Hiro’a n°178 – 10 questions à Jean-Yves Tuihaa, artisan traditionnel

Propos recueillis par Pauline Stasi. Photos : PS

 

«La fibre de coco est une mine d’or pour les habitants des îles »

 

Jean-Yves Tuihaa est artisan traditionnel spécialisé dans la fibre de coco en Polynésie française. Reconnu dans le monde de l’artisanat traditionnel à la fois pour sa fabrication de nape et pour sa création de bijoux d’exception, de sacs, de miroirs ou d’abat-jours, l’homme s’envole début août aux Tuamotu dans le cadre du programme de formation technique proposé par le Service de l’artisanat traditionnel. Il va transmettre les bases de préparation et de tressage de la fibre de coco à une dizaine d’habitants de Makemo, une mission qu’il attend avec impatience.

 

Comment êtes-vous devenu artisan ?

«  Au départ, j’étais manutentionnaire à l’aéroport ; un jour, je tressais une ceinture comme cela pour m’amuser. Un ami artisan m’a regardé faire et m’a proposé de venir me montrer la fibre de coco chez lui. Cela a été une vraie révélation, je suis tombé complétement sous le charme de cette matière. C’est devenu une véritable passion. Il m’a appris à faire un collier difficile, j’ai réussi à le faire en deux heures et cela m’a tout de suite plu. Je travaille la fibre de coco depuis plus de vingt ans maintenant. »

Pourquoi avoir choisi de travailler cette matière ?

« C’est une matière très noble. La fibre de coco est une matière à la fois très fine et très résistante, on peut faire beaucoup de choses avec. Je peux créer des bijoux très raffinés comme des colliers, des bracelets ou des objets comme des lampes, des cadres de miroirs ou bien d’autres choses encore. Je vais choisir de faire tel ou tel objet en fonction de la nature de la fibre de coco. Au départ, tout est dans la matière première. »

Est-ce compliqué de fabriquer de la fibre de coco ?

«  Je pense que nous sommes moins de cinq personnes à fabriquer encore de la fibre de coco. Il faut passer par plusieurs étapes qui demandent du temps et c’est tout un savoir-faire. »

Comment procédez-vous ?

« Le plus important est de choisir le coco. Je vais toujours choisir mes cocos sur le même cocotier. Il faut les prendre quand il y a des jeunes pousses à côté pour permettre le renouvellement, sinon, il faut attendre et ne pas être impatient, car on risque de manquer de coco plus tard. Une fois le coco choisi, il faut ensuite le fendre et le couper en plusieurs morceaux que l’on va laisser tremper dans de l’eau pendant une quinzaine de jours afin de le ramollir. Il faut ensuite taper le coco avec une masse pour retirer la peau du coco, ce qui est difficile et fatigant. À force de répéter ce geste, cela peut faire mal au bras avec les vibrations. Reste ensuite à extraire la fibre de coco, c’est l’une des étapes les plus importantes. Je me sers d’un peigne qui me permet d’enlever la sorte de mousse qui se trouve autour des fibres. Je peigne la matière jusqu’à obtenir de belles fibres de coco que je vais ensuite assembler en botte. »

Les fibres de coco sont souvent différentes, à quoi est-ce dû ?

« Aux cocos d’origine bien sûr, mais aussi à la façon de taper les fibres. Le fait de les tremper dans de l’eau douce ou de l’eau de mer va également agir sur le résultat final. Les fibres trempées dans l’eau de mer auront une couleur plus vive. »

Où trouvez-vous l’inspiration ?

«  Un peu partout, je regarde ce qui se fait ailleurs, sur Internet… Il faut savoir innover, ne pas toujours faire les objets ou les mêmes bijoux, il y a toujours de nouvelles choses à révéler. »

Vous partez former une dizaine d’habitants de Makemo du 3 au 14 août, qu’allez-vous leur apprendre ?

« Je vais déjà leur apprendre les bases de préparation et de tressage de la fibre de coco. Dès que je vais arriver, je vais aller chercher des cocos. »

La fibre de coco peut-elle être créatrice d’emploi dans les îles ?

«  Il y a des milliers de cocotiers dans les atolls des Tuamotu, cet arbre est source de vie, il a un potentiel énorme. On peut y puiser son eau, se servir de son tronc solide pour bâtir, de ses feuilles pour faire des paniers, des chapeaux… On peut aussi se servir de ses fibres pour des tressages plus fins. Il y a beaucoup de demandes de créations en fibre de coco de la part des créateurs de bijoux, mais très peu de personnes en fabriquent et il y a un vrai manque de matières premières. SI les habitants des îles en fabriquent, ils pourront les vendre très facilement. »

Qu’allez-vous dire aux stagiaires lors de la formation ?

«  Qu’ils ont une vraie mine d’or pour les habitants des îles, il y a des milliers de cocotiers à portée de main dans les atolls, c’est une vraie richesse, il y a aussi plein de coquillages, ils peuvent faire beaucoup de choses avec tout cela. Je vais leur dire que ce sont des professionnels et qu’en travaillant, on arrive à vraiment faire des choses intéressantes. Le plus important est de faire son métier avec passion et que le client soit heureux de ce qu’il achète. »

Qu’attendez-vous de cette formation ?

« Si j’espère apporter mon savoir-faire aux stagiaires, je pense aussi qu’ils peuvent m’apporter des choses, de nouvelles idées, de nouvelles sources d’inspiration. C’est du gagnant-gagnant, un vrai partage, un véritable échange. »

 

PRATIQUE

  • Découvrez en page 8 le détail des autres formations professionnelles proposées par le Service de l’artisanat traditionnel.
  • Les créations de Jean-Yves Tuihaa sont à retrouver au marché de Papeete.

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