N°93 – « Tumu-Ra’i-Fēnūa – Taputapuātea »

Service de la Culture et du Patrimoinepasse

 

Sources : SCP.

 

« Tumu-Ra’i-Fēnūa – Taputapuātea », fondation originelle polynésienne défendue pour sa Valeur Universelle Exceptionnelle

 

Le 23 juin 2015, la Polynésie française va présenter à Paris, au Comité des Biens Français, la logique et l’avancement de la constitution du dossier pour défendre la candidature du « Paysage culturel » dénommé Taputapuātea au Patrimoine Mondial de l’Unesco. Si cette étape est franchie sans encombre, le dossier doit ensuite être déposé par la France auprès de l’Unesco en janvier 2016. Un véritable défi pour la valorisation de la culture polynésienne qui mobilise de manière intensive tous les services du Pays afin de faire aboutir ce projet d’envergure, qui marquerait alors l’histoire de notre fenua du premier site classé au Patrimoine Mondial de l’Unesco.

 

Ils sont nombreux à se mobiliser, depuis 2005, pour ce projet fédérateur couvrant quelques 2 500  hectares du Paysage culturel Taputapuātea. Les objectifs de cette candidature sont multiples :

–          Révéler la Valeur Universelle Exceptionnelle (VUE) que représente le « Paysage culturel » Taputapuātea, qui engendra au temps des Mythes l’« Espace civilisateur Mā’ohi » – immense, vaste, océanique et terrestre – aux limites toujours repoussées au-delà du Grand Océan mythique à la fois unique et inédit ;

–          Protéger son intégrité et son authenticité, et valoriser cet espace naturel, social, cultuel et culturel d’exception ;

–          Fédérer les populations locales mais aussi toutes celles qui descendent des anciennes lignées engendrées par cet espace (la Grande famille du Grand Océan de Hīvā) qui régulièrement, reviennent glorifier, honorer et se nourrir du mana de cette Mère-Mythique ;

–          Et enfin transmettre ce patrimoine aux générations futures.

Les attentes sont d’autant plus grandes que l’obtention du label Unesco, au-delà de la reconnaissance internationale qu’il implique, permettrait de gérer durablement le site, de sensibiliser davantage la population à son histoire et d’accroître, de manière significative, sa fréquentation en termes de visiteurs.

« Tumu-Ra’i-Fēnūa – Taputapuātea », un vaste ensemble spirituel, social et culturel

 

 

Plus qu’un ensemble de vestiges et de souvenirs, ce « paysage » comprend en réalité un continuum* spectaculaire :

–          le complexe cultuel, social,  culturel et archéologique, dénommé Te-Pō (les origines / les profondeurs), qui est en fait un ensemble de monuments tels que marae, plateformes, et d’éléments naturels tels que sources, pointe de crête, rochers, essences, sur une avancée dénommée Matahira-i-te-rai au bord du lagon ;

–          les baies Toa-Hīvā  de ‘Ōpoa et Toa-Tapu de Hotopuu ;

–          le lagon au droit du complexe, avec le motu Atāra ;

–          la passe Te Ava Mō’a s’ouvrant vers l’océan, ainsi qu’une bande océanique de 300 m située au-delà du récif frangeant ;

–          enfin, en arrière du complexe et s’étirant vers l’intérieur des terres, la vallée de ‘Ōpoa ainsi que celle de Hotopu’u qui partagent toutes deux une même crête très abrupte, menant jusqu’aux sommets emblématiques du « Paysage culturel », que sont Tea’etapu et ‘Oro-fātiu, culminant respectivement à 772  et 824 mètres.

 

Te-pō – communément appelé Taputapuātea aujourd’hui – est un site cérémoniel hautement sacré, à la fois lieu de culte, dédié dans sa dernière séquence cultuelle au dieu d’alliance et de paix ‘Oro, mais aussi lieu de pouvoir, de tractations et d’alliances stratégiques. La zone archéologique comprend 8 structures principales, parmi lesquelles :

–          le tahua-marae éponyme, le plus vaste, dédié à la fois aux joutes oratoires socio-politiques et aux rituels spirituels et cultuels ;

–          le marae Hauviri, papa des aînés, réceptacle notoire de la célèbre pierre de fondation de tous les marae et sur laquelle étaient intronisés les grands chefs et chefs suprêmes ;

–          le marae  ‘Ōpū-Teina dédié aux lignées cadettes ;

–          le marae Tau’aitū situé sur la terre Hititai destiné aux Illuminés mythiques ;

–          le marae  de Hiro-ari’i, demi dieu et célèbre navigateur du Grand Océan de Hīvā ;

–          plusieurs plateformes pavées de basalte, dont l’une était dédiée à l’exercice du tir à l’arc (plateforme des archers) ;

–          de nombreuses constructions en bois servant à conserver les objets, reliques  et attributs sacrés (Fare Iamanaha), ceux à vocation rituelle (Fare Atua et Fare Tūpāpau), des abris à pirogues (Fare vaa), dont les témoignages de la tradition orale, les écrits et l’iconographie ancienne attestent l’existence, complétaient jadis cet ensemble cérémoniel.

 

Un site monumental d’une saisissante beauté

 

À l’arrière du site, la pente s’élève rapidement vers la crête de la montagne. Des campagnes de prospection dans cette vallée de ‘Ōpoa ont permis de relever en 1995, 2008 et surtout 2013-2014, incluant la vallée de Hotopu’u, environ 350 vestiges archéologiques, tahua et plateformes avec pierres dressées ; soubassements dont celui de la résidence d’un chef notoire (Pani) ; restes d’habitation ; traces d’irrigation et de terrasses de cultures, et grotte avec sépultures de ari’i.

En face du site, le motu Atāra jouxtant la barrière de corail et inclus dans le « Paysage culturel » avait pour fonction de prévenir, par la forme des nuages apparaissant au-dessus de lui, d’augures divers. Enfin, au-delà de la passe et toujours dans le périmètre du « paysage », la tradition rapporte qu’un marae serait immergé à environ 80 m, et serait une des demeures de la Grande Pieuvre Mythique mā’ohi Tumu-Ra’i-Fēnūa, matrice génératrice d’expansion et de paix.

 

 

Un rapport d’experts désignés par le Comité des Biens français 

Dans son introduction à l’exposition « Tumu-Ra’i-Fēnūa », qui s’est tenue sur le site de Taputapuātea du 20 au 26 avril 2015, Hiriata Millaud, ethnolinguiste et attaché culturel du GIE Tahiti Tourisme, qualifie ce dernier de « Site-Mythe », dans lequel est contenue « l’histoire vraie d’un peuple et de sa civilisation, les fondements de sa pensée, les principes de sa religion, les valeurs de ses lois, ses rites, ses attributs, son prestige, son savoir, son expertise, sa technicité, son évolution », faisant de Taputapuātea un « paysage culturel unique, car il correspond à des valeurs humaines, culturelles et primordiales portées néanmoins par une organisation sociale unique, celle de la société polynésienne », indiquent dans leur rapport Wenda Diebolt et Grégory Quenet, les deux experts nommés en qualité de rapporteurs du dossier Taputapuātea par le Comité des Biens Français. Et de poursuivre : « Taputapuātea est considéré par la plupart des auteurs comme le plus important et le plus puissant de tous les marae, et le seul international ayant servi de matrice à des marae répliqués sur le Grand Océan polynésien ». Autant de particularités déterminantes ayant abouti à la conclusion suivante des experts : « Taputapuātea mérite de figurer au Patrimoine Mondial, tant pour ses caractéristiques matérielles de ‘’paysage culturel associatif’’ que comme témoignage insigne d’un élément fondateur d’une civilisation ancienne polynésienne toujours vivante. Au-delà de l’aspect régional, nous considérons qu’il recèle des valeurs communes à l’humanité, dans l’étroite connexion entre la nature et les hommes qu’il illustre, dans le message universel de maintien de la paix entre les peuples qu’il signifie, et plus largement comme porteur d’une véritable civilisation, que l’Unesco s’honorerait de reconnaître. Le site viendrait ainsi combler une importante lacune dans la liste du Patrimoine Mondial. Il ne faut pas se cacher que cette opportunité historique repose sur un pari, celui de la capacité des porteurs du projet à finaliser dans des délais désormais extrêmement courts le dossier de candidature et à faire adhérer l’ensemble de la population locale au projet. La forte implication des acteurs nous laisse penser qu’il peut être gagné. »

 

Prochaine étape : Paris

Un pari que le Pays souhaite ardemment relever. Une délégation, conduite par le Président du Pays, M. Edouard Fritch, s’apprête donc à s’envoler  vers Paris pour promouvoir le dossier de candidature de Taputapuātea auprès du Comité des Biens Français lors d’un grand oral qui aura lieu le 23 juin, et qui permettra aux représentants institutionnels et à une équipe technique** de démontrer, outre la qualité technique du dossier, l’engagement fort des collectivités à gérer cet « espace culturel » de manière durable. La présentation d’un tel dossier se fait habituellement en trois séances. Étant donné l’éloignement de la Polynésie française et le coût induit, le Comité a proposé de réaliser l’ensemble de la présentation en une seule fois.Bas du formulaire Après un marathon, c’est donc à un sprint auquel se préparent les acteurs institutionnels et culturels polynésiens. La ligne d’arrivée ? Obtenir de la France qu’elle défende, en janvier 2016, la candidature du « Paysage culturel Taputapuātea » auprès de l’Unesco.

Mais ce n’est pas fini. Si le scénario se passe comme escompté, il restera à accueillir sur site (septembre 2016) des experts mandatés par le Conseil International des Monuments et des Sites (ICOMOS) qui, après expertise et contrôle, fourniront au Comité du Patrimoine Mondial leur rapport d’évaluation, assorti d’une proposition de décision. Puis, le dossier devra être instruit au Comité du Patrimoine Mondial, instance constituée de 21 États parties de la Convention pour la sauvegarde du patrimoine culturel. Et ce ne serait qu’en juillet 2017 que le Comité du Patrimoine Mondial prendrait sa décision finale et que nous saurions alors si le  « Paysage culturel associatif » — de son nom Premier et Mythique Tumu-Ra’i- Fēnūa, dénommé Taputapuātea pour une communication et une appropriation par toutes et par tous, la plus large possible, figurera sur la prestigieuse Liste du Patrimoine Mondial de l’Unesco.

Qu’est-ce que la Valeur Universelle Exceptionnelle (VUE) ?

 

Ce qui justifie le classement d’un bien au patrimoine mondial de l’Unesco, c’est sa Valeur Universelle et Exceptionnelle. Celle-ci peut être scientifique, patrimoniale, spirituelle, historique… Mais c’est aussi la valeur qu’elle représente pour sa population, avant d’être importante aux yeux du reste du monde. La liste du Patrimoine Mondial compte actuellement 1 007 biens inscrits. Qu’est-ce qui regroupe ces biens, si différents les uns des autres (types, lieux, taille, ancienneté) ? La « Valeur Universelle Exceptionnelle est le critère qui rassemble ces patrimoines, témoins de la diversité et de la richesse de l’humanité et des milieux naturels ».

En 2015, la Liste du Patrimoine Mondial comporte donc 1 007 biens constituant le patrimoine culturel et naturel que le Comité du Patrimoine Mondial considère comme ayant une Valeur Universelle Exceptionnelle. Cette liste comprend 779 biens culturels, 197 naturels et 31 mixtes, répartis dans 161 États Parties.

L’Océanie compte 28 sites classés au Patrimoine Mondial de l’Unesco : 19 en Australie, 1 à Fidji, 1 aux îles Marshall, 1 à Palaos, 1 au Vanuatu, 3 en Nouvelle-Zélande, 1 en Nouvelle-Calédonie, 1 à Hawai’i. 38 sites français sont classés dont 2 en Outre-mer (les lagons et récifs de Nouvelle-Calédonie et les Pitons, cirques et remparts de la Réunion), les deux appartenant à la catégorie des sites naturels. A ce jour, aucun site culturel d’Outre-mer n’est classé…

 

+ d’infos : http://whc.unesco.org/fr/list/

 

 

ENCADRÉ

Et le nom retenu est… « Taputapuātea » 

 

« Te puna ō te hiro’a mā’ohi », « te puna ora », « te puna mā’ohi nō te Mōana-nui-ō-Hīvā », ou encore « paysage sacré, lieu de mémoire mā’ohi »… Des dizaines de propositions ont été faites pour tenter de caractériser au mieux ce « Paysage culturel ». Mais le nom officiel retenu pour porter sa candidature au classement au Patrimoine Mondial de l’Unesco est tout simplement « Taputapuātea ». « Ce choix trouve sa justification d’une part, dans l’usage commun, vulgarisé, généralisé et populaire de ce nom et d’autre part, dans la forte résonance de l’onde symbolique et sémiotique qu’il propage sur l’ensemble du monde océanique polynésien d’Océanie, indique Hiriata Millaud dans son rapport ethnolinguistique. C’est notamment le nom qui aura le plus de chance, nous le pensons, d’obtenir l’assentiment d’une très large majorité de personnes issues de toutes les communautés de Polynésie française : il est court ; il a trait à un monument notoire cultuel et cérémoniel reconnu par tous en Polynésie française ; il a une résonance symbolique et culturelle forte dans tout le triangle polynésien ; il a un rayonnement emblématique en Océanie ; il a aussi une portée internationale à ne pas négliger dans la promotion du tourisme culturel et spirituel de la destination Tahiti et ses Îles ».

 

ENCADRÉ 

« Tumu-Ra’i-Fēnūa», la matrice primordiale, le Mythe-Mère

Par Hiriata Millaud, ethnolinguiste

 

« Il se nomme Tumu-Ra’i-Fēnūa, en lui est le pouvoir de la création, la puissance du divin, l’essence génératrice de la vie et de la mort. Il est le Mythe primordial et originel (tumu) qui préside à la raison existentielle de toute chose et de tout être. (…) Il est le Mythe du divin (ra’i) qui conte la naissance de ‘la race sacrée des immortels toujours vivants’. (…) Il célèbre le rite (tapu) qui rend toute chose et tout être intangible, inviolable, inaliénable. Il engendre les dieux (atua) salvateurs et impitoyables aux pouvoirs immensurables. Il est le Mythe qui génère et régénère tous les êtres et toutes les choses qui constituent le monde en mouvance perpétuelle (he’e-nū/fēnūa) des femmes et des hommes mā’ohi. Il trace et retrace les mille et une routes d’expansion océanique (he’e). Il insuffle dans les cœurs et dans les esprits les valeurs primordiales, de vie (ora), d’humilité (ri’i), de respect (tura), d’amour (ipo), de partage (tau’a), de bonté (maita’i), de paix (hau) et de joie (‘oa’oa). (…)

Il est Tumu-Ra’i-Fēnūa. En lui veille l’ombre silencieuse ; en lui sommeille la lumière toute-puissante ; en lui demeure l’essence vitale primordiale. Tel est le « Mythe-Mère » fondateur et tridimensionnel : il est intangible et inviolable, quand bien même trouve-t-il sa représentation matérielle, sensible et compréhensible dans une entité unique qui est le « Site-Mythe » ou « Vā-Na’ana’a-rahu-ao », le « Paysage Culturel » ou « Vā-Pariāfēnūa », « l’espace Civilisateur » ou « Vā-Mō’a », dont le cœur sanctifié (tapu) consacre et civilise (tapu) aux confins (ā-tea) du Grand Océan de Hīvā. »

 

 

 

* Continuum : ensemble d’éléments tels que l’on peut passer de l’un à l’autre de façon continue

 

** Représentants institutionnels : Le Président de la Polynésie française, M. Édouard Fritch ; le ministre en charge de la Culture, M. Heremoana Maamaatuaiahutapu ; le chef de Service de la Culture et du Patrimoine ; M. Teddy Tehei ; le maire de la commune de Taputapuāte ; M. Thomas Moutame ; le chef de projet, M. Richard Tuheiava ; le Président de l’Association Na Papa e Va’u en charge d’animer le comité de gestion, M. Guy Tauatiti ;  le haut-commissaire de la République en Polynésie française, M. Lionel Beffre.

 

Équipe technique : Agents du service de la Culture et du Patrimoine (valorisation et diffusion, programmation et coordination, archéologie et histoire, traditions orales, documentation, développement et communication), attaché culturel Tahiti Tourisme, consultant en charge de la constitution du dossier (GIE Océanide). 

 

*** Pour en savoir plus : http://portal.unesco.org

 

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