N°126 – Heiva Taure’a 2018 : les collèges entrent dans la danse

 

Maison de la Culture (TFTN) – Te Fare Tauhiti Nui

Rencontre avec Vaiana Giraud, chargée de communication à la Maison de la Culture et Ingrid Neveling principale adjointe du collège Maco Tevane. Texte et photos ASF.

Affiche Heiva Taurea 2018

Dix collèges de Polynésie française vont s’affronter sur la place To’ata dans le cadre du Heiva Taure’a. Dix établissements qui ont choisi de s’appuyer sur la culture polynésienne, la culture familiale des élèves pour réussir à l’école. Rendez-vous le 10 mars pour cet événement inédit.

« Parce qu’il n’y a pas de fatalité, et parce que l’inertie est un facteur d’inégalité, la volonté de faire réussir tous les élèves nous engage à élaborer un projet pédagogique audacieux, soutenu par des moyens spécifiques. » Ces quelques mots sont le préambule au dossier de présentation du Heiva Taure’a 2018, le premier Heiva des collèges qui se déroule le 10 mars sur la place To’ata. Une scène prestigieuse qui a accueilli les plus grands danseurs, musiciens et orateurs de Polynésie et qui, aujourd’hui, ouvre ses portes aux nouvelles générations. Grâce au Heiva Taure’a, les Marquises devraient même se produire sur ce lieu pour la première fois de leur histoire.

Le Heiva Taure’a, c’est au départ la volonté pour trois établissements (le collège de Tipaerui, le collège Maco Tevane et le collège de Taravao), bénéficiant des classes CHAM/CHAD arts traditionnels et d’un partenariat avec le Conservatoire de Polynésie française, de créer un Heiva des collèges et poursuivre ainsi une dynamique initiée deux ans plus tôt dont le premier bilan est très positif pour les élèves et les enseignants. En effet, dans ces classes le taux d’absentéisme a chuté, les résultats au DNB, diplôme nationale du brevet, sont bien meilleurs notamment à l’oral et les parents sont plus impliqués dans la scolarité de leurs enfants. « Avec la réforme des collèges, ce nouveau projet s’inscrit parfaitement dans un travail interdisciplinaire. Le Heiva des collèges est basé sur les compétences et savoirs du socle commun en lien avec les savoirs et compétences du Heiva traditionnel et de la culture polynésienne en général », souligne Ingrid Neveling, proviseure adjointe du collège Maco Tevane. Pour le Heiva des collèges, les élèves ont en effet à disposition une équipe transdisciplinaire : français, reo tahiti, musique et EPS. « Il n’est pas question pour nous de folklore. Il s’agit d’un projet pédagogique et l’envie que les enfants se sentent bien à l’école et réussissent par le biais de leur culture. On passe du français au reo tahiti sans difficultés », explique Ingrid Neveling.

 

Plus de 400 élèves

Si initialement seuls trois établissements devaient concourir, l’accès à la place To’ata pour se produire a changé la donne et un appel à participation a été lancé auprès des autres établissements scolaires de Polynésie française. Ils seront donc dix établissements, soit 408 élèves, a présenté leur groupe le 10 mars prochain pour cette première édition. Les collèges de Hiva Oa, Nuku Hiva, Bora Bora et Taha’a, ainsi que deux établissements de Moorea rejoindront à Tahiti les collèges de Tipaerui, de Maco Tevane, Papara et Teva i Uta pour la performance. A la clef de ce concours, cinq prix à remporter dont un trophée qui sera remis en jeu chaque année. Si un établissement le gagne trois années de suite, il pourra conserver ce dernier. Comme pour le Heiva traditionnel, ce Heiva des collèges est un formidable fédérateur autour de la culture polynésienne et un vivier de talents pour les années à venir en matière de chant, danse et musique traditionnels.

Un objectif pédagogique avant tout

Le « Heiva taure’a » est axé sur la découverte, l’apprentissage et les pratiques des arts traditionnels pour les collégiens qui y présentent des œuvres originales inspirées du patrimoine culturel de Polynésie française. Afin de mener à bien ce nouveau concours les lettres modernes, la langue vivante reo tahiti, l’éducation musicale et l’EPS sont fortement impliqués. Cela passe par la prise en compte du rythme et des modes d’apprentissages de chaque enfant. En proposant des parcours d’apprentissage diversifiés et adaptés aux élèves et en utilisant au mieux les leviers de la réforme. Pour le corps enseignant, il s’agit de permettre aux élèves d’acquérir les compétences du socle commun initié dans la réforme des collèges en cheminant du vécu et de l’expérience polynésienne des élèves, vers une formation plus universelle. Cela passe par l’ancrage de l’apprentissage dans la culture : pour être efficace dans l’enseignement d’une langue régionale il faut absolument combiner la langue et la culture. Croiser les enseignements et enrichir les pratiques. Il y a également une volonté de transformer les césures en liaison notamment au niveau du rapport parents/école en impliquant d’avantage les parents mais aussi entre la culture polynésienne et la culture européenne en prenant en compte le vécu et les origines des élèves.

Le règlement

Le règlement du Heiva Taure’a est proche de celui du Hura Tapairu. Ouvert à tous les collèges de Polynésie, ces derniers doivent obligatoirement concourir pour la catégorie Heiva Taure’a incluant au moins deux types de danse sur des percussions et des chants. Les catégories individuelles de danse ’Ori Tāne et ’Ori Vahine sont facultatives. Il y a également une catégorie Orchestre. Seuls les élèves des établissements peuvent participer au concours. Les effectifs d’un groupe vont de 22 à 45 personnes (danseurs, musiciens et choristes) pour une prestation totale des catégories danse de 29 minutes maximum. Dans la catégorie orchestre la prestation ne doit pas dépasser les 5 minutes. En amont du concours, un exposé oral en langue française ou tahitienne permettra aux groupes de présenter leur thème, les costumes et les chorégraphies. Les groupes doivent présenter un spectacle totalement inédit. Toutes les danses des archipels de Polynésie française sont autorisées, mais le spectacle présenté doit cependant conserver une unité dans l’expression de l’identité culturelle du début à la fin. Quant aux membres du jury, ils ont dans une grande majorité un parcours d’enseignant. Il est constituté de : Heimoana Metua, Fabien Mara-Dinard, Teraurii Piritua, Tiare Trompette, Moana’ura Teheiura, Guillaume Fanet, Elvina Neti Piriou

Pratique

Heiva Taure’a

10 mars place To’ata

Entrée gratuite

Billetterie à la maison de la culture.

 

ENCADRE

Interview

Ingrid Neveling principale adjointe du collège Maco Tevane

Comment est né le projet d’un Heiva des collèges ?

Comme le collège de Tipaerui et celui de Taravao, nous bénéficions du dispositif CHAM/CHAD et dispensons des cours d’arts traditionnels en partenariat avec le Conservatoire. Nous avions envie de développer davantage ce dispositif et de créer un petit concours de danse, car nous nous sommes rendu compte, qu’en deux ans le premier bilan pédagogique montre un taux de réussite au DNB largement augmenté et un taux d’absentéisme largement en baisse.

Comment expliquer ce changement de comportement et de résultat ?

On peut avoir un public en difficulté face au programme du collège, mais on s’est rendu compte qu’avec la culture les enfants réagissent très positivement car cela parle d’eux, de leur histoire, de leur famille. On joue, on danse, on chante à la maison.

Qu’est-ce qui a fait que de trois collèges de Tahiti, vous êtes passés aujourd’hui à dix collèges ?

Lorsque nous avons monté notre projet, nous avons sollicité le ministre de la Culture et ce dernier nous a immédiatement ouvert les portes de To’ata. Avec un espace aussi grand à notre disposition, nous avons voulu le proposer à d’autres collèges. Pour cette première édition, nous sommes donc dix établissements dont deux des Marquises, un de Tahaa, un autre à Bora Bora, et deux à Moorea, en plus de quatre collèges à Tahiti.

Qu’est ce qui a provoqué un tel engouement pour cet événement ?

Pour les enseignants, c’est de ne pas être dans le folklore et d’avoir un véritable intérêt pédagogique. On retrouve dans ce projet les compétences du socle commun à acquérir : être capable de créer, de s’exprimer à l’oral, de donner son avis, écouter l’opinion des autres, écrire un thème en français et en reo, préparer la chorégraphie, etc. Tout passe par le Heiva pour acquérir les compétences. Parfois les enfants sont en grande difficulté parce que le programme ne leur parle pas. Au collège le programme est très métropolitain, avec cet événement on s’inscrit dans une double-culture, ce qui est une richesse.

Quel est le thème défendu par votre collège ?

Comme nous préparons avec les élèves, un voyage à Rimatara, nous avons travaillé sur le thème du vini’ura à la fois dans les sciences et les chants anciens. Les élèves ont questionné notamment les anciens de l’île. Nous avons fait venir des professionnels comme Patrick Amaru pour discuter de comment écrire un thème. Les enseignants ont guidé les élèves, mais c’est vraiment leur création.

Quels changements avez-vous pu constater auprès des élèves ?

Il y en a plusieurs, mais ce travail permet aux enfants d’être plus autonomes, ils s’autogèrent au sein du groupe. Il y a aussi plus d’entraide, ils aiment travailler en commun. C’est un vrai projet collectif. C’est aussi une façon de rencontrer l’autre.

Le gagnant remportera un trophée ?

Oui nous avons un trophée qui sera remis en jeu chaque année. L’établissement qui gagnera trois ans de suite le trophée pourra le garder définitivement.

 

ENCADRE

Témoignages 1 (photo)

Teheheu, 12 ans, et Abigaël, 13 ans, élèves de 5e au collège Maco Tevane

Danse, chants, orero, musique… est-ce que vous vivez déjà la culture polynésienne en dehors de cette préparation ?

Teheheu : Pas vraiment, je ne dansais pas le ‘ori tahiti avant ou très peu. D’ailleurs j’ai découvert de nouveaux pas que je ne connaissais pas. En primaire, j’avais un atelier percussion, mais c’est tout.

Abigaël : Moi c’est la première fois que je fais de la danse traditionnelle. C’est notre culture et c’est bien de se concentrer et d’apprendre sa propre culture avant d’apprendre celle des autres. Pour le concours, je vais faire le orero. Nous avons appris à tresser, à faire du tapa. Cela nous a beaucoup plus.

Comment avez-vous choisi votre thème ?

Teheheu : On a travaillé sur l’oiseau endémique de Rimatara, car en mai, nous allons partir là-bas. L’année dernière, nous étions partis à Bora Bora pour la tortue. A chaque fois, nos parents nous soutiennent beaucoup dans nos projets.

Vous êtes en mode compétition pour ce concours ?

Teheheu : Nous avons tous envie de gagner ! Même si depuis qu’on répète avec le collège de Tipaerui, je me suis faite de nouvelles copines, j’espère qu’on va remporter un prix.

Abigaël : On a hâte de monter sur scène, pas seulement pour bouger nos hanches, mais pour montrer que nous sommes de vrais tahitiens et de vraies tahitiennes et qu’on défend notre culture.

 

Témoignage 2 (pas de photo)

Teagiagi, 15 ans, élève de 3e au collège Maco Tevane

Quelle place occupe la culture dans ton quotidien ?

Je suis originaire des Gambier, je viens d’arriver à Tahiti. J’ai toujours fait de la musique. A 6-7 ans je faisais déjà des percussions. Dans ce projet, je suis au to’ere et à la guitare. La guitare me demande plus de concentration.

Est-ce qu’il y a de l’appréhension ?

J’ai peur et en même temps hâte de monter sur la scène de To’ata. J’en ai vraiment envie.

Qu’est-ce que ce Heiva t’apporte ?

Comme je suis nouveau dans l’établissement, la préparation du Heiva a été l’occasion de m’intégrer plus facilement dans le groupe.

 

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