« Vivre chaque jour de mini embrasements culturels »- Février 2013

10 QUESTIONS À

Greg Germain, président du Jury du 10ème FIFO

« Vivre chaque jour de mini embrasements culturels »

C’est désormais la tradition : Hiro’a donne la parole au président du Jury du FIFO dans ce numéro très largement consacré au festival. Greg Germain, comédien, metteur en scène et président de l’agence de promotion des cultures d’outre-mer, nous raconte sa fonction, parle d’histoire et de sentiment, de survie et de mondialisation : c’est certain, nous sommes bien en plein FIFO !

Connaissiez-vous le FIFO ?
Bien sûr, Wallès Kotra, président de l’AFIFO, m’avait invité à la première projection à Paris du premier film primé par le Jury du premier FIFO. Je l’avais chaudement félicité d’avoir eu l’idée de cette manifestation qui nous permettait enfin de voir autre chose et surtout de mieux connaître cet immense Pacifique.

Comment avez-vous ressenti le fait d’être choisi comme président du Jury du FIFO 2013 ?
La réponse à cette question est toujours un peu bateau et je m’en excuse, mais elle est extrêmement sincère : avec une immense fierté et aussi un grand bonheur multiple… D’abord, connaître ce grand pays qu’est la Polynésie, rencontrer d’autres langues et aussi de savoir que l’on marque l’histoire en étant le premier Caribéen à remplir cette fonction.

Justement, comment concevez-vous cette fonction ?
Comme celle d’un accompagnateur bien sûr. Réunir mon Jury, comprendre les sensibilités de chacun, parler à tous, tout en leur demandant d’avoir en tête que le FIFO n’est pas un festival comme un autre, que le monde océanien est d’une grande complexité, à la fois moderne et tellement ancien (au sens propre du terme), celui d’anciennes civilisations prégnantes encore aujourd’hui, malgré toute la modernité et toute la globalisation. Garder aussi en mémoire que c’est un marché du film qui se développe et que là aussi, nos choix doivent en tenir compte. Oublier notre prisme d’Occidental, aborder les œuvres « avec le regard du fils et la vision de l’étranger », comme le dit le philosophe Edouard Glissant.

Est-ce que vous connaissez l’Océanie, quel regard portez-vous sur cet espace ?
L’Océanie. Un vaste monde, tout à fait mystérieux aux yeux d’un Européen et encore plus à ceux du Caribéen que je suis. Tous les pays d’Europe se touchent, sont mitoyens devrais-je dire. Quant à la Caraïbe, depuis le Sud de la Floride, on peut voir toutes les îles de l’archipel jusqu’à l’Amérique du Sud. On pourrait presque toucher les îles. Ce qui fait que nous n’éprouvons pas ou peu ce sentiment de solitude qui souvent étreint les insulaires. Ceux que je nomme les peuples îliens. La solitude des peuples d’Océanie les a conduit malgré les distances inhumaines de ce vaste océan à peupler les milliers d’îles qui le composent. Le sentiment qui me saisit à chaque fois que je regarde un globe terrestre, ou que je lis des écrits de voyageurs ou encore que je vois certains documentaires, c’est que je me trouve en face d’un questionnement profondément humain. La recherche identitaire, les rapports politiques et économiques face à des mondes tellement plus forts et qui vous envoient des tsunamis d’images descendant du ciel et qui comme le tsunami marin, détruit des civilisations entières.

Qu’est-ce qu’un « beau » documentaire ou un documentaire « réussi » selon vous ?
C’est un documentaire qui doit refléter la complexité de la richesse du sujet traité. Qui doit aussi nous conduire automatiquement à comprendre, partager et aimer l’histoire qui est racontée.

Au hasard, y en a t-il un qui vous a particulièrement marqué ?
Deux en particulier. Mais je n’ai pas vu tous les documentaires du FIFO : « Tjibaou, le pardon » un documentaire de Wallès Kotra sur la tragique histoire du pardon entre les tribus de Hienghène (celle de Jean-Marie Tjibaou) et la tribu de Djubelly Wea, à Ouvéa, quelques années après la terrible tragédie. Et « There once was an Island », un documentaire sur la disparition programmée d’une île à cause de la montée des eaux. Les problèmes posés par les paysages qui disparaissent insidieusement, comme avalés par la mer. Savoir qu’il faudra tôt ou tard partir, fuir, quitter à jamais sa terre natale qui sera effacée de la surface du globe, et une question qui est le nœud même de l’humanité depuis Néandertal : que deviendront les morts ? Ces deux documentaires ont été projetés dans mon théâtre « La Chapelle du Verbe Incarné »
à Avignon. « Le Pardon » est tourné vers l’avenir tout en nous racontant une vision prophétique du passé. « There once was an Island » nous inscrit dans une problématique sans avenir. Poignants tous les deux. Tout le monde dans la salle pleurait pendant la projection de ces deux films.
Il est d’ailleurs dans mes intentions de proposer au FIFO une semaine de projection à Avignon pour marquer ce dixième anniversaire et éventuellement pour devenir une sorte de Hors les murs, à l’instar de Cabourg ou au moins un partenaire qui pourra répercuter à Avignon les meilleures productions du FIFO.

Vous avez été nommé Président de l’Agence de promotion des cultures de l’Outre-mer. Quelles seront vos missions ?
Essentiellement de faire connaître les mondes d’outre-mer en France et plus largement en Europe. Montrer que les productions artistiques matérielles ou immatérielles de « la France d’ailleurs » sont bonnes pour le monde, lui apportent quelque chose. Un quelque chose qui je le sais, aujourd’hui fait défaut à la France. Ou en tous cas lui est terriblement nécessaire. Mon ambition citoyenne a toujours été de vouloir jouer un rôle de passeur, de facilitateur et c’est dans cet esprit que j’entends construire cette Agence et toutes mes expériences – professionnelles et personnelles, en tant qu’acteur, puis fondateur des théâtres d’outre-mer en Avignon avec Marie-Pierre Bousquet et aujourd’hui Président du Festival OFF d’Avignon – me seront utiles pour mener à bien cette périlleuse mission.

En quoi les « Outre-mer » sont-ils « terriblement nécessaires » à la France ?
L’histoire, la vitalité et les singularités de chacun des peuples d’Outre-mer, chacune de ses histoires, de ses langues et de ses peuples, mais aussi son patrimoine immatériel, sont une chance et une richesse pour tous les Français. Oui, une chance extraordinaire pour la France qui ne le sait pas encore. Il est de notre devoir, nous qui le savons, de le lui faire découvrir. Et il faut aller vite car la France se rabougrit avec la banalisation de l’extrême droite. Œuvrer pour la diffusion des cultures d’outre-mer c’est œuvrer, avec l’Outre-mer, pour le développement de la France.

Vous êtes administrateur de l’audiovisuel extérieur de la France : en quoi consiste ce rôle ?
Veiller là encore, obstinément, inlassablement, à faire entendre notre voix. Rappeler par ma simple présence que l’Outre-mer existe et que l’on doit en tenir compte…

Un message à nos lecteurs en attendant le FIFO ?
J’ai hâte d’être avec vous, parmi vous, de vous entendre, de vous parler et d’échanger. Ce qui est pour moi la chose la plus précieuse. Faire partie de ce laboratoire de culture, vivre chaque jour sur place de mini embrasements culturels qui, comme le dit Edouard Glissant qui nous a quitté dernièrement, forment le Tout-Monde.

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