N° 84 – Dossier

Maison de la Culture – Te Fare Tauhiti Nui

Service de la Culture et du Patrimoine – Pu no te Ta’ere e no te Faufaa Tumu

Conservatoire Artistique de Polynésie française – Te Fare Upa Rau

Musée de Tahiti et des Iles – Te Fare Manaha

Centre des Métiers d’Art – Pu haapiiraa toroa rima i

 

Rencontre avec Natacha Helme, conseillère technique au ministère de la Culture, Viri Taimana, directeur du Centre des Métiers d’Art et Frédéric Cibard, attaché de direction au Conservatoire.

Rédaction : VH

 

Honorahu’a, un statut pour les artistes

 

Voici une réflexion essentielle menée autour du statut de l’artiste, dans la lignée du travail accompli en 2009 lors des Etats Généraux de la culture. L’atelier des Etats Généraux « Promotion de la culture polynésienne et développement culturel et artistique », constitué d’une dizaine de personnalités œuvrant dans le monde de la culture en Polynésie, avait insisté entre autres sur l’absence du statut de l’artiste. 5 ans après, le ministre de la Culture Geffry Salmon s’attaque à ce dossier, et lance avec Honorahu’a une grande consultation autour de la culture, de son économie et de ses acteurs, qui devrait déboucher sur une loi de pays.

 

La vie d’artiste n’est pas facile, d’autant plus en Polynésie où vivre de son art reste un fait exceptionnel. Souvent assimilé à la notion de loisir, l’art est rarement reconnu comme un travail à part entière, alors que quelle que soit la discipline, produire une œuvre d’art nécessite des mois, voire des années d’apprentissage, jusqu’à la maîtrise de la technique. Les artistes ont dû se battre seuls jusque-là contre un stéréotype à la vie dure, selon lequel ils exercent leur passion, donc ne travaillent pas vraiment. D’où, entre autres tourments, leur volonté affirmée depuis de nombreuses années de voir naître un statut des artistes. Un souhait qui devrait être exaucé d’ici janvier 2015, par le biais du projet Honorahu’a, lancé fin juillet par le ministère de la Culture. Un projet basé sur la consultation la plus large associant l’ensemble des acteurs du monde de la culture et des arts, les institutions du Pays et le public, et qui vise à doter les artistes et la création artistique du fenua d’un cadre législatif, réglementaire et économique, afin de permettre aux arts de mieux s’organiser, de se développer et de s’épanouir au-delà même de nos frontières.

 

 

Un statut à imaginer avec les acteurs concernés

 

La première étape durera jusqu’au mois de novembre, avec des échanges et débats organisés autour de trois thèmes : la reconnaissance du statut de l’artiste et la place de la création artistique ; l’émergence d’une économie de la culture ; la protection du patrimoine culturel immatériel. Dans ce cadre, les établissements publics culturels (le Conservatoire Artistique, la Maison de la Culture, le Musée de Tahiti et des Iles) et le Service de la Culture et du Patrimoine organiseront des ateliers de travail afin de recueillir les attentes et recommandations du monde de la culture. Parallèlement à ces groupes de travail se tiendront des entretiens individuels avec des acteurs culturels et artistiques ainsi qu’avec des représentants des institutions du Pays. Ces entretiens individuels complèteront les conclusions de ces ateliers.

« Les attentes des artistes ne sont pas les mêmes selon le type d’activité, explique Natacha Helme, conseillère technique en charge du projet au ministère de la Culture. Beaucoup parlent de protection sociale, de salaire, d’autres partent complètement sur d’autres pistes, et c’est là que l’on voit que le débat n’est pas figé. Ils n’imaginent pas tous de la même façon leur statut, donc même si aujourd’hui nous avons une idée de ce statut, c’est avec eux qu’on souhaite l’écrire. »

La rédaction des textes législatifs et réglementaires sur les trois thèmes abordés débutera en octobre. Ces travaux seront complétés par la définition d’une politique sectorielle des arts et une réorganisation du secteur public de la culture pour tenir compte des orientations retenues par le projet Honorahu’a. « Selon les délais qui nous sont impartis par tout le processus administratif, on souhaite pouvoir sortir un texte sur le statut de l’artiste en janvier 2015, poursuit Natacha Helme. Mais il n’y a pas que ça, il y a plusieurs lois de Pays que l’on veut créer pour accompagner ce statut, parce que des lois de Pays doivent venir en soutien afin de répondre efficacement aux besoins de tous. »

Tout le monde est invité à suivre l’avancée du projet pas à pas, des comptes rendus des ateliers et débats jusqu’aux ébauches des textes, et y participer à tout moment via un site Internet et une page Facebook dédiés à Honorahu’a.

 

3 questions à…

Natacha Helme, conseillère technique au ministère de la Culture

 

Que signifie Honorahu’a ?

Hono signifie le lien et rahu’a est le mot qui a été choisi pour identifier l’artiste, le créateur. Honorahu’a symbolise le lien que l’on veut créer entre tous ces artistes et tous ces arts.

 

Qui est concerné par ce statut en préparation ?

Tous les artistes confondus dans tous les secteurs que l’on aura identifié : musiciens, danseurs, auteurs, chanteurs, interprètes, peintres, dessinateurs, sculpteurs, graffeurs… Nous souhaitons identifier un maximum d’arts, traditionnels ou contemporains, pour permettre de mettre en place un statut qui réponde un minimum aux besoins des artistes.

 

Pourquoi ne le faire que maintenant ?

L’idée fait partie du programme du gouvernement depuis le début, mais c’est un projet complexe et long à mettre en œuvre. Il s’agit de lancer une consultation efficace afin de parvenir à un statut qui ne laisse de côté aucune forme d’art.

 

 

Les établissements et services culturels concernés

 

Le Conservatoire Artistique, le service de la Culture et du Patrimoine, la Maison de la Culture et le Musée de Tahiti et des îles sont chargés d’organiser des tables rondes regroupant par discipline artistique les acteurs du monde de la culture et des arts.

Ainsi, le Conservatoire animera un atelier sur la danse et les arts traditionnels, un atelier sur la danse classique et moderne et un atelier sur le théâtre. « Chaque atelier a son importance », explique-t-on du côté de la direction de Te Fare Upa Rau. Mais il va de soi que l’atelier concernant la danse traditionnelle couvre, à lui seul, plusieurs milliers de pratiquants et que le ‘ori tahiti est le vecteur royal de promotion de l’identité du fenua. « Tous les arts traditionnels sont impliqués dans la danse, du ‘orero à la création de la musique en passant par la chorégraphie, la textuelle, les costumes, les arts du spectacle, les shows et les tournées… Il était donc fondamental d’organiser une rencontre entre les différentes personnalités animant la vie et les métiers de la danse. »

Quid des tensions entre les différents chefs de groupe ?

« Nous ne nous situons pas à ce niveau et il faut savoir faire la part des choses », souligne Frédéric Cibard, chargé des relations publiques au Conservatoire. « Il est vrai que le monde de la danse est composé de fortes personnalités. Ceci dit, il nous est demandé d’ouvrir notre établissement pour accueillir et surtout entendre toutes les personnes compétentes, toutes les bonnes volontés souhaitant apporter leur pierre à la construction effective de ce statut. Si chacun se concentre sur ce qu’il a à apporter et partager, alors le premier pas, toujours décisif, sera le bon. »

 

Le Service de la Culture et du Patrimoine, représenté par son chef de service Teddy Tehei et par Natea Montillier, ethnologue, animera également trois ateliers : les arts littéraires, les arts du numérique avec les réalisateurs, producteurs et directeurs d’antennes et un dernier nommé « artisanat – vie quotidienne » qui comprend notamment les sports traditionnels, la cuisine, la couture, le jardinage, la bijouterie d’art ou encore la construction de pirogues.

Du côté de la Maison de la Culture, deux ateliers sont menés : musique traditionnelle et musique contemporaine. Enfin, l’équipe du Musée de Tahiti et des Iles animera pour sa part deux autres ateliers : les arts plastiques, qui comportent notamment les secteurs de l’architecture, la gravure et la peinture ; et le secteur scientifique, avec entre autres disciplines l’anthropologie, la muséographie et l’archéologie.

 

Dix groupes ont ainsi été constitués, chaque groupe se composant d’une trentaine de personnalités par discipline. Au total, ce sont environ 300 acteurs du monde de la culture qui débattront ensemble autour des trois thèmes de réflexion du projet. Ces tables rondes se tiendront jusqu’au mois de novembre. La volonté des organisateurs est de réunir au moins une fois par mois chacun de ces groupes afin de pouvoir approfondir les débats sur les thèmes retenus.

 

 

Un questionnaire ouvert à tous

 

Le projet Honorahu’a est basé sur une consultation la plus large possible afin de déterminer les pistes à suivre et à adopter. Pour ce faire, un questionnaire a été élaboré et mis à disposition de tous, artiste ou non, sur le site www.honorahua.pf.

La première partie du questionnaire porte sur la reconnaissance du statut de l’artiste et la place de la création artistique et aborde des questions telles que la définition de l’artiste, les conditions d’accès au statut d’artiste, la définition des attributs que confère un statut d’artiste et finalement les moyens d’encourager et de mettre en valeur la création artistique en Polynésie française.

La deuxième partie a pour objet les éléments favorables à l’émergence d’une économie de la culture et propose de s’interroger sur la formation et l’enseignement des arts, la rémunération des artistes, la place des initiatives privées, la place du Pays, les échanges internationaux culturels et le tourisme culturel.

La troisième et dernière partie aborde le thème de la protection du patrimoine culturel immatériel. Elle expose les problématiques touchant au recensement et au suivi de l’évolution des arts et permettra de rechercher les moyens à définir et mettre en place pour la protection de ce patrimoine et de la propriété intellectuelle, ainsi que pour la sensibilisation du public à leur préservation.

 

 

Suivre l’avancée du projet sur le Web

 

Le ministère de la Culture a mis en place un site Internet et une page Facebook pour permettre à chacun de se tenir informé de l’avancée des travaux durant toute la phase de concertation et de contribution. Le site www.honorahua.pf, exclusivement conçu pour ce projet, est accessible à tous depuis le 29 juillet 2014 et ce jusqu’au 31 janvier 2015, date prévisionnelle d’adoption des textes de loi par l’Assemblée de la Polynésie française. Il propose différentes rubriques où les internautes trouveront toute l’information concernant le projet Honorahu’a et l’avancement des travaux en cours, avec notamment des comptes-rendus d’ateliers et une newsletter éditée tous les mois. Celle-ci compilera l’essentiel des échanges, propositions et informations sur le sujet du mois écoulé.

 

 

Participer au débat via Facebook

 

Une page Facebook « Honorahu’a » a été créée pour permettre à tous de réagir et participer au débat. Une question d’actualité, basée sur les échanges nés au sein des ateliers ou sur des réponses obtenues via le questionnaire en ligne, permettra d’animer les échanges sur cette page. Ainsi, une question devrait être proposée toutes les semaines ou une semaine sur deux, selon les réactions du public. Une société prestataire a en charge l’animation du site Internet et la page Facebook pour que l’interactivité avec le public soit quasi-immédiate.

 

Viri Taimana, directeur du Centre des Métiers d’Art

« Parlons-nous artistes polynésiens ou artistes en Polynésie ? »

 

« L’association « amicale du Centre des Métiers d’Art, Te hoa tumu » a proposé la charte graphique du site Honorahu’a. Celle-ci est inspirée du monde végétal et des motifs des îles de la Société comme les tapa. Nous souhaitons amorcer une représentation en marge des clichés adoptés par les agences de communication en général. La volonté affirmée étant de produire du contenu dont l’esprit résonne avec nos « tripes » et où références culturelles tahitiennes et océaniennes marquent la continuité de nos pratiques à travers des supports et médiums actuels. Les questions cruciales seront ‘’pour qui et pourquoi ?’’ Admettons que nous envisagions une acculturation de la société polynésienne, sur quelle base allons-nous définir la représentation de cette société pour extraire le statut de l’artiste ? Parlons-nous artistes polynésiens ou artistes en Polynésie ? Toutes ces questions et bien d’autres méritent d’être posées ! Le Centre des Métiers d’Art n’est qu’un outil, c’est le lieu des interrogations et des reformulations visuelles par expérimentations et accomplissement sensible de soi pour une insertion dans la vie sociale. Le fait d’être présent parmi les institutions de la Culture, même si l’établissement relève de la tutelle de l’Artisanat, montre qu’il n’y a pas de frontière, de cloisons entre nos structures. C’est juste la pensée qui diffère ! »

 

 

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