Hiro’a n°174 – Un visage, une histoire

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Service de l’Artisanat traditionnel (ART) – Te pū ohipa rima΄ī

 

Māmā Mélia, une vie de tressage

Rencontre avec Māmā Mélia, artisane et présidente de l’association artisanale Te Rara΄a. Texte et photos : Valentine Livine 

Māmā Mélia tresse depuis son plus jeune âge. Spécialiste de l’artisanat des Australes, en particulier celui de son île, Rurutu, elle est très active dans la promotion de son métier et la mise en avant de la culture des Australes, notamment au travers de différentes associations.

 

Māmā Mélia rit de bon cœur, parle avec passion et franchise, aime transmettre. Son métier, elle l’a appris dès l’âge de cinq ans, « comme toutes les petites filles de Rurutu. Nos mamans nous ont appris à tresser très tôt. Lorsque je faisais mes devoirs, j’écrivais d’une main sur mon cahier, l’autre main tressait », se souvient-elle. « Aujourd’hui, j’ai 72 ans. Le tressage, c’est toute ma vie, même si j’ai fait plein de petits travaux pour vivre. À Rurutu, il n’y a que ça, le tressage. On apprend enfant car on est toujours avec les mamans et dans le pupu (le groupe). J’ai commencé à travailler à 14 ans. À Rurutu, à l’époque, on travaillait la journée sur une pièce pour quelqu’un. On n’était pas payées, mais on était nourries. Pour payer les dettes au magasin, on donnait nos créations », poursuit-elle. Mélia Avae arrive à Tahiti en 1969. Elle retourne souvent dans son île, mais sa vie de femme se construit à Papeete où elle élève ses enfants. Aujourd’hui veuve, elle se satisfait de chaque jour passé à rire, à tresser, à s’occuper de ses mo΄otua.

 

Te rara΄a, le tressage des Australes

Mélia Avae fonde l’association Te Rara΄a il y a de nombreuses années pour montrer le savoir-faire des femmes des Australes. Cela lui a permis de voyager avec « les mamans », comme elle appelle sa sororité de tresseuses. « Le pupu se réunit pour confectionner des pē΄ue. Par contre, pour les pièces plus petites comme les chapeaux, dessous de table, éventails… on les tresse chacune chez soi. Le pupu, c’est un moment où l’on discute, chante, danse. C’est vraiment festif et joyeux»

Māmā Mélia aime tout confectionner, créer. Pour elle, « la seule limite, c’est toi car tu peux tout faire avec le pandanus ». Mélia adore commencer des pièces, les laisser de côté quelque temps avant d’y revenir pour les terminer et trouver le petit plus qui fera la différence. « Le pae΄ore, c’est sacré chez les Rurutu », confie-t-elle. « Les femmes n’avaient pas le droit de planter et couper le pandanus. Seules celles qui n’avaient plus leurs règles pouvaient. Sinon, c’était l’affaire des hommes. Et nous, les femmes, nous le faisions sécher et le tressions, comme on tresse nos cheveux… »

 

Les expositions dans le hall de l’Assemblée

Māmā Mélia, pleine d’entrain et d’idées, souhaite plus que tout honorer sa culture. Les expositions annuelles dans le hall de l’Assemblée sont pour elle un moment phare permettant de montrer tout le savoir-faire des femmes des îles. Depuis qu’elle a créé l’association Te Rara΄a, Mélia Avae et ses amies artisanes des Australes se retrouvent en février pour présenter leur ouvrage sous le signe du partage, de la convivialité, de l’innovation. Car, à chaque fois, elles créent une pièce unique et innovante pour l’occasion, à côté de leur artisanat traditionnel. Mais cette année, les mesures sanitaires et leurs changements successifs ont perturbé le calendrier des expositions. L’association n’a pas pu investir l’Assemblée. Mélia en est attristée et espère pouvoir un jour disposer d’un lieu d’exposition permanent à Papeete, un lieu vivant, bouillonnant de créativité et d’activités, facile d’accès pour les personnes désireuses d’acquérir des pièces artisanales. Le tressage, c’est toute sa vie, l’artisanat est son âme. Aussi, lorsqu’on lui parle de projets, elle répond en riant, parfaitement sereine et heureuse, qu’elle tressera tant qu’elle aura les doigts pour le faire, et jusqu’à sa mort.

 

Encadré

La légende à l’origine de l’art du tressage

Māmā Mélia nous raconte la légende de Hina, la sorcière de Rurutu qui est, selon la légende, à la genèse du tressage. « Hina (mais à Rurutu, on ne prononce pas le H) était une sorcière vivant dans une grotte, sur la montagne Manureva. Chaque jour, les enfants du village allaient chercher de l’eau pour leurs familles. Beaucoup ne revenaient malheureusement pas, car Hina les emprisonnait et les mangeait. Mais un jour, deux enfants trouvèrent le moyen de s’échapper. Ils firent danser Hina qui, tellement prise dans sa danse, ne remarqua pas qu’ils s’enfuyaient. De retour au village, ils guidèrent les villageois jusqu’à l’entrée de la grotte. Là, les habitants capturèrent Hina et la ramenèrent au village. Sur place, ils se rendirent compte qu’elle n’était pas une sorcière, mais une femme sauvage. Ils lui laissèrent la vie sauve, lui enseignant à parler, à vivre parmi eux. En remerciement, Hina leur apprit le tressage, art qu’elle maitrisait à la perfection. »
Il existe des variantes à cette légende de Rurutu dans lesquelles Hina est tuée, ou encore amenée au village mais ne se civilise jamais. Dans ces versions, les femmes apprennent ensuite à tresser en imitant les créations en pae΄ore retrouvés dans la grotte de la sorcière. Mais la fin racontée par Māmā Mélia, plus joyeuse et empathique, représente bien l’esprit de partage du tressage dans les Australes.

 

Légendes photos

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Mélia Avae tresse depuis son plus jeune âge et en vit depuis ses 14 ans.

 

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« Avec le pandanus, on peut tout faire. La seule limite, c’est toi », nous dit Mélia.

 

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Chapeaux, sacs, pē΄ue, éventails… le pandanus se transforme pour devenir œuvres d’art.

 

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Māmā Mélia a des doigts de fée. Les détails de ses créations sont merveilleux à regarder.

 

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La base à quatre brins, longue de plusieurs mètres, sert à confectionner les pē΄ue et de nombreuses autres pièces.

 

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Pae΄ore, nī΄au, parfois bambou, les différents matériaux issus du végétal sont l’or des māmā.

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