Hiro’a n°139 : Dossier : Tupuna > Transit, une invitation à porter un nouveau regard sur les trésors polynésiens du musée

Rencontre avec Miriama Bono, directrice du musée de Tahiti et des îles, et Michael J. Koch, scénographe de l’exposition Tupuna > Transit.

 

Dossier Tupuna Transit musée

Texte : Élodie Largenton. photos : MTI

 

Les chefs d’œuvre du musée de Tahiti et des îles sont en transit, en attendant l’ouverture de la nouvelle salle d’exposition permanente, et ils nous invitent à voguer avec eux dans les eaux de nos archipels. Tupuna > Transit est une exposition conceptuelle, un terrain de jeu pour petits et grands, Polynésiens et touristes.

 

Embarquement immédiat ! Les œuvres de nos tupuna* déménagent et cette exposition est l’occasion de les accompagner dans ce nouveau voyage. Pour aller d’une île à l’autre, rien de mieux que la pirogue. Quatre va’a en plexiglas, inspirés des modèles créés par l’artiste maori George Nuku, sont disposés dans les espaces de la salle d’exposition temporaire du musée. Elles accueillent une centaine de pièces, choisies parmi les plus belles de la collection de l’établissement. Il y a des grands tiki, le tabouret de Mai, des éventails, des ivi po’o des Marquises… « On a retenu principalement des pièces liées au prestige, au sacré, au mana. Il y a moins d’objets liés au quotidien et à l’alimentation, même s’il y en a tout de même quelques-uns », précise Miriama Bono, la directrice du musée. Pour marquer les esprits, le tiki le plus imposant de la collection est exposé dans l’entrée, dans le plus petit espace de la pièce. « On est dans le regard », souligne le scénographe de l’exposition, Michael J. Koch. « C’est très conceptuel, presque du domaine de l’installation d’art contemporain », ajoute Miriama Bono. Il n’y a ainsi quasiment pas de texte à lire, un code couleur permet d’identifier l’archipel d’origine de l’objet, mais pour en savoir plus, il faudra faire la démarche d’aller consulter les livres en libre accès dans la dernière partie de l’exposition ou bien, pour les scolaires, les supports pédagogiques élaborés avec la DGEE (direction générale de l’éducation et de l’enseignement). « Le but, c’est que les gens se posent des questions. Ce n’est pas pédagogique, on confronte les visiteurs a des choses inconnues », expose Michael J. Koch. Les chefs d’œuvre du musée se redécouvrent donc sous une lumière nouvelle.

 

Les dernieres acquisitions du musée dévoilées

Cette exposition de transition est l’occasion de se projeter déjà un peu dans le futur. Les pièces acquises par le musée en 2016 et 2017 sont ainsi présentées au public pour la première fois. Il y a notamment cet ivi po’o des Marquises, acquis en décembre 2017. L’ornement a été trouvé il y a une trentaine d’années dans le jardin de ses anciens propriétaires et il a la particularité d’être petit et fin. Le type de visage du tiki sculpté sur la surface rappelle celui du poteau funéraire de Ua Pou, qui est dans les collections du musée. Un motif géométrique évoquant le tressage a été sculpté derrière la tête et les épaules, simplement marquées par une rainure, semblent ne pas avoir été achevées. Les oreilles sont finement sculptées comme l’ensemble des traits du visage. La paroi osseuse est épaisse, mais la taille de l’ivi po’o est réduite, sa hauteur est de 2,6 cm. À terme, cet ornement pourra être admiré dans la salle d’exposition permanente avec les autres ivi po’o, dans la section Marquises.

L’exposition Tupuna > Transit permettra aussi de découvrir un objet étonnant : un collier de chaman tlingit, peuple originaire d’une région située entre la Colombie-Britannique et l’Alaska. Il est constitué d’éléments provenant principalement d’autres cultures et notamment des Marquises. On peut en effet voir, un peu à droite du centre du collier, un pu taiana en ivoire, un ornement d’oreille sculpté. Attaché la tête en bas, il présente un tiki. « C’est un exemple du mélange des cultures et une trace des échanges dans le Pacifique au cours du XIXe siècle », note Miriama Bono. Cet objet chargé de mana a beaucoup voyagé, puisque c’est une galerie parisienne, Flak, qui l’a repéré. De retour dans le Pacifique, le collier de chaman rejoint donc le dernier ivi po’o des Marquises acquis par le musée. C’est à la toute fin de l’exposition qu’on peut les découvrir, comme une invitation à faire un saut dans la future salle majeure du musée.

 

Avoir la tête dans les nuages… de la connaissance

Outre ces objets, il y a la connaissance immatérielle qui est représentée par des nuages de mots inscrits sur les murs. Il y en a un, par exemple, consacré au va’a : autour du mot gravitent d’autres termes qui y sont rattachés, dans différentes langues de la Polynésie française. « Je suis linguiste et je trouve qu’on peut transmettre bien plus dans les langues que dans les objets », confie Michael J. Koch, qui invite les visiteurs à « se laisser inspirer par ces termes ». Une trentaine de nuages flottent dans l’exposition ; on pourra aussi admirer les Pléiades sur un pan de mur. Cette mise en scène des objets, des traditions polynésiennes et même des questionnements de la société contemporaine est une transition idéale vers la future salle d’exposition permanente. Dans le prochain espace aussi, les objets s’affranchiront des vitrines et nous pourrons circuler autour pour les admirer d’une façon nouvelle. Ce voyage des œuvres de nos tupuna va durer un an et demi, ce qui permettra de faire des ajustements au fil du temps, selon les retours du public. Comme le fait remarquer Michael J. Koch, cette proposition conceptuelle, « c’est un défi dans le sens positif du terme, on sort du préfabriqué ».

 

*ancêtres

 


Des visites guidées adaptées à tous les publics

L’avantage de cette exposition dont les codes sont un peu bousculés, c’est qu’elle permet de faire des focus sur des thèmes précis comme la navigation. L’intervenant pourra emmener les visiteurs à la découverte des objets et des mots liés au thème en se baladant dans l’espace. « Ce n’est pas un parcours historique, c’est un terrain de jeu », souligne Michael J. Koch. Il y aura donc des visites guidées très différentes selon les intervenants – le scénographe de l’exposition, un membre de l’équipe du musée ou les guides du centre culturel ‘Arioi qui interviennent tous les premiers dimanches du mois. « Cela permet d’avoir des regards différents », souligne Miriama Bono. Un planning de visites guidées sera mis en place par le musée ; les propositions incluront des visites le week-end, mais aussi en semaine, et a la demande pour les groupes. Ce planning sera mis à jour régulièrement sur le site internet du musée. Les familles comme les touristes s’y retrouveront, puisque les visites guidées pourront se faire en français, en anglais, en tahitien, en allemand, et même en marquisien !

 


Les nostalgiques ne sont pas oubliés

Le musée évolue, mais il ne perd pas la mémoire ! Dans le dernier espace de l’exposition Tupuna > Transit, un iPad permet de projeter sur le mur des vues en trois dimensions de l’ancienne salle permanente. « On a pris des images 3D de la salle avant qu’elle ne soit détruite », raconte Miriama Bono. On se souvient qu’il y avait une salle consacrée a une présentation du milieu naturel, une autre salle dédiée à la culture sous son aspect matériel, une troisième salle axée sur la vie sociale et religieuse et une quatrième salle plus historique. Avec cette plongée dans le passé rendue possible par la technologie, l’idée est de se rappeler la manière dont les objets étaient présentés auparavant, « mais aussi d’ouvrir des discussions sur l’avenir du musée », précise Michael J. Koch. En complément, on peut se pencher, a l’entrée de l’exposition, sur l’histoire de l’établissement. Créé en 1974, le musée de Tahiti et des îles – Te fare manaha a ouvert ses portes au public en mai 1977. Ce sont d’abord trois salles d’exposition permanente qui ont été accessibles, avant que l’ensemble du musée ne soit ouvert en juin 1979. Avec les grands travaux entrepris actuellement, c’est une nouvelle page majeure qui s’ouvre pour l’établissement de la pointe des Pêcheurs.

 


Le futur musée se dessine

Pendant que l’on admirera sous un nouveau jour les pièces maîtresses du musée, la future salle d’exposition permanente sera en pleine construction.

Le chantier débutera en mai ; après quelques mois de préparation, la démolition des anciens espaces commencera en octobre 2019. À partir de mai prochain, l’entrée des visiteurs se fera par le portail du personnel et le parc sera partiellement fermé. Pas de panique, des panneaux indicatifs seront installés pour permettre au public de s’y retrouver.

L’exposition Tupuna > Transit s’achèvera en septembre 2020, après les Journées du patrimoine. Les six mois suivants permettront de faire d’éventuelles restaurations et surtout d’installer les pièces dans la nouvelle salle du musée. Si cela peut paraître long aux yeux du public, c’est un délai nécessaire, explique Miriama Bono : « On prend le temps de déménager les œuvre, parce que ce sont des opérations complexes, qui sont pour la plupart menées par les agents du musée qui connaissent bien ces objets fragiles et sont habitués à les manipuler. » L’ouverture du « nouveau » musée aura lieu courant 2021, vers mars-avril.

Dans ce futur espace, toutes les salles seront regroupées en une seule. « L’idée a été de créer des îlots sur la base des îles en Polynésie », expliquait l’architecte mandataire du projet, Pierre-Jean Picart, au Hiro’a en janvier

  1. « Décloisonner les espaces permet une mise en relation des œuvres, qui se font écho », ajoutait-il. Résolument contemporain, le musée n’en sera pas moins polynésien : « On va recréer une zone s’apparentant a un paepae avec un grand mur basaltique pour donner une cohérence au projet et la structure rappellera la construction vernaculaire avec les fare haupape et leurs trois rangées de poteaux encastrés dans le sol. »

 

 

Pratique

  • Tupuna > Transit
  • Jusqu’au 20 septembre 2020
  • Musée de Tahiti et des îles
  • Pointe des pecheurs, Punaauia
  • Du mardi au dimanche, de 9h a 17h
  • Tarif : 600 xpf l’entrée a l’exposition / 500 xpf tarif groupe
  • Gratuit pour les étudiants et moins de 18 ans

+ d’infos : www.museetahiti.pf, page facebook Musée de Tahiti et des îles – Te Fare Manaha, 40 548 435.

 

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