20 ans après… Bobby, bien plus qu’un mythe
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Bobby Holcomb n’est pas devenu « l’homme le plus populaire de Poynésie » en 1988 par hasard. La rétrospective qui s’ouvre le 8 février au Musée de Tahiti et des Îles met en lumière l’œuvre fascinante de ce métis, qui en 15 ans a produit plusieurs centaines d’œuvres inspirées par la mythologie et la culture polynésiennes. Peintre inspiré, chanteur énergique, visionnaire marginal et homme généreux, Bobby Holcomb est parti le 14 février 1991, à 44 ans seulement, des suites d’un cancer foudroyant. Hommage.
Bobby Holcomb est, par essence, un homme du monde : noir américain et indien par son père, portugais, philippin et polynésien par sa mère, il est né le 25 septembre 1947 dans les ruines de Pearl Harbour. Très tôt, il part à la découverte du monde : les États-Unis, l’Inde, le Népal, la Grèce, la France et enfin la Polynésie l’accueillent.
Dès son arrivée à Tahiti, en 1976, il s’installe à Huahine. Lui qui a côtoyé Salvador Dali, Franck Zappa, Quincy Jones, arpenté Hollywood, participé à la comédie musicale Hair, le voici désormais en pareu et pieds nus, une éternelle couronne de fleurs et feuillage sur la tête, enfin chez lui. Bobby a choisi Huahine en connaissance de cause – et plus particulièrement le village de Maeva, réputé pour avoir résisté à la colonisation française et être resté, plus qu’ailleurs, très imprégné de son histoire, de ses traditions. Maeva est un peu le village d’Astérix polynésien, la clé de voûte identitaire du Pays (Pouvana’a a O’opa y nait et Henri Hiro y finit ses jours).
La créativité de Bobby va pleinement s’épanouir pendant ses années en Polynésie, et son travail va appuyer et permettre une importante évolution de la culture locale.
Paradoxalement, Bobby était davantage connu pour sa chanson que pour son œuvre picturale. Elle n’en constitue pas moins un fonds rarissime : ce sont les seules illustrations de bien des légendes polynésiennes. Ses sujets, mythologiques ou historiques, l’équilibre de la construction frappent par leur perfection. On reste séduit par la chaleur des couleurs, la simplicité du support (papier kraft, papier de riz…), l’excès des formes, les sujets. L’image d’un univers équilibré et jeune transparaît. C’est aussi l’expression de son monde intime, car la peinture est pour lui un mode d’expression introspectif. La grandeur de son objectif attire l’attention : comme Gauguin et Segalen avant lui, il veut « montrer une autre façon de peindre la Polynésie. Une façon polynésienne. »
Personnage du paradoxe, homme médiatique et pourtant connu pour sa simplicité, renommé pour ses chansons mais vivant de sa peinture, Bobby aura profondément marqué les Polynésiens. Conscient de son rôle en Polynésie et de celui de l’artiste dans le monde, il disait qu’il s’agissait de « vivre avec dignité et d’intégrer l’Art à notre vie quotidienne. »
Son œuvre
Bobby a eu une formation artistique de chanteur et danseur. D’ailleurs, il fait partie du groupe les « Big Boys », fondé par Tarzan Amiot. Pourtant, c’est une révélation à Tahiti lorsque, en 1982, il donne un concert. Il renouvelle en profondeur les mélodies locales. On découvre ainsi le reggae à la polynésienne, des chansons en Tahitien sur des rythmes de jazz, de blues… Cela plaît tellement qu’en 1988, Bobby est élu « Homme de l’année » pour sa contribution à la communauté.
Peintre le matin, chanteur le soir, peintre pour manger, chanteur par générosité, Bobby a rapidement eu la réputation qu’il méritait, celle d’un homme talentueux et affable. Lui-même désintéressé, ses œuvres, qu’elles soient dessinées ou chantées, étaient recherchées car chargées de sincérité, mais aussi d’histoires et de messages.
Bobby prônait l’éducation par l’art, conscient de la relative inadaptation du système scolaire occidental plaqué en Polynésie… Il a enseigné aux enfants de Maeva les jeux, les techniques artisanales d’autrefois, ses chansons. Il se faisait un plaisir de rappeler leurs origines et les légendes au public nombreux qui l’entourait, à travers des contes. Il assistait aussi les archéologues dans leur travail sur les marae et les gardait, les honorait à sa façon, avec des couronnes, des chants et du monoi. Proche de la nature, respectueux des rythmes et coutumes polynésiens, Bobby a été un fervent défenseur de l’environnement. On se souvient bien sûr de ses chants, et de son engagement contre les essais nucléaires, la pollution à Papeete, mais aussi pour l’indépendance politique du Pays, combats qu’il menait avec ses amis Henri Hiro, Tea Hirshon, Coco Hotahota, Turo Raapoto, etc.. Il collait en douce des affiches anti-nucléaires la nuit sur les murs de la capitale, s’exposant à de grands risques en tant que citoyen américain devant demander son permis de séjour tous les deux ans !
Les hommages
Comme pour bien des artistes, le public ne s’est jamais autant intéressé aux œuvres de Bobby qu’après son décès, et dès lors, leur valeur augmente considérablement. Mai 1991, Manouche Lehartel, alors directrice du Musée de Tahiti et des Îles mais aussi sincère admiratrice de Bobby, lui rend hommage en organisant une rétrospective de ses peintures, disséminées ça et là chez des particuliers. 180 œuvres seront réunies pour l’occasion, permettant à la population de découvrir le sens et l’unité de la peinture de Bobby, entièrement consacrée à promouvoir nos racines. C’est un grand succès. Le public devra attendre plus d’une dizaine d’années avant de pouvoir retrouver une exposition Bobby, proposée en 2003 à la Maison de la Culture. Tableaux originaux, objets personnels et œuvres de ses amis y étaient dévoilés. Parallèlement, de nombreuses animations avaient été mises en place : concert, légendes, contes et projections rendaient un très bel hommage à l’artiste. Encore une grande réussite, qui prouve à quel point Bobby est toujours vivant dans le cœur des Polynésiens. Aujourd’hui, c’est pour honorer les 20 ans de sa disparition que le Musée de Tahiti et des Îles organise une nouvelle exposition. Elle rassemblera une centaine d’œuvres de Bobby, non visibles autrement et pour certaines inédites. Ses nombreux amis tiennent à raviver le souvenir encore très présent du remarquable Bobby. Car après cette rapide rétrospective, on ne peut plus qu’adopter pour lui les mots d’un ami de Jacques Brel lors de sa disparition : « il n’est pas mort, il repose simplement sur son île polynésienne qui l’avait adopté. » Mais la Polynésie n’a pas simplement adopté Bobby, Bobby appartient à la Polynésie.
Rétrospective Bobby
– Salle d’exposition temporaire du Musée de Tahiti et des Îles
– Du 8 février à fin avril
– Du mardi au samedi, de 9h30 à 17h30
– Entrée : 600 Fcfp / gratuit pour les moins de 18 ans et les scolaires
+ d’infos : 54 84 35 – www.museetahiti.pf
ENCADRE
Bobby par ses proches : Dorothy et Sabrina Levy
Originaire de Tahiti, Dorothy a grandi en Amérique. Lorsqu’elle revient à Tahiti adolescente, elle se sent ici chez elle plus qu’ailleurs. Engagée contre les essais nucléaires et pour la réhabilitation de la culture polynésienne, elle rencontre Bobby en 1976. Entre eux, c’est un véritable coup de foudre amical et spirituel. Ensemble, ils partent poursuivre leur rêve à Huahine, vivre en harmonie avec leurs convictions. Sabrina, la fille de Dorothy, a 10 ans. Tous les trois fondent une vraie famille. Sabrina va à l’école primaire, Dorothy prépare les repas familiaux, Bobby peint, fait découvrir le plaisir de la lecture, du théâtre et de la culture à sa fille fa’a’amu. « J’étais complètement amoureuse de sa créativité », avoue Dorothy. Quant à Sabrina, bien que très jeune, elle est fascinée par cet homme qui prend tellement soin d’elle et s’occupe de son éducation. « Il m’a donné le meilleur : des valeurs. Il m’a appris à ne pas devenir matérialiste ; d’ailleurs, dès qu’il voyait que je m’attachais à quelque chose (une bicyclette, un jouet), il le donnait ! Pour lui, la vraie richesse était dans cette façon de vivre librement, de prendre le temps de partager de bons moments avec des amis… » Mais bon, tout n’est pas rose non plus. Bobby n’était pas compris et apprécié de tous à Huahine, et pour cause : noir, avec des dreadlocks et homosexuel… Mais sa force était d’assumer avec simplicité ses différences sans en être complexé. « Il s’est mis à chanter pour faire briller mes yeux d’enfant, poursuit Sabrina, et ce sont des milliers d’autres enfants, petits et grands, qui ont été émerveillés par l’artiste au grand sourire. Il mettait en musique la culture, les paroles de ses chants étaient connues de tous. Aujourd’hui encore, il est la fierté de Huahine, mais sûrement aussi de la Polynésie. Je retiens de Bobby son humanisme, toutes les recettes de ses concerts étaient reversées à des associations pour contribuer au bien-être du peuple ma’ohi et en particulier aux enfants. Il pouvait donner plusieurs concerts par week-end pour aider les associations, et ce, aux quatre coins de nos archipels. Il a offert sa voix à toute la Polynésie. »
Bobby a véritablement « planté des graines de créativité dans ce pays », affirme Dorothy, qui met un point d’honneur à faire vivre la mémoire de cet homme qu’elle a bien connu de la façon la plus honnête qu’il soit. « C’est un minimum, à côté de ce qu’il a réalisé ! Bobby a bougé des montages, ses messages ont permis de faire évoluer les mentalités en mettant la culture et la simplicité en valeur. A nous de continuer à véhiculer ce message. »
Sabrina a suivi les enseignements de son père. Pour les perpétuer, de son nom d’artiste Sarahina, elle s’attache à son tour à mettre en lumière la beauté de la culture polynésienne avec philosophie*. « Je souhaite partager l’arbre de créativité qui a bien poussé depuis la petite graine que Bobby a semée dans mon coeur il y a plus de 30 ans, graine de créativité devenu arbre et dont beaucoup peuvent partager la sensibilité. »