La vie secrète des objets du Musée de Tahiti… – Avril 2012

DOSSIER

Musée de Tahiti et des Iles – Te Fare Manaha

 

La vie secrète des objets du Musée de Tahiti…

 

Ce mois-ci, nous vous convions à un voyage pas comme les autres ; un voyage dans les réserves du Musée de Tahiti et des Îles. Car derrière la façade des expositions permanente et temporaires, se cachent des trésors qui ont été ou seront exposés au public un jour. Un sanctuaire qui renferme des témoins de l’histoire polynésienne d’hier à aujourd’hui.

 

Bienvenue dans les réserves du Musée de Tahiti et des Iles. Ici, nous retrouvons une bonne partie des 30 000 objets qu’elles contiennent, dont les plus anciens datent des temps immémoriaux. C’est-à-dire ? Des objets à l’histoire et au destin hors du commun, dont beaucoup sont de véritables rescapés. Effigies divines (ti’i, to’o, tiki, etc.), parures de chefs en os, plastron de deuilleur en nacre, chapeaux tressés par la Reine Pomare, mais aussi tapa, pahu, lances, casse-tête, umete géants… Des objets qui ont parfois fait le tour du monde avant de revenir, quelques siècles plus tard, sur leur terre originelle. On considère par exemple que le capitaine Cook et ses hommes ont ramené en Europe plus de 2 000 objets polynésiens, aujourd’hui disséminés dans les musées et chez les collectionneurs du monde entier, ou tout simplement disparus. Le Musée de Tahiti a pu en retrouver certains, à l’instar de cette herminette en bois et basalte, probablement collectée par Cook lors de son 3ème voyage dans le Pacifique : anciennement au « Leverian museum » de Sir Ashton Levers, très grand cabinet de curiosité londonien dont les collections furent vendues aux enchères en 1806, l’herminette fut achetée par le collectionneur Hooper avant d’entrer dans les collections du Musée de Tahiti et des îles.

On continue à déambuler parmi les costumes de danse du Heiva et quelques statues monumentales, entre lesquelles on peut tomber sur des pièces pour le moins insolites : tel ce bac en tôle, dont on apprend qu’il servait à recueillir les têtes tranchées à la guillotine ! Le Musée de Tahiti possède en effet une réplique de la seule et unique guillotine ayant sévi – une seule fois – à Tahiti. Un pan de l’histoire contemporaine polynésienne que le Musée se doit de préserver, au même titre que les œuvres pré européennes. L’occasion de revenir sur l’histoire des collections de l’établissement…

 

Te fare manaha, la maison des trésors sacrés

 

Créé en 1974, le Musée de Tahiti et des îles est l’héritier de l’ancien musée de Papeete, fondé en 1917 par la Société des Etudes Océaniennes (SEO). Actuellement, le Musée présente dans ses salles d’exposition permanente les collections réunies entre autres par la SEO et celle de Tenete, association religieuse et oecuménique. Les collections couvrent l’ensemble des archipels de la Polynésie française, on dénombre également quelques pièces en provenance de Nouvelle-Zélande, Hawaii, Fiji, Tonga, Rapa Nui…

Milieu naturel, culture polynésienne pré-européenne et histoire (navigateurs, missionnaires, etc.) constituent les thématiques du parcours muséal.

La collection d’ethnographie représente le point fort du Musée de Tahiti et notamment la collection Hooper. L’acquisition de 29 objets de cette prestigieuse collection anglaise a été rendue possible grâce à la volonté des héritiers Hooper, respectant ainsi la volonté du collectionneur qui désirait que ces objets puissent retourner à Tahiti, ainsi que grâce à l’aide de la Direction des Musées de France (DMF).

Les collections ethnographiques évoquent la culture matérielle – outillage, vannerie, habitat, navigation, ornements et tatouages – et la vie sociale et religieuse – attributs du chef, jeux et sports, instruments de musique, armes de guerre, rituels liés à la mort et à la religion. Mais, « sur les 30 000 objets recensés dans nos collections, moins d un millier est exposé », souligne Tara Hiquily, chargé des collections ethnographiques au Musée de Tahiti et des Iles. Pourquoi certaines oeuvres sont-elles reléguées au « grenier », tandis que d’autres ont le privilège de figurer derrière des vitrines éclairées ? « On doit opérer une sélection par rapport à l’intérêt historique et scientifique des pièces, précise-t-il. Mais aussi parce que si tous les objets sont inventoriés, tous n’ont pas encore été étudiés. D’autres, enfin, nécessitent des conditions de conservation extrêmement strictes en raison de leur fragilité. » Dans les réserves, le taux d’humidité est soigneusement contrôlé (entre 50 et 55 % d’humidité dans l’air) pour empêcher le développement de moisissures et la prolifération d’insectes ; tandis que la température doit être nécessairement comprise entre 21 et 23 degrés.

Vous l’aurez compris, les réserves du Musée de Tahiti constituent la partie cachée de l’iceberg. C’est ici que la majeure partie du travail de conservation des œuvres, études et recherches y est réalisée. Mais le Musée n’a pas seulement pour fonction de conserver et de montrer, il est aussi un lieu de renaissance où l’objet chargé d’une âme et d’une histoire continue à vivre d’une autre manière, avec un autre rôle : celui de faire le lien entre les générations et les cultures.

 

ENCADRES

 

Les différentes collections des réserves ? du Musée ?

 

Milieu naturel 

La Polynésie est un environnement riche et original, autant pour sa flore que pour sa faune. Une biodiversité qui est aussi particulièrement menacée. Le Musée se veut être le témoin de cette richesse et recèle plusieurs collections de référence.

Collection d’ornithologie : elle est constituée d’une centaine d’oiseaux naturalisés de Polynésie française. Les plus anciens datant de 1921. Depuis 1991, la collection s’enrichit de spécimens donnés par la Société d’ornithologie de Polynésie française, Manu. Elle renferme de nombreuses espèces endémiques menacées comme la Gallicombe erythroptére, ou quel est son nom classique ?.

L’herbier : Créé en 1981 par un botaniste de l’IRD, Jacques Florence, l’herbier est hébergé par le Musée depuis 1992. Il comprend environ 15 000 parts (plantes séchées, identifiées et montées) et près de 200 fleurs et graines conservées dans l’alcool, représentant plus de 1500 espèces collectées dans les différents archipels de Polynésie française ainsi qu’à Pitcairn. Elle s’enrichit tous les ans de nouvelles collectes. Les plus anciennes parts données par le Muséum d’Histoire Naturelle de Paris datent de 1847.

Collection de coquillages : La collection de la Société des Études Océaniennes commencée au début du XXe siècle par le frère Alain est à l’origine de cet ensemble. Elle est complétée en 1987 par la collection d’Yves Malardé renfermant de très rares spécimens. La collection comprend aujourd’hui 1 685 spécimens représentant près de 580 espèces, dont certaines endémiques, comme le Lambis crocata pilsbryi ou quel est son nom classique ?.

 

Collection ethnographique 

Elle contient environ 12 000 objets, couvrant tous les domaines matériels de la Polynésie d’autrefois. Des objets lithiques très bien conservés (lames d’herminettes, pilons, ti’i) ; une impressionnante collection d’hameçons en nacre ou en bois, des poids et des ancres de pêche, des nasses et des pièges d’origine végétale, pirogues, pagaies, autant d’éléments qui illustrent la maîtrise que les Polynésiens avaient de leur environnement. Côté domestique, on trouve de nombreux objets de vannerie ainsi que des ustensiles (râpes coco, contenants de toutes tailles, pèle fruits, etc.) et du petit mobilier (tabourets, appuie nuque). De la religion ancienne, sont conservées des représentations de divinités et d’ancêtres (to’o, ti’i et tiki en bois ou pierre). Le Musée conserve de superbes parures très raffinées, confectionnées en nacre, ivoire, plume ou nacre et finement assemblées avec des fibres ou des cheveux. Pagaies cérémonielles, bâtons de chefs et autres armes de guerre (lances, massues et casse-tête marquisien) sont à la fois impressionnants et élégants, tels des objets d’apparat. De la danse et de la musique autrefois quotidiennement pratiquées lors des divertissements et des rites, il reste des flûtes nasales, des conques d’appel en bois et en triton et des bâtis de tambours, dont un immense pahu marquisien acquis récemment (2,40 mètres de haut). Une collection de costumes de danse des années 1950 à nos jours atteste de la vitalité de cet art dans la société polynésienne contemporaine.

 

Beaux-arts 

Cette collection comprend environ 3 000 pièces, des œuvres de la fin du XVIIIe et du XIXe siècle qui en plus de leur intérêt artistique ont une valeur documentaire pour illustrer les récits de voyages des Occidentaux de cette période. Il s’agit entre autres des gravures des atlas accompagnant les récits des voyages du capitaine J. Cook, et de Dumont d’Urville, des originaux de Radiguet et de Giraud de 1842, etc. Cette collection est complétée par des œuvres contemporaines dont la plus grande partie provient du leg effectué en 1971 par une Polynésienne, Hélène Auffray, et qui rassemble des œuvres d’artistes ayant travaillé en Polynésie à la fin du XIXe et pendant le XXe siècle : MacDonald, Lemoine, Morillot, Gouwe, Alaux, Boullaire, Heyman, Masson… Le Musée a aussi reçu un legs de ses œuvres par le peintre Tatin d’Avesnières et un don de tableaux de Bonnaud. Depuis 2004, le Musée renferme une collection de photographies anciennes, enrichie depuis par plusieurs achats et dons ; celle-ci présente la Polynésie entre 1863 et 1950 (Roger Parry, etc.). Il y a notamment 6 photographies qui appartenaient à Paul Gauguin en rapport avec certaines de ses œuvres et qui l’ont suivi dans ses déplacements. (ce qu’il appelle son « petit monde » !)

 

 

En bref très bonne idée !

Dernière acquisition du Musée : plusieurs importantes herminettes et outils sur éclat de Rurutu achetés à un habitant de l’île qui les avait trouvés en cultivant ses terres.

Dernier don : un ancien plat à encens en bronze chinois qui proviendrait d’un temple construit par les premiers chinois à Tahiti (don de Cadousteau R. Temarii et George Lefaye).

Dernier dépôt volontaire : la proue de la pirogue de Pouvana’a a O’opa

Dernier objet restauré : la collection de tapa

Dernier objet prêté à l’étranger : la tablette Rongorongo de l’île de Pâques, qui n’est malheureusement jamais revenue puisque le musée du Vatican l’a conservée*.

– Objet présumé le plus ancien : les collections archéologiques des îles Marquises, de Huahine, et Maupiti (hameçons, ornements, outils, armes, pièces de pirogues…) affectées aux collections du Musée.

 

 

NOUVEAUX HORAIRES !

Pour permettre aux visiteurs de profiter plus tranquillement des magnifiques jardins, le Musée de Tahiti a décidé de les ouvrir plus tôt et de les fermer un peu plus tard : ils sont désormais accessibles du mardi au samedi de 8h à 18h. Les horaires des salles d’exposition sont aussi modifiés : 9h à 17h.

 

 

* Voir Hiro’a n°25 (octobre 2009), rubrique Culture en péril : « La tablette Rongorongo exilée ».

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