Une pléiade d’artistes au Conservatoire

Rencontre avec Fabien Dinard, Directeur du Conservatoire Artistique de Polynésie française, Marjorie Villedieu, responsable du bureau administratif et financier, Hans Faatauira, professeur de percussions traditionnelles, David Kimitete, professeur de ukulele et Rahania, élève en ukulele.

Le Conservatoire Artistique de Polynésie française renferme bien des richesses, c’est ce que pourront constater ceux qui viendront explorer les lieux le 10 décembre, lors de sa journée portes ouvertes, qui, d’année en année, enthousiasme de plus en plus de visiteurs. Vous êtes invités à venir en famille pour cette journée entièrement dédiée aux arts traditionnels, sous forme d’une grande fête réunissant les professeurs, élèves, parents, amis et curieux. 10 enseignants, 7 musiciens, le personnel logistique et plusieurs centaines d’élèves seront mobilisés pour vous offrir le fruit de leurs efforts : le résultat du travail effectué depuis la rentrée, dans toutes les disciplines d’art traditionnel enseignées, à savoir, la danse (enfants et adultes, femmes et hommes), le ukulele, la guitare, les percussions, le chant traditionnel (himene) et l’art oratoire (‘orero). Vous pourrez goûter aux joies de la tradition et de la création dans cet espace de liberté et de convivialité, pour partager un peu de la magie des arts polynésiens et, qui sait, susciter de futures vocations ! « Cette journée est très importante pour nous tous », confie Fabien Dinard, Directeur du Conservatoire. « Elle permet aux professeurs et aux élèves de révéler leur évolution artistique avant d’entamer la préparation aux examens et au gala de fin d’année. La préparation de cette journée leur laisse une grande liberté de création, ils peuvent interpréter le thème de Matari’i i n’ia comme ils l’entendent. Les prestations sont toujours d’une grande diversité et particulièrement riches en messages. Cela représente l’occasion, pour le Conservatoire, de participer au mouvement général de réappropriation de nos traditions à travers la célébration de la période d’abondance, ce dont nous sommes heureux. Car au fond, les élèves du Conservatoire sont un peu les ‘arioi des temps modernes » !

Des Arioi modernes !

Cette référence aux ‘arioi est peu surprenante, quand on sait qu’ils étaient assimilés à des artistes, leur rôle étant de divertir la société polynésienne exclusivement pendant Matari’i i n’ia. L’apparition des ‘arioi « symbolisait le retour de l’abondance », d’après l’ethnologue spécialiste de la Polynésie, Alain Babadzan*. Cette confrérie était connue, jusqu’à la fin du 19ème siècle, pour être constituée de musiciens, danseurs et comédiens ambulants, qui participaient aux fêtes publiques qu’ils animaient. Ils étaient aussi des spécialistes considérés dans de nombreux domaines, comme l’art et surtout la conservation, la mise en scène et la transmission des traditions orales. « Tout à fait à la manière des élèves du Conservatoire et de notre journée des arts traditionnels ! », se plait à dire Fabien Dinard.

Faire revivre le ‘orero

Cela faisait un an que le ‘orero n’était plus enseigné au Conservatoire, faute de professeur. Mais depuis la rentrée, une nouvelle enseignante en art oratoire traditionnel a fait ses débuts dans l’Etablissement : Camelia Marakai. Un souffle de fraîcheur dont elle et ses élèves se réjouissent et que vous pourrez réapprécier le 10 décembre, lors de leur prestation de ‘orero.

S’il n’est plus très pratiqué de nos jours, le ‘orero n’en reste pas moins un des fondements et un des piliers de la tradition polynésienne ; c’était en effet par lui que se transmettait la mémoire des récits, des mythes et des légendes d’une génération à une autre. « Dans la société polynésienne traditionnelle, retenir le savoir appris était tenu pour une exigence aussi importante que le besoin de se nourrir, de subsister », explique Vaihere Cadousteau, qui a réalisé un travail de recherche important autour du ‘orero*. « L’importance de la transmission de ce savoir – qui pouvait toucher le domaine religieux, géographique, historique ou technique – se justifie ainsi de manière compréhensible. La parole comme restitution de la mémoire était considérée comme un élément vital. Pour tout Polynésien de cette époque, il était normal et naturel d’entretenir, de faire perdurer ce savoir. Le ‘orero, en tant que discours, était comme un moyen de subsister, d’assurer sa survie », poursuit-elle. Aujourd’hui, le ‘orero n’a certes plus cette fonction essentielle, mais il représente néanmoins « une manière spécifique d’exprimer son expérience, de donner une certaine solennité lors de moments forts de l’existence. À ce titre, cet art oratoire constitue une excellente école d’expression, un noble moyen d’affirmer avec dignité ses émotions, ses pensées, son identité. » D’où l’intérêt, pour ne pas dire la nécessité, de faire revivre cette culture littéraire orale auprès des plus jeunes.

Les élèves à l’honneur

Hans Faatauira enseigne les percussions traditionnelles (voir notre encadré) au Conservatoire  depuis près de 10 ans. Il compte aujourd’hui, les trois cycles réunis, une trentaine d’élèves. Cette journée des arts traditionnels, il l’apprécie particulièrement pour ses élèves : « j’essaye ainsi de montrer aux musiciens les plus débutants l’évolution qu’ils peuvent connaître en persévérant, car lors de cette journée, tous les élèves de tous les niveaux sont amenés à jouer, du premier au dernier cycle. Ils peuvent ainsi comparer leur niveau et cela crée une certaine émulation. Pour les parents, c’est aussi une des rares occasions d’apprécier la progression de leurs enfants. »

David Kimitete, qui enseigne le ukulele à une cinquantaine d’élèves « de 9 à 70 ans », estime quant à lui que cette journée représente une belle expérience pour leur permettre « d’apprendre à jouer devant un public et de vaincre leur timidité. » Stimuler l’envie de progresser des élèves, leur donner le goût de jouer devant un public, gagner la fierté de ses parents et de ses professeurs, la journée des arts traditionnels promet décidément d’être aussi fructueuse que Matari’i i ni’a

Rahania, élève en ukulele

A 10 ans, cela fait déjà deux ans que Rahania joue du ukulele. « C’est mon grand-père qui m’a fait découvrir cet instrument lorsque j’étais petite et cela m’a donné envie de prendre des cours pour progresser ». La jeune fille adore jouer du ukulele : « les frappes, les notes, les morceaux, tout m’intéresse. J’en joue souvent en dehors des cours, à la maison, j’essaye d’apprendre à ma maman, et puis aussi quand il y a des fêtes. » Même si Rahania appréhende un peu de se produire en public pour la journée des arts traditionnels, elle estime néanmoins que c’est motivant car « on n’a pas beaucoup d’occasions de jouer en public. Ca nous habitue à avoir plus confiance en nous », affirme-t-elle. Et de poursuivre « je voudrais bien aller jusqu’au bout du cursus du Conservatoire pour devenir professeur de ukulele, comme David ».

Zoom sur les percussions traditionnelles

to’ere : morceau de bois évidé présentant une fente dans le sens de la longueur et qui est utilisé comme instrument de musique à percussion. Il est joué à l’aide d’une baguette.

tari parau : tambourin moderne, couché. Il possède deux membranes : l’une est frappée au moyen d’une mailloche enveloppée d’étoffe, l’autre peut être touchée par l’autre main pour amortir le son.

pahu tupa’i : tambour traditionnel creusé dans un tronc d’arbre (tou, miro, tamanu, voire cocotier) et recouvert d’une épaisse peau de veau, de chèvre, ou même de requin. Cette peau est tendue au sommet de la caisse par des cordelettes qui entourent l’instrument. Le joueur est debout devant son pahu posé à la verticale et il frappe avec ses mains sur la peau tendue.

fa’atete : version moderne du pahu, se joue avec deux baguettes de bois tendre. Ce tambour donne un son aigu, voire métallique.

Journée des arts traditionnels

Où et quand ?

  • – Conservatoire Artistique de Polynésie française à Tipaerui
  • – Mercredi 10 décembre
  • – Entrée libre
  • – Renseignements au 50 14 14
  • – www.taumatarii.com

Et les arts classiques alors ?

Que l’on se rassure, ils seront mis à l’honneur à leur tour ! Du 11 au 15 février 2009, pendant les vacances scolaires, le Conservatoire proposera au public de s’essayer gracieusement à l’instrument classique de leur choix, avec les professeurs des disciplines. Hiro’a vous tiendra au courant !

ENCADRE

L’antenne du Conservatoire de Pirae…

…prendra part à la journée des arts traditionnels célébrée à Tipaerui. L’occasion de rappeler que cette antenne, dont Béatrice Vernaudon, actuelle maire de Pirae, est à l’origine, propose à près de 200 élèves des cours de himene, de danse traditionnelle et de percussions, ainsi que du piano et du solfège. Hiro’a tient particulièrement à saluer la généreuse initiative de la mairie de Pirae, qui prend en charge à hauteur de 66% l’inscription d’une cinquantaine d’enfants défavorisés de sa commune aux cours de leur choix.

Pour plus d’infos…

  • – Antenne du Conservatoire de Pirae
  • – Au sein du centre culturel Aorai Tini Hau pour les arts traditionnels et à l’école Tuterai Tane pour les arts classiques
  • – Renseignements au 50 14 14

* Himene : chant traditionnel

‘Orero : art oratoire

Pahu : tambour

* Mythes tahitiens. Réunis par Teuira Henry, textes choisis et préfacés par Alain Babadzan, édition Gallimard, 1993.

* Voir Vaihere Cadousteau, Le ‘orero : le renouveau d’un antique art oratoire.

Sur http://www.lehman.cuny.edu/ile.en.ile/pacifique/orero.html

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