille. Selon Charles Barff, il s’agit en réalité d’une moquerie très polynésienne attribuée par les gens de Pomare aux guerriers en déroute de Opuhara. Ces derniers seraient venus à la guerre pleins d’arrogance, prétentieux comme des enfants immatures, soit comme des fe’i pi. Et lorsqu’ils furent sous les feux de l’armée de Pomare, ils se disloquèrent et volèrent en éclats comme des fe’i pi que l’on jette sur des charbons ardents. Notons que certains contestent cette appellation et militent pour un autre nom plus en adéquation avec la grandeur de cette bataille.

Encadré

Les évènements organisés autour de ce bicentenaire

Même si aucune cérémonie officielle n’est prévue, plu- sieurs commémorations sont néanmoins organisées sur Tahiti pour l’occasion. Ainsi, le Service du Patrimoine Archivistique et Audiovisuel présentera à partir du 9 novembre une exposition dans ses locaux de différentes gravures relatant la bataille ou le contexte dans lequel elle s’est déroulée. De même, l’association Tenete organise au Musée de Tahiti et des Îles l’exposition « Des écritures à l’Ecriture » – dont le vernissage est prévu le 12 novembre – dans laquelle seront présentés des objets récoltés par les missionnaires à l’époque. Du côté du Conservatoire, sous la houlette de John Mairai, un spectacle autour de cet événement sera présenté par le département des arts traditionnels en décembre prochain. Enfin, Robert Koenig, publiera le 12 novembre un livre de 168 pages, inédit, sur la bataille de Fei Pi. Le lecteur y retrouvera des textes de témoins, d’historiens, des études archéologiques et même linguistiques des lieux dits, etc.

Ouvrage disponible à la boutique du Musée de Tahiti, au presbytère de la Cathédrale et dans les librairies.

 

Bicentenaire de la Bataille de Fei Pi : Pratique

  • Exposition au Service du Patrimoine Archivistique et Audiovisuel

A partir du 9 novembre (gravures, extraits de livres et articles)

  • Exposition « Des Ecritures à l’écriture »

Du 13 novembre au 27 mars 2016, au Musée de Tahiti et des Îles

 

Service du Patrimoine Archivistique et Audiovisuel : Pratique

Ouvert au public du lundi ou vendredi, de 8h00 à 12h00

Accès libre

+ d’infos : 40 41 96 01

 

*Sources :

– Archipol n°15 « La dynastie des Pomare »

– William Ellis « A la recherche de la Polynésie d’autrefois » (traduction de « PolynesianResearches », 1829), deux volumes, 1972

– « Mémoires de la Reine MarauTaaroa, dernière reine de Tahiti », 1971

 

** Ouvrage disponible à la boutique du Musée de Tahiti, au presbytère de la Cathédrale et dans les librairies.

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