Hiro’a n°168 – 10 questions à Turina Esrom, professeur de sculpture au Centre des métiers d’art

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Dix questions à Turina Esrom, professeur de sculpture au Centre des métiers d’art

« La sculpture ne s’improvise pas d’un trait »

Propos recueillis par Pauline Stasi – Photos : Pauline Stasi, sauf mention

turina esrom 2Turina Esrom a intégré il y a cinq ans le Centre des métiers d’art. C’est là que le jeune homme a découvert la gravure, mais surtout la sculpture, pour laquelle il s’est pris de passion. Tout juste diplômé dans la discipline en juin dernier, Turina Esrom a fait ses premiers pas à la rentrée en tant que professeur dans l’établissement. Une nouvelle aventure qu’il espère riche et enrichissante.

Il y a encore quelques mois, vous étiez élève au CMA…

« Oui, effectivement. J’ai eu un parcours scolaire un peu chaotique. J’ai dû quitter l’école au lycée Raapoto où je suivais une filière STD2A (sciences et technologies du design et des arts appliqués) pour aider ma famille. J’ai fait pas mal de petits boulots. Il y a cinq ans, j’ai réussi à rentrer au CMA et c’est là que j’ai eu un véritable déclic pour la sculpture. C’est devenu une passion. J’ai décroché mon CPMA (Certificat polynésien des métiers d’art) de gravure au bout de deux ans et en juin dernier, j’ai été diplômé du Brevet polynésien des métiers d’art (BPMA) en sculpture. Et aujourd’hui me voilà jeune professeur ! Je n’aurais pas imaginé cela il y a cinq ans. Je connais bien la “maison”, son fonctionnement ; cela va me servir. »

Qu’allez-vous enseigner ?

« Je vais enseigner la sculpture et toutes ses techniques à des élèves de première année du CPMA, c’est l’équivalent d’un CAP. Je vais également enseigner aux élèves de première année du BPMA, c’est l’équivalent d’un bac  professionnel. Quatre élèves sont inscrits en CPMA et huit en BPMA. Côté âge, les plus jeunes sont mineurs et le plus âgé a la trentaine. »

Comment s’est déroulée cette première rentrée en tant qu’enseignant ?

« Comme c’est ma première année d’enseignement, j’ai eu la chance d’être conseillé par mes anciens professeurs du CMA. C’est une rentrée un peu particulière, car il y a eu le confinement et, à l’exception d’une matinée en présentiel, elle s’est déroulée en distanciel. Élèves comme professeurs, nous avons donc dû nous mettre beaucoup sur ordinateur, sur internet, en utilisant l’outil padlet. C’est sûr que la pratique a manqué au début. »

Quels apprentissages vont découvrir vos élèves de première année ?

« Le programme en première année est basé sur la découverte de la culture polynésienne. On va apprendre à sculpter des objets polynésiens comme des ΄ūmete, ou des ti΄i. C’est plutôt en deuxième année que l’élève va davantage se laisser aller à créer des œuvres plus originales qui peuvent être, par exemple, inspirées des statuaires polynésiennes, mais revisitées de façon contemporaine ou autre. En première année, on apprend principalement les bases. »

Quelles sont ces bases justement ?

« La sculpture nécessite l’utilisation de plusieurs outils. Chaque élève dispose d’un set d’une vingtaine de gouges différentes qui permettent de tailler. Il faut apprendre à savoir lesquelles utiliser. On apprend aussi à utiliser le maillet comme il faut. Les premiers cours sont clairement réservés à l’apprentissage de ces outils dont certains doivent être maniés avec prudence. En effet, il est fréquent de devoir utiliser une tronçonneuse pour préparer le tronc d’un bois ou bien une scie électrique pour découper la pierre. Je vais leur apprendre à se servir de ces différents outils, il faut bien sûr mettre toutes les protections…, mais aussi et surtout, il ne faut pas avoir peur d’eux. Il faut savoir les appréhender. Cela nécessite aussi un peu de force, car c’est souvent fatigant et assez lourd. Je vais leur montrer puis chacun va essayer, afin d’avoir confiance en ces nouveaux outils et en eux.  »

Comment apprendre une matière telle que la sculpture ?

« Outre le maniement des outils et la sécurité, il faut aussi avoir une méthode. La sculpture ne s’improvise pas comme cela. On ne commence pas à sculpter du bois ou une pierre d’un trait. Au départ, je vais apprendre aux élèves à créer des gabarits, à dessiner des coupes de face, de profil pour qu’ils comprennent bien la forme qu’ils souhaitent lui donner. À tailler large d’abord, puis dans la précision ensuite. L’apprentissage de la sculpture passe aussi par certaines connaissances des matières premières. On va utiliser certains bois plus que d’autres comme l’acajou, le marumaru ; par contre, le ΄aito est un bois très dur, plus difficile. Il faut aussi étudier la forme d’un tronc pour savoir dans quel sens le sculpter, ces nervures… Il faut choisir le support en fonction des sculptures que l’on souhaite. »

La formation au CMA est couplée avec un stage en entreprise. En quoi est-ce complémentaire ?

« C’est très important, car si les élèves apprennent les techniques de la sculpture dans les ateliers du CMA, il est aussi primordial de se confronter aux réalités du terrain, de répondre aux souhaits d’un client, de livrer la commande en temps et en heure. »

Quels conseils donnez-vous à vos élèves ?

« Forcément d’être motivés, de ne pas hésiter à travailler pour arriver à ce que l’on souhaite, car c’est important de faire une chose que l’on aime. Il faut en vouloir. »

Le CPMA et le BPMA sont deux diplômes reconnus à l’échelle nationale. En quoi l’obtention de ces derniers a influencé votre parcours professionnel ?

« C’est grâce à cette reconnaissance que je peux enseigner au Centre des métiers d’art, car auparavant, je n’étais titulaire que du brevet des collèges. »

Quelle est votre actualité en tant qu’artiste ?

« Le milieu des arts est touché par la crise liée à la Covid-19, on vend moins en ce moment. C’est difficile, car les gens ont d’autres priorités ou soucis que l’art. Mais, justement, cette situation actuelle de confinement va influer sur mes prochaines sculptures. Elles seront inspirées de la crise que nous vivons actuellement. »

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