Hiro’a n°167 – Le saviez-vous ? « Restaurer les fragments de notre mémoire commune »

Le saviez-vous ?

Centre des Métiers d’Art (CMA) – Pu ha΄api΄ira΄a toro΄a rima΄i

Rencontre avec Kahara Palmer, ancienne élève du Centre des métiers d’art, actuellement en troisième année de licence d’histoire de l’art et d’archéologie. Texte : Lucie Rabréaud – Photos : Kahara Palmer

 

« Restaurer les fragments de notre mémoire commune »

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Actuellement en métropole en troisième année de licence d’histoire de l’art et d’archéologie à Toulouse, Kahara Palmer souhaitait devenir restauratrice d’objets d’art au fenua. Aujourd’hui, elle est également attirée par l’enseignement pour « continuer à faire exister la culture polynésienne ».

 

C’est au Centre des métiers d’art que Kahara Palmer a réellement découvert l’art. Elle s’y rend une première fois lors d’une journée porte ouverte, puis une seconde, le jour du concours d’entrée en 2012. Elle se souvient de l’exposition à laquelle le public est alors invité : Pūtahi. Cette année-là, elle sort du lycée. Après un bac économie et social, elle s’imagine poursuivre sur des études de sociologie mais sans savoir ce qu’elle veut faire ensuite. «  À cette époque, je n’avais pas beaucoup d’intérêt pour les études. Mes parents le savaient, et voyaient bien que mes cahiers de cours étaient plus remplis de dessins que de prises de notes. Mon père m’a alors parlé du Centre des métiers d’art, et m’a encouragé à regarder ce que l’établissement proposait.  » De cette journée portes ouvertes, elle reconnait ne se souvenir de presque rien sauf de la forte impression que lui ont laissé les dessins accrochés au mur dans une salle de classe. « Je me suis dit  : ‘Je veux dessiner comme ça, moi aussi’, et là, j’ai vu l’intérêt pour moi d’aller au CMA. »

Le souffle, avril 2016

Elle commence ses premières expositions alors qu’elle est étudiante au Centre des métiers d’art. Elle présente notamment deux œuvres intitulées de la même façon  : Te Fai. La première est exposée à l’exposition Manava de 2013 au Musée de Tahiti et des îles et la seconde au Manava de 2014 à Los Angeles. Seules les dimensions les différencient : 70cmx70cm pour la première et 205,5cmx205,5cm pour la seconde. Ces deux œuvres sont les plus importantes pour Kahara  : « ‘Fai’ est le mot tahitien qui désigne le jeu où l’on fait des figures avec des ficelles. Ces figures peuvent représenter énormément de choses  : des raies, différents poissons, différentes pirogues… Quand j’étais enfant, dans la cour de récré, moi et mes camarades, on s’apprenait mutuellement les différentes formes, et on en réinventait certaines (je me rappelle qu’il y avait la Tour Eiffel, ou encore le parachute). L’œuvre regroupe différentes figures de ce jeu, avec comme figure centrale celle par laquelle toutes vont se former.  » Elle puise dans ses souvenirs d’enfance pour créer Te Fai, espérant évoquer des souvenirs chez d’autres personnes : « C’est une œuvre qui lie des personnes dans une mémoire commune. » Son travail continue sur le tressage, le tissage, le lien, ce qui relie, unie et maintient.

 

En 2016, à l’occasion de l’exposition TAIPE-Exploitation numérique, son travail se porte sur le numérique et elle créé une œuvre intitulée Le Souffle  : une projection vidéo sur du sable qui évoque le fait que la Terre vie et évolue au rythme que lui impose ses occupants, par le biais du mouvement de la respiration. Pour ‘Ōrama, elle propose également une œuvre numérique  : une projection diptyque vidéo sur sable intitulé Hymne à la nature qui fait référence à l’extraction et au curage de la Taharu’u. Elle souhaite garder une trace de ce qui a existé et qui est aujourd’hui en train de disparaitre.

 

C’est au CMA également qu’elle découvre l’histoire de l’art et notamment la conservation et la restauration des œuvres. Une fois son diplôme, spécialité gravure et mention très bien avec félicitations du jury, obtenu, elle participe à des expositions, travaille sur des commandes pour des particuliers et fait même quelques remplacements en tant que professeur de gravure et d’art plastique au Cetad de Rangiroa. Mais finalement, le métier de restaurateur d’objets d’art lui vient en tête et ne la lâche plus. Elle commence une licence d’histoire à l’université avant de poursuivre en métropole à l’université de Toulouse en histoire de l’art et archéologie où elle est actuellement en troisième année. « Je me suis tout simplement lancée. Mentalement, j’étais prête et plutôt confiante. J’ai même fait un an à l’université de la Polynésie française, en licence d’histoire, pour voir si j’étais capable de reprendre des études disons, plus « classiques », même si je n’aime pas trop ce terme. »

 

Son installation en métropole se passe bien et aujourd’hui, elle n’a plus tout à fait les mêmes objectifs en tête : devenir restauratrice d’objets d’art et revenir travailler au fenua. Le premier est en train de se transformer pour aller vers l’enseignement. «  Ce qui m’intéresse, c’est de continuer à faire exister les choses de la manière la plus authentique possible, faire exister le patrimoine culturel matériel, le rendre visible tel qu’il était au moment où il a été créé. Ce patrimoine témoigne, d’une appartenance à une culture qui nous est commune à nous tous, Polynésiens, et qui d’une certaine manière nous lie. Mais continuer à faire exister la culture polynésienne, ne peut pas se faire uniquement par la restauration des objets ou du matériel archéologique. C’est pour ça que l’enseignement m’attire. Pouvoir enseigner est un moyen de continuer à faire exister la culture polynésienne, et d’une certaine façon restaurer les fragments d’une mémoire qui nous est commune.  » Être loin du fenua a permis à Kahara de réaliser l’existence de ce socle commun qui différencie la culture polynésienne des autres cultures.

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