« Résoudre des questions de forme et de fond »- Décembre 2012

CULTURE BOUGE

 

Centre des Métiers d’Art – Pu haapiiraa toroa rima i

 

Rencontre avec Alexander Lee, artiste invité au Centre des Métiers d’Art.

 

 

 

« Résoudre des questions de forme et de fond »

 

Invité par le Centre des Métiers d’Art, Alexander Lee, artiste polynésien habitant New York depuis plus de 15 ans, intervient depuis début novembre auprès des élèves. Objectif : les sensibiliser à l’expression contemporaine conceptuelle, nourrir leur réflexion de références intellectuelles et visuelles pour être en mesure de réaliser, à terme, un projet d’exposition collective au Musée de Tahiti, puis exportable vers l’une des plus grandes capitales artistiques : Manhattan. 

 

Apporter des réponses concrètes à des questions complexes ; pas des réponses tranchées, mais des points de vue selon des thèmes, des parcours personnels, et ce qui rend leur démarche intéressante pour les autres. Car quelles sont les fonctions et la raison d’être de l’art aujourd’hui ? Ce sont ces clés d’appréhension et de compréhension – de déconstruction aussi – qu’Alexander Lee tente de donner aux élèves du Centre des Métiers d’Art depuis quelques semaines. L’artiste, qui revient à Tahiti de temps à autre, a souhaité s’investir aux côtés des futurs créateurs polynésiens : initiative que Viri Taimana, directeur du Centre, a immédiatement soutenue.

A partir de sa propre démarche et de celle d’autres artistes contemporains, que ce soit par la sculpture, la vidéo, la photo, l’installation ou la performance, Alexander Lee initie donc les élèves à un travail conceptuel et critique pour trouver, ensemble, une potentialité productricepertinente, une réponse créative ou tout du moins une expérimentation innovante susceptible de communiquer un message au public.

« L’idée est de leur permettre de trouver les outils pour développer un autre regard sur eux-mêmes, et de nous raconter cette vision», explique l’artiste.

 

De Henri Hiro aux aliens hollywoodiens

 

« Poser des questions de forme et de fond et y répondre par une production visuelle et culturelle », telle est la construction artistique contemporaine qu’Alexander Lee poursuit et exécute depuis plusieurs années. Originaire de Mahina, il a passé son enfance sur le sable noir de la Pointe Vénus avant d’entamer des études supérieures d’art aux Etats-Unis. Juste avant, il fait une courte incursion à Paris, caressant l’éventualité de rentrer aux Beaux-Arts, tentative qui finalement ne le comblera pas : « je voulais toucher à tout, or, les cours des Beaux-Arts restaient figés dans une certaine tradition artistique trop académique à mon goût ». Mais à Paris, Alexander Lee découvre néanmoins une pratique artistique contemporaine qu’il ne soupçonnait pas. Il part alors pour la Californie où il suit pendant 4 ans des cours dans un Community College  de San Diego. Là-bas, il peut choisir son propre cursus artistique. Un de ses professeurs, Richard Lou, est un artiste Chicano** et lui parle d’engagement politique dans la représentation culturelle. Sa relation à l’art devient alors plus qu’évidente : c’est sa vocation. Il obtient une bourse pour poursuivre sur un Master of Fine Arts (beaux-arts visuels) à la prestigieuse université de Columbia, à New York. Avant de devenir « artiste à plein temps », Alexander a travaillé pour Matthew Barney, figure importante de l’art contemporain dans le monde – l’un des plus jeunes artistes ayant eu une rétrospective au Guggenheim museum.

Depuis 2006, l’artiste polynésien s’attache à développer sa propre production. L’analyse et le travail qu’il mène sont surprenants, subtils et engagés dans une voie complexe, synthèse très personnelle de l’histoire, des mythes et de la culture polynésienne. Dire qu’il interroge l’histoire polynésienne d’hier à aujourd’hui serait probablement trop réducteur. Alexander Lee mène une réflexion profonde sur les mythes fondateurs, la colonisation religieuse et culturelle, ses origines Hakka et le rôle d’un esprit créateur dans le monde de demain. Il cite Teuira Henry, Pierre Loti, Paul Gauguin, Victor Segalen, Henri Hiro – qu’il re-découvre – et parle de « relation cannibale » entre les cultures, mais aussi de curiosité vers « l’autre » — lors de la rencontre entre les navigateurs occidentaux et polynésiens, par exemple. Il lie cette ouverture à la fascination contemporaine pour les extra-terrestres, notamment dans les films Hollywoodiens, et note leurs conséquences culturelles : le mot alien aux Etats-Unis est aussi utilisé pour nommer les étrangers. Dans sa démarche de décomposition et recomposition culturelle, Alexander Lee aborde notre histoire nucléaire, ce « tupapau intérieur » qui vit encore dans chaque habitant de Polynésie, et qui figure dans son travail.

 

Le sable volcanique pour fondation

 

C’est un amalgame d’histoires, d’identités et de symboles dont il est lui-même issu, qu’il met en abîme à travers des sculptures et des installations souvent monumentales et toujours surréalistes. Le souvenir du sable noir de la baie de Matavai, « son onctuosité et sa couleur au couchant » évoque-t-il, est le point de départ de ses œuvres, réalisées à partir de cette matière inhabituelle ensuite mélangée à de la résine. Ses créations artistiques résultent de l’interprétation des symboles et des clichés polynésiens, inventant de nouvelles relations avec eux, jouant de leur sens et de leur impact et réécrivant ainsi une nouvelle iconographie polynésienne.

Ses œuvres, introspectives, révèlent chaque fois un peu plus son identité artistique et son désir de transmettre des valeurs humaines.

Un parcours atypique sous le signe du talent et de la détermination que les élèves du Centre ont la chance de pouvoir partager jusqu’à la fin de l’année 2012.

 

Pour en savoir plus 

www.alexanderleestudio.com

 

 

* Un Community College est un établissement supérieur qui propose des cours dans des domaines les plus divers.

** Américain d’origine Mexicaine.

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