Hiro’a n°142 – 10 questions aux chercheurs du centre international de recherche archéologique sur la Polynésie

  • Emilie-Nolet
  • Dr Guillaume Molle from the ANU School of Archaeology and Anthropology.
    Dr Guillaume Molle from the ANU School of Archaeology and Anthropology.
  • louis Lagarde (1)

10 questions aux chercheurs du centre international de recherche archéologique sur la Polynésie (Cirap) : Guillaume Molle (Australian National University-CIRAP), Émilie Nolet (Université Paris I-ArScAn) et Louis Lagarde, (université de la Nouvelle-Calédonie)

Propos recueillis par Alexandra Sigaudo-Fourny

Les ossements de tortue confirment l’importance de cet animal pour les anciens Pa’umotu 

Les campagnes de fouilles, conduites par le Centre International de recherches archéologiques sur la Polynésie (CIRAP) sur l’atoll de Fakahina, aux Tuamotu, se sont poursuivies en avril dernier. L’objectif de ce programme pluridisciplinaire était de mieux connaître le passé pré-européen de cet archipel et comprendre l’adaptation sociale à un environnement hostile jusqu’au XXe siècle. Cela passe aussi par des entretiens avec la population pour enregistrer les savoirs locaux.

Pouvez-vous nous rappeler en quoi consiste ce programme de fouilles et de recherches pluridisciplinaires aux Tuamotu ?

Ce programme de recherches, financé par le contrat de projets État-Pays, est conduit par le Centre international de recherches archéologiques sur la Polynésie (CIRAP) et regroupe plusieurs chercheurs en archéologie et anthropologie spécialistes de la région autour d’un objectif commun : celui de mieux documenter l’histoire des Pa’umotu sur le long terme, depuis les premiers peuplements jusqu’au XX e siècle. Il s’agit aussi pour nous de comprendre la manière dont les communautés polynésiennes installées sur les atolls sont parvenues à s’adapter à ces milieux écologiques contraignants et à y développer des cultures originales.

Plusieurs atolls sont concernés par ce programme ?

Ce projet porte sur plusieurs atolls, mais nous avons choisi de nous focaliser d’abord sur Fakahina en 2018 et 2019.

Justement, vous aviez déjà mené une campagne de fouilles en 2018 à Fakahina ; quand avez-vous démarré votre deuxième mission ?

Cette mission s’est déroulée durant quatre semaines, du 11 avril au 9 Mai. Nous étions accompagnés cette année de Frédérique Valentin, anthropologue physique du CNRS et de Jacques Vernaudon, maitre de conférences en linguistique à l’université de la Polynésie française.

En quoi a consisté cette deuxième phase ?

Nous avons pu poursuivre la fouille de plusieurs sites archéologiques, en particulier celui du grand marae Te-Rangi-te-tau-noa, à Katipa, décrit comme l’un des marae gati, c’est-à-dire fonctionnant pour l’ensemble d’une lignée (gati) ou de la chefferie. Des entretiens ont également été menés avec les habitants de Fakahina afin de recueillir des traditions sur les sites et des informations sur l’histoire plus récente de l’atoll.

Quelles ont été les découvertes ?

Une grande partie de notre temps a été consacrée à la fouille du marae de Katipa qui est un site très complexe. Il présente plusieurs ahu (autels) et cistes* dont nous souhaitions documenter la fonction. Nous avons pu fouiller l’ensemble de ces structures. Plusieurs semblent avoir été utilisées comme lieux de déposition, sans doute des restes des offrandes de nourriture offertes aux dieux et aux ancêtres en face des pierres dressées. Nous avons recueilli beaucoup d’ossements de poisson, de requin, mais surtout de tortue ce qui confirme l’importance de cet animal pour les anciens pa’umotu. Nous avons également recueilli des échantillons de charbon qui vont nous permettre de dater la période de construction et d’utilisation de ces structures.

En marge de vos recherches sur le peuplement des atolls, avez-vous poursuivi l’étude du « village missionnaire » ?

Oui, cette année nous avons pu cartographier l’ensemble de l’ancien village de Hōkikakika, pour comprendre comment s’organisait l’habitat autour de l’église, du cimetière et de la mission proprement dite. En plus, nous avons effectué des relevés systématiques des façades et des soubassements des anciennes maisons, ce qui nous a permis de connaître leurs proportions et les techniques de construction utilisées. Nous pouvons maintenant « remonter » une bonne partie d’entre elles — au moins sur le papier ! Nous avons enfin collecté des objets en surface (bols, assiettes, bouteilles anciennes, bouchons en verre, petits éléments métalliques) qui nous renseignent sur le quotidien des populations dans l’est des Tuamotu au tournant du XXe siècle, et plus largement, sur le commerce à l’intérieur des établissements français de l’Océanie à cette période. Après les avoir photographiés et dessinés, nous les avons ramenés sur place.

La tradition orale est-elle indispensable dans ce type de recherches ?

L’arrivée de l’écriture est un phénomène relativement récent en Polynésie française et remonte à l’installation des missionnaires chrétiens. L’ensemble des connaissances (généalogies, toponymie, chants, savoirs naturalistes, etc.) était auparavant transmis de manière orale. Même si le passage du temps et les changements sociaux ont contribué à une forte érosion des connaissances traditionnelles, une partie de ce savoir a perduré et reste extrêmement utile aux archéologues qui enquêtent sur les vestiges matériels des sociétés du passé. Les noms des marae, des chefs, des gati, les chants anciens, peuvent offrir de précieux indices sur l’histoire ou encore la fonction des sites pré-européens. Il est tout aussi important de mobiliser les connaissances des habitants pour mieux comprendre ce qui s’est passé à partir de la seconde moitié du XIXe siècle, dans le sillage de l’évangélisation de la partie orientale des Tuamotu. L’histoire du village de Hōkikakika peut ainsi être reconstituée à partir des écrits des missionnaires, mais aussi des récits oraux, qui en offrent une vision à la fois complémentaire et, parfois, sensiblement différente.

Quelles informations la population détient-elle encore sur leur atoll ?

Certains domaines de connaissance ont été mieux préservés que d’autres. Nous avons enquêté en particulier sur les connaissances relatives au milieu naturel, marin et terrestre (pêche, usages des plantes en médecine traditionnelle, etc.). La population de Fakahina s’est montrée particulièrement intéressée, patiente et généreuse de ses connaissances, et nous tenons à remercier très chaleureusement tous ceux qui nous ont aidés à mener cette étude à bien.

Quelle est la prochaine étape ?

L’année qui vient va être consacrée à l’analyse en laboratoire de l’ensemble du matériel et des données que nous avons recueilli au cours de ces deux campagnes sur Fakahina. Notre doctorante Vahine Ahuurua Rurua va prochainement identifier les espèces de poissons présentes dans nos assemblages, les os de tortue vont aussi faire l’objet d’analyses archéo-zoologiques pour reconstituer le poids, l’âge et les modes de découpe des animaux. Ces résultats permettront de mieux comprendre les gestes rituels effectués sur ces marae. Nous devons aussi mettre au propre les relevés du « village missionnaire » et des artefacts et continuer à étudier les archives des missionnaires catholiques.

Est-ce que ces données seront accessibles au grand public ?

Ces résultats seront synthétisés dans un rapport pour la DCP, puis publiés dans une série d’articles scientifiques.

* Une petite cache pouvant contenir des fragments d’os humains.

Vous aimerez aussi...