Hiro’a n°191 – Dossier

Dossier – Maison de la culture (TFTN) – Te Fare Tauhiti Nu

Firi-ā-tau : le festival des savoir-faire du Pacifique

Rencontre avec Vaiana Giraud, cheffe du Service de l’artisanat traditionnel – Te Pū ‘ohipa rima’ī, Jacques Tarina, préparateur de matières premières, notamment des fibres de pae ’ore de Rimatara, et Maima Matai, vannière de Anaa. Texte : Jenny Hunter – Photos : Service de l’artisanat traditionnel

La première édition du Festival des savoir-faire du Pacifique – Firi-ā-tau se tiendra du mercredi 22 au samedi 25 novembre. Organisé dans les jardins de Te Fare Iamanaha – Musée de Tahiti et des îles, ce nouveau rendez-vous culturel, né sous l’impulsion du Service de l’artisanat traditionnel – Te Pū ‘ohipa rima’ī, se veut déjà un incontournable pour les artisans locaux et du Pacifique.

Partager et transmettre. Ce sont les valeurs que souhaite porter le Festival des savoir-faire du Pacifique – Firi-ā-tau qui se tient du 22 au 25 novembre. L’événement, chapeauté par le Service de l’artisanat traditionnel – Te Pū ‘ohipa rima’ī qui a à cœur de dynamiser et de moderniser le secteur, a pour vocation de mettre en valeur la variété et la richesse des savoir-faire et des créations des artisans. Il permettra un échange de regards, de compétences et de savoir-faire entre spécialistes du grand Pacifique. L’idée qui le sous-tend : valoriser à la fois des pratiques ancestrales et des savoir-faire d’exception, mais aussi avoir un regard sur les évolutions récentes intervenant dans la création pour faire de chaque objet un produit unique. Les artisans locaux, tous archipels confondus, attendent ce rendez-vous avec impatience. L’occasion pour ces orfèvres de communiquer leur passion pour la vannerie, la sculpture, le tapa…, autant de savoir-faire traditionnels inestimables qui feront l’objet, outre des expo-ventes, de tables rondes sur des sujets transversaux et/ou spécifiques et d’ateliers d’initiation.

Des espaces de rencontres et d’échanges

Pour cette première édition, le nombred’artisans exposants a été fixé à 50 participants, dont 11 invités du Pacifique, venus e Aotearoa (Nouvelle-Zélande), Rapa Nui (Île de Pâques), Hawaii, Fidji et Wallis-et-Futuna. Du côté des locaux, on compte 16 invités des archipels de Polynésie issus des Tuamotu, des Marquises, des Australes, des îles Sous-le-vent, de Tahiti et de Moorea. Parmi eux, 9 artisans sont par ailleurs détenteurs de l’agrément ΄Ihi rima΄ī mā΄ohi. Un précieux sésame qui confère à ses détenteurs la qualité d’artisans traditionnels

experts et formateurs de Polynésie française.En plus de ces invités, une trentaine d’artisans rejoindront les festivités. Tous sont issus des univers variés et riches de l’artisanat traditionnel. Pour les accueillir au mieux ainsi que le grand public, le site du Musée de Tahiti et des îles sera divisé en espaces thématiques : vannerie, sculpture gravure, bijouterie traditionnelle, tapa/ tīfaifai et matières premières.

La fête de l’abondance de nos richesses

« J’ai hâte de rencontrer les autres artisans pour voir comment, dans leur pays, ils travaillent la matière première. Je suis vraiment curieux de cela. J’ai hâte de mieux comprendre comment ils font », confie Jacques Tarina, artisan de Rimatara qui travaille la fibre de pae’ore

Et pour cette grande première, la date de l’événement n’a pas été choisie au hasard. « La période de Matari΄i i ni΄a se prête tout particulièrement à ce rendez-vous, elle qui permet de fêter nos richesses et nos spécificités, de nous reconnecter à nos traditions. C’est dans cette tradition ancestrale et puissante que le service souhaite inscrire l’événement », souligne Vaiana Giraud, cheffe du Service de l’artisanat traditionnel – Te Pū ‘ohipa rima’ī. Ouvert à tous et pour tous les âges, l’entrée du festival est gratuite et son programme, prometteur : « Ce festival promet d’être très riche. Nous avons des ateliers grand public animés par des artisans du Pacifique et de nos îles. Ce sera l’occasion de découvrir des techniques, des approches qui sont différentes des nôtres même si le socle est commun. On a également un programme de projections de films dans l’auditorium du musée qui mettra en valeur ces savoir-faire avec notamment, en avant-première, un film sur le tressage d’Anne Pastor, soutenu par la fondation Chanel et qui est porté par l’association En Terre Indigène. » Un rendez-vous à ne pas manquer ! ◆

Pratique

• Festival des savoir-faire du Pacifique – Firi-ā-tau

• Jardins de Te Fare Iamanaha – Musée de Tahiti et des îles, à Punaauia

• Du mercredi 22 au samedi 25 novembre

• À partir de 8 heures le mercredi et 9 heures les jeudi, vendredi et samedi. Fermeture à 18 heures tous les jours.

• Soirée spéciale le vendredi 24 novembre de 19 à 21 heures

• Entrée gratuite

• Retrouvez tout le programme du festival sur www.artisanat.pf

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Au programme

Au-delà d’une exposition-vente d’exception, le festival sera tourné vers le partage des savoir-faire traditionnels :

• Des ateliers payants d’initiation aux techniques artisanales (tarif entre 1 000 et 7 000 Fcfp, selon la matière utilisée et fournie par l’artisan) ;

• Des démonstrations de savoir-faire pour mettre en lumière notamment la préparation de matières premières (pahu hawaiien, nī΄au blanc, nape, tapa de Fidji, etc.) ;

• Des tables rondes sur des sujets transversaux et/ou spécifiques avec des artisans accompagnés d’un médiateur (Pratique du tapa, l’artisanat dans le Pacifique et en Polynésie, la sculpture, les matières premières, la transmission…) ;

• Des projections de films liés à l’artisanat traditionnel dans l’auditorium du musée, grâce au partenariat avec le Festival international du film océanien (Fifo). Certaines projections seront suivies d’échanges avec des spécialistes ou protagonistes des documentaires ;

• Des temps dédiés à un partage de regards et savoir-faire entre spécialistes. Ces moments permettront d’.changer sur des techniques, sur les traditions de chacun, de présenter une approche, etc. ;

• Un jeu visiteurs sera organisé sur tablette avec un tirage au sort sous contrôle d’huissier. Le lot contribuera à faire découvrir au gagnant une expérience culturelle immersive.

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La soirée Firi-ā-tau avec O Tahiti E

Une soirée spéciale aura lieu le vendredi 24 novembre jusqu’à 21 heures. Au programme, un spectacle de danse traditionnelle sur le thème Firi-ā-tau qui sera rythmé par des ΄ōrero,

des danseurs, danseuses et un pūpū hīmene. Ce spectacle en entrée libre est créé pour l’occasion par Marguerite Lai, cheffe du groupe O Tahiti e, qui proposera un spectacle original évoquant les thématiques de l’artisanat traditionnel. Le public est invité à venir s’installer avec son pē΄ue dans les jardins du musée.

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PAROLES AUX ARTISANS

Jacques Tarina, préparateur de matières premières, dont la fibre de pae’ore (Rimatara)

Vous serez présent au festival et vous serez le seul préparateur de fibre de pandanus…

« Tout à fait et j’en suis fier. C’est un travail qui me passionne et qui m’a été transmis par mes parents à Rimatara même. Et depuis les années 2000, j’ai eu la chance de rencontrer mon épouse qui est également artisane et qui travaille le pandanus. Elle tresse et confectionne toutes sortes de choses. Cela m’a davantage motivé à préparer cette matière première. Depuis, pour que cela soit plus facile pour elle, je travaille plus le pandanus. »

Est-ce facile de nos jours de trouver cette matière première ?

« Nous avons de la chance dans les îles, et particulièrement à Rimatara, pour obtenir du pandanus car il y en a pas mal ici. Nous sommes donc devenus les premiers producteurs de pandanus sur notre île. »

Qu’attendez-vous du festival ?

« Déjà je suis heureux d’y participer. Je suis content de partager mon savoir-faire avec le public. Il y a quatre ans, on m’avait invité à la Maison de la culture pour partager mes connaissances et c’est un exercice qui m’a plu. J’ai donné une conférence qui s’était vraiment bien passée. Participer au festival avec les cousins du Pacifique est encore plus excitant. J’ai hâte de rencontrer les autres artisans pour voir comment, dans leur pays, ils travaillent la matière première et de mieux comprendre comment ils font. Je suis vraiment curieux de cela. Ils ont peut être des techniques différentes et cela sera intéressant. Découvrir et échanger avec eux est un privilège.

Transmettre mon savoir-faire est aussi très important pour moi, même si je sais que, sur Tahiti, les gens ont du mal à se procurer du pandanus. Pour ma part, j’invite tout le monde à venir car ce genre d’événement est important pour les artisans. Venez nombreux voir et partager avec nous. »

Quel est le secret pour avoir un bon rouleau de pandanus ?

« Le temps (rires). Il faut qu’il fasse beau pour que cela sèche bien tout simplement. Nous sommes tributaires du temps. S’il pleut trop, il pourrit et on jette. Du coup, des fois, c’est la pénurie. Le secret, c’est un beau temps sec. Et on espère qu’il fera beau temps pour le festival. »

Maima Matai, tressage en nī΄au (Anaa)

Que représente, pour vous, de participer à ce festival ? 

« C’est une première ! Je ne suis pas la seule sur l’île à tresser, mais, pour moi, ce festival est très important car il me permettra de voir et connaître d’autres artisans d’autres pays, de comparer ce qu’ils font dans le même domaine que moi par rapport à ce que je fais. Je trouve cela intéressant de voir autre chose et de pouvoir ensuite le valoriser. C’est aussi l’occasion de me diversifier tout en perpétuant le raraga matua qui est un type de tresse propre aux Pa΄umotu. »

Partager vos savoir-faire semble tenir à cœur à tous les artisans…

« Effectivement, c’est très important de partager son savoir-faire. Cela permet de faire perdurer nos façons de tresser et de les transmettre, parce que nous ne sommes pas beaucoup à travailler le raraga matua. Nos tresses sur le nī΄au comportent beaucoup de motifs. Cela rend nos pièces uniques. C’est une découverte et un chef-d’œuvre que nous créons à chaque fois. Partager cela est valorisant et, ce que je trouve important dans la transmission, c’est que, par exemple, nos grands-mères tressaient déjà le nī΄au, mais n’ont pas pu nous apprendre forcément tout cela. Il ne faut pas perdre ce savoir-faire. Notre art ancestral doit continuer. »

La rencontre avec des artisans du Pacifique vous stimule-t-elle ?

« Tout à fait, dans le sens où l’on va découvrir de nouvelles techniques. Des techniques, il y en a tellement, tout cela m’inspirera pour créer autre chose, mais en adaptant ce que j’aurai

appris. Pour moi, c’est très important qu’on ait mis en place ce festival pour que l’on voie ce que font les artisans. »

D’après vous, votre travail est-il valorisé ?

« Ce n’est pas facile pour les artisans. Pour ma part, par exemple, je travaille d’abord sur ma matière première, on ne va pas l’acheter. Nous préparons tout du début à la fin. C’est  un énorme travail. Si ce festival peut valoriser nos métiers, c’est gratifiant et cela nous apporte un peu de reconnaissance de notre travail. Je voudrais qu’on reconnaisse que le boulot d’artisan est dur, pas facile. Alors quand on vend nos produits et qu’on nous dit que c’est cher, oui d’accord, mais les gens ne voient pas l’amour de notre travail. Ce rendez-vous est aussi important pour nous pour vendre nos œuvres, nos produits et ainsi passer un bon Noël. Pour nous, artisans des îles, ce festival va être capital et on vous prépare déjà des jolies choses. »

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Vaiana Giraud, cheffe du Service de l’artisanat traditionnel

Pourquoi ce festival des savoir-faire du Pacifique ? D’où est venue l’idée d’un tel événement ?

« L’idée, c’était de mettre en valeur tout ce qui est savoir-faire de l’artisanat traditionnel, pas seulement les objets. Nous voulions aussi avoir des échanges avec des artisans traditionnels du Pacifique car on sait que nous avons des matières similaires, des techniques qui peuvent être identiques ou pas du tout. Il y a des savoir-faire qui peuvent parfois être différents, que nous avons pu perdre ou qu’eux ont perdu. Pour exemple, je pense au tapa. La Nouvelle-Calédonie s’est remise à la confection de tapa après le festival de 2014 qui a eu lieu à Tahiti. Cela fait suite aussi à des partages entre spécialistes. Donc, c’est important de construire des liens, mais aussi d’échanger sur les techniques et les savoir-faire de chacun de nos pays »

On parle de savoir-faire mais cela ne va pas sans matières premières…

« Exactement. Concernant les matières premières, on a des savoir-faire qui sont aujourd’hui insuffisamment pratiqués. Je pense au nī΄au blanc, par exemple, qui est très recherché pour tout ce qui est création de bijoux en coquillage. On se retrouve à acheter du nī΄au blanc aux îles Cook alors qu’on a la matière et le savoir-faire. Les more, on les achète à Hawaii alors que, là aussi, nous avons la matière et le savoir-faire. Il y a plein de choses comme cela qui nous font penser qu’il est important de mettre à l’honneur ces savoir-faire et de relancer cet intérêt et ces pratiques au sein de notre artisanat traditionnel. »

Est-il question de susciter des vocations ?

« Je pense que les axes de ce festival sont multiples. Il s’agit d’abord de permettre un partage entre professionnels, d’amener à une prise de conscience de l’importance de ces savoir-faire et de relancer leurs pratiques dans certains cas. Il s’agit aussi bien évidemment de développer des nouvelles pistes de revenus. Et, par exemple de se dire : ‘On a besoin de nī΄au blanc, on va s’y remettre.’

Cela nous permettra également de nouer des partenariats et ainsi présenter nos savoir-faire dans d’autres pays de la région. Vis-vis du grand public, nous sommes plus dans la sensibilisation. On n’attend pas spécialement qu’il s’implique dans ces savoir-faire, mais c’est un éclairage qui est important. On entend souvent dire que l’artisanat traditionnel, c’est cher, parce que les gens ne comprennent pas forcément le coût et qu’ils ne se rendent pas compte de l’ampleur du travail, de la technique, de la spécificité que cela demande. Ensuite, si, parmi le grand public, on arrive effectivement à mobiliser quelques jeunes Polynésiens qui ont envie de s’engager dans ce domaine, d’assurer la relève, ce sera formidable. »

Ce genre d’événement a nécessité beaucoup de temps de préparation. Cela a-t-il été compliqué de faire venir des artisans du Pacifique ?

« Je sens qu’il y a une réelle volonté de participer à ce festival. Nous avons reçu des réponses très positives. On s’est rendu compte à l’échelle du Pacifique qu’on a aujourd’hui, en Polynésie et contrairement à ce que l’on pourrait parfois penser, un artisanat qui est encore très vivant et très puissant. C’est aussi un enseignement. »

Quelles sont vos attentes ?

« Nous avons hâte de rencontrer les artisans et d’évoquer avec eux ce que nous pouvons améliorer. Il y a, comme on l’a dit, des difficultés d’accès à la matière première, sur la transmission… Il y a beaucoup d’enjeux. Les artisans ont besoin de salons, de festivals, d’ateliers pour vendre leurs créations, mais il faut surtout retenir les notions d’identité, de transmission et d’authenticité et relever le caractère assez unique de nos pratiques ancestrales. »

Une seconde édition du genre devrait-elle voir le jour ?

« Nous essayons de créer chaque année des salons ou des festivals différents, à part le Salon des jeunes créateurs qui a lieu tous les deux ans. Nous essayons surtout de mettre en valeur des axes différents de l’artisanat traditionnel. Pour l’instant, ce n’est donc pas à l’ordre du jour, mais en fonction des retours suite à ce festival, cela pourrait être envisagé. »

Légende

53e Salon des Marquises en juin.Tapa -Sarah Vaki ©ART2023

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