Hiro’a n°178 – L’œuvre du mois, tisser un grand costume pour transmettre les savoir-faire

MUSÉE DE TAHITI ET DES ÎLES – TE FARE MANAHA (MTI)

Rencontre avec Miriama Bono, directrice du Musée de Tahiti et des îles, et  Makau Foster, fondatrice du groupe Tamariki Poerani et créatrice du grand costume. Texte : Lucie Rabréaud – Photos : TFTN

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Tisser un grand costume pour transmettre les savoir-faire

 

Le grand costume de  Tamariki Poerani vient de recevoir le prix Joseph Uura. Un exemplaire femme et un exemplaire homme vont donc intégrer les collections du Musée de Tahiti et des îles. Ils seront remis officiellement à l’établissement lors du Nu’uroa Fest, le samedi 6 août.

 

Son rouge éclatant avait illuminé la scène de To΄atā. C’est le grand costume de Tamariki Poerani qui a remporté le prix Joseph Uura, lequel récompense le plus beau grand costume des groupes de danse du Heiva i Tahiti. Généralement présenté lors du tableau final, c’est toujours avec émotion que les spectateurs voient les danseurs et danseuses habillés de ce costume impressionnant. Celui de Tamariki Poerani représentait l’abondance : du rouge vif, des nacres, des coquillages et une joie intense de le porter et le faire vivre. «  Il ne faut pas présenter quelque chose simplement parce que c’est joli, il faut qu’il y ait un sens », précise Makau Foster, fondatrice de la troupe et créatrice du grand costume. Le tressage de la coiffe reprend le savoir-faire des Tuamotu  : «  Nous avons tressé comme on tisse une généalogie. La coiffe des filles représente une vallée et celle des garçons une montagne, on devine également le visage du dieu Rogo dans la coiffe féminine. Les nœuds sont les danseurs et tous sont reliés en un seul point : moi. » Trois éléments sont présents : les coquillages et le more pour la terre, les plumes pour le vent, la nacre pour l’eau.

«  Ce tissage, c’est le lien avec nos ancêtres »

Les mains des danseurs remplies de végétaux ont diffusé une odeur de miri (basilic citronné) sur To΄atā. La ceinture de la taille reprend un tissage ancien de Moorea. «  Je voulais que la jeunesse apprenne à faire ces tressages anciens. Ce sont les danseuses et les danseurs qui ont fait eux-mêmes leurs costumes », raconte Makau pour qui la transmission est essentielle. Tout est tissé naturellement, il n’y a aucun point de colle, assure-t-elle. Un souvenir mémorable car toute la troupe a travaillé avec acharnement pour réussir cette véritable œuvre d’art où chaque nœud devait être serré avec minutie et précision. «  Ils pensaient qu’ils n’y arriveraient jamais et moi-même j’ai eu peur  ! Mais c’est ça le Heiva, il faut travailler de ses mains. Ils y ont passé des nuits blanches. Ce tissage, c’est le lien avec nos ancêtres. »

Ce grand costume va désormais rejoindre les collections du Musée qui en comptent déjà environ 200 provenant des fêtes du Heiva i Tahiti. Ce nouvel exemplaire va d’abord aller en quarantaine afin de vérifier qu’il n’est pas porteur de parasites ou endommagé. Dans cette zone dédiée, à une température appropriée, il sera déposé à plat ou sur mannequin, selon les pièces. Le mannequin permet de garder les formes arrondies des coiffes et des tailles. Une fois que le constat est favorable, le costume entre dans les réserves du Musée où on lui donne un numéro d’inventaire qui est enregistré dans la base de données. Il reste sous surveillance. Il peut arriver que certaines parties en soient retirées dans un souci de conservation mais les groupes sont avertis  : «  Certaines parties des costumes peuvent être enlevées mais on contacte les groupes pour les prévenir. C’est arrivé avec un grand costume de Rurutu qui avait de grands morceaux en roseaux  : on les a enlevés pour éviter que les roseaux ne s’éparpillent partout. Ils ont été démontés et stockés dans un autre endroit. On consulte les groupes mais également Manouche Lehartel qui s’est occupée de toute cette collection et qui organise les expositions des grands costumes au Musée », explique Miriama Bono, la directrice du Musée de Tahiti et des îles.

Des expositions régulières

La collection des grands costumes du Musée est présentée régulièrement au public. À  chaque exposition consacrée au Heiva, à la danse ou au tressage, ou bien dédiée aux grands costumes euxmêmes, ils sont sortis des réserves et installés. Certains sont remontés car des pièces peuvent être conservées à d’autres endroits et restaurées si besoin. « Les graines sont compliquées à conserver, il faut parfois les renouveler à l’occasion des expositions, tout comme les nacres qui peuvent se décoller, on entretient la collection  », précise Miriama Bono. Généralement, ces expositions ont du succès : « C’est une des plus fréquentées, que ce soit par les Polynésiens ou les touristes. C’est assez majestueux et intéressant à voir. Les groupes sont aussi contents que leurs costumes intègrent les collections du Musée car cela valorise leur travail, c’est une reconnaissance. Certains costumes peuvent entrer dans les collections sans avoir gagné le prix s’ils présentent un intérêt particulier. Manouche Lehartel sollicite les groupes et ils sont ravis que ça puisse se faire. Ça dépend des opportunités. »

Une collection vivante et représentative

L’exposition des costumes n’est pas seulement époustouflante du point de vue esthétique ou créatif, c’est également «  un marqueur intéressant de la société  ». « On voit que pour les costumes des années 1970-80, il y avait encore beaucoup de tapa et plus le temps passe, moins il y a de tapa. Cela montre la difficulté d’en avoir pour des danseurs de plus en plus nombreux. On constate aussi l’ajout progressif de nacre à partir des années 1980 avec le développement de cette industrie. Pareil pour la couleur et les plumes, c’est quelque chose qui a commencé à apparaitre dans les années 1990. Auparavant, les tons étaient beaucoup plus naturels. Cette exposition, au-delà de la danse, dit plein de choses sur la société, le développement des matières, sur l’ouverture,le rapport fort avec l’artisanat et les créations artistiques. Elle aborde beaucoup de sujets  !  » Cette collection vivante qui s’enrichit chaque année est également spécifique à l’établissement. Et c’est effectivement une satisfaction  pour Tamariki Poerani qui voit, à nouveau (la troupe a déjà plusieurs grands costumes dans la collection du Musée), son travail conservé et valorisé.

 

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