N°132 – « Je vais raconter tout ce qu’on ne sait pas »

Maison de la culture (TFTN) – Te fare tauhiti nui132 - 10 questions à - JC Shigetomi par Lucie Rabréaud 041

 

10 questions à Jean-Christophe Shigetomi, médiateur culturel et chargé de projet pour l’installation du futur centre culturel.

Texte et photo : Lucie Rabréaud.

 

Les manifestations du centenaire de la Grande Guerre vont prendre fin dans quelques mois. Pour l’occasion, une exposition sur les poilus tahitiens est organisée à la Maison de la culture. Musique, photos, archives, anecdotes… L’histoire de Tahiti se découvre à travers les destins personnels de ces soldats.

 

Pourquoi organiser une exposition sur les poilus tahitiens ?

En cette fin d’année 2018, nous allons commémorer la fin des manifestations du centenaire de la Grande Guerre. Pour participer à ces commémorations, nous organisons une exposition qui a déjà eu lieu au Musée de Tahiti et des îles en 2017. Des panneaux, labellisés par la Mission centenaire, vont être présentés pour donner une idée de la participation des Tahitiens dans la Grande Guerre suivant différentes thématiques inédites. Nous n’allons mettre en avant que des éléments nouveaux.

Que pourra-t-on voir lors de cette exposition ?

Des panneaux vont raconter l’histoire des poilus tahitiens, mais également celle de Tahiti à cette époque. Nous présenterons un fonds sonore de musique du début du siècle, avec les chants populaires de l’époque : la Madelon, Dans les tranchées de Lagny, et les sons de cornemuse car les Écossais montaient à l’assaut au son de la cornemuse. Un écran diffusera les portraits nominatifs de l’ensemble des poilus tahitiens, beaucoup de familles n’ont pas connaissance des visages de leurs grands aînés, ni de leur histoire. Des livres anciens, des ouvrages et des documents issus des fonds de l’association Mémoire polynésienne seront disponibles, et il sera possible de consulter les livrets militaires des soldats sur un support numérique. Les familles pourront même récupérer ces documents si elles le souhaitent. Cela vient des archives nationales d’Outre-mer, situées à Aix-en-Provence. Nous allons faire des projections de grands films connus sur la guerre de 14-18. Et je vais également animer une conférence.

Quel sera le sujet de cette conférence ?

Je vais raconter l’histoire des Tahitiens engagés dans la Grande Guerre, dire tout ce qu’on ne sait pas. On connaît l’implication des Tahitiens dans le Bataillon mixte du Pacifique, mais ils étaient en fait partout : chez les Russes, chez les Néo-Zélandais, chez les Australiens… Ils ont été intégrés dans plein de corps différents, dans les scaphandriers de combat, chez les chasseurs alpins, le train, l’artillerie, l’aviation. Je ne dis pas que c’est exhaustif, mais là nous rentrons dans le détail.

Pourquoi est-ce important de donner les noms des poilus et de raconter leur histoire personnelle ?

C’est un devoir de mémoire. On avait très peu écrit sur la Guerre de 14. Quand les poilus tahitiens sont rentrés, ils sont redevenus des gens normaux, discrets… Alors qu’ils ont beaucoup souffert. C’était des conscrits, ils n’étaient pas volontaires pour aller à la guerre, ils n’avaient pas le choix. 1 180 hommes sont partis et 300 ne sont pas revenus. Les familles n’ont jamais récupéré les corps, restés là-bas, et ne savent même pas où ils sont enterrés exactement. Je suis allé sur toutes les nécropoles, j’ai retrouvé certaines sépultures, je les ai prises en photo, j’ai même fait rectifier des erreurs, car des Tahitiens étaient enterrés sous des sépultures musulmanes.

Cette exposition nous emmène aussi à la découverte du Tahiti de cette époque ?

Oui, l’idée était aussi de découvrir comment était Tahiti il y a 100 ans, comment la ville était aménagée, quelles étaient les grandes familles de l’époque… Ce sont des fratries entières qui sont parties à la guerre. Dans certaines familles, tous les garçons sont partis et seuls un ou deux sont revenus. Des familles ont été décimées. Et pendant ce temps, à Tahiti, une autre tragédie se déroule : plus de 3 000 personnes meurent de la grippe espagnole. Quand les poilus reviennent, il n’y a personne sur les quais pour les accueillir : beaucoup ont été victimes de l’épidémie.

Quel est le message de l’exposition ?

C’est très simple : ceux qui ne connaissent pas leur histoire sont condamnés à répéter les mêmes erreurs. Je peux aussi citer Paul Éluard : « Si l’écho de leur voix faiblit, nous périrons. » C’est important de se souvenir.

Comment cette passion est-elle née ?

Depuis l’âge de 8 ans, je n’ai lu que des livres d’histoire. J’étais passionné d’histoire mais surtout par les guerres mondiales. Et un jour, il y a à peu près dix ans, je travaillais dans un cabinet à la présidence et nous étions en plein transfert des terrains militaires aux communes. Je suis allé à une réunion concernant le transfert du fort de Taravao à Taiarapu-Est, on m’a appris que la commune souhaitait en faire le musée du Bataillon du Pacifique. Je trouvais que c’était une bonne idée. Ils m’ont assuré qu’ils avaient tout ce qu’il fallait. Quelques jours plus tard, je suis allé discuter avec John Martin, porte-parole du Bataillon du Pacifique, je lui ai demandé ce qu’il pensait du projet du musée, mais il n’était pas au courant. Quand je suis rentré chez moi, ça m’a travaillé. Tu sors un peu bouleversé après des discussions avec des anciens soldats.

Qu’avez-vous fait ?

Le lendemain, j’ai pris une feuille blanche et j’ai commencé à marquer les noms de tous les garçons qui étaient à l’école avec moi et qui parlaient du Bataillon du Pacifique. J’ai écrit 50 noms. Je les ai appelés. Leur père ou leur oncle ou quelqu’un de leur famille en avait fait partie et ces familles avaient des documents. J’ai commencé à tout collecter pour que rien ne soit perdu. Je n’avais pas d’idée de comment tout ça allait finir mais ça m’intéressait. Arrivé à un certain âge, on a aussi besoin de regarder en arrière, savoir d’où on vient, ce qu’il s’est passé, de mieux comprendre. Je suis retourné voir John Martin et je lui ai annoncé qu’on allait créer un site internet : les Tahitiens dans la guerre, que j’allais écrire, faire un film et à terme un musée. Il m’a regardé avec des yeux tout ronds et il n’y a pas cru.

Les familles ont commencé à vous faire parvenir de la documentation ?

Dès que le site a été mis en ligne en 2011, c’est arrivé de partout : nous avons reçu des témoignages, des images. J’ai collecté plus de 5 000 photos et de multiples documents. Je suis allé aux États-Unis, à Hawaii, en Nouvelle-Zélande, en France… J’ai collecté beaucoup de choses et j’ai travaillé. Ça a pris des dimensions énormes. J’ai commencé à écrire et trois livres ont été publiés (Tamari’i volontaires volume 1 et 2, et Poilus tahitiens). Malheureusement, le site n’est plus accessible mais tout se trouve dans mes livres et aux archives. Il y a eu l’exposition Tamari’i Volontaires et puis le film : Aux armes Tahitiens de Jacques Navarro. John Martin est décédé avant de voir tout ce travail mais c’est lui qui a lancé officiellement le site web.

Tahiti sera-t-elle représentée aux commémorations en Europe ?

Nous allons participer aux commémorations du 11 novembre qui vont se tenir en Belgique, à Ypres, et qui va accueillir plus de 125 pays. Le moyen choisi pour témoigner du passage des soldats de ces différents pays a été de fabriquer une chaise d’époque. Cette chaise vide représente aussi la perte d’un être cher.

 

 

Pratique

Exposition « Centenaire 1914-1918 : mémoires de Tahitiens », du 18 au 28 septembre, dans la salle Muriavai de la Maison de la culture. Entrée libre.

Projections, ateliers lecture, visites guidées, conférences…

Plus d’infos : www.maisondelaculture.pf / FB La Maison de la Culture de Tahiti

Réservation pour les visites scolaires : 40 544 536 / email : [email protected]

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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