N°129 – Le récit de Mortimer à Tahiti

 

Service du patrimoine archivistique et audiovisuel (SPAA) – Te piha faufa’a tupunaMortimer_DAN160_1

 

Rencontre avec Michel Bailleul, docteur en histoire et intervenant au sein du Service du patrimoine archivistique et audiovisuel. Texte : SF. Photos : SPAA.

 

 

 

Le Service du patrimoine archivistique et audiovisuel met à disposition du public sur son site internet toute une série d’études épistolaires et bibliographiques concernant des livres et documents rares du fonds archivistique conservé. Ce mois-ci, le Hiro’a vous présente le livre de Georges Mortimer, dont une partie est consacrée à son séjour à Tahiti.

 

George Mortimer est un lieutenant de marine. Le 12 août 1789, il arrive à bord du Mercury dans la baie de Matavai, à Tahiti. Ce brick anglais est parti de Gravesend, en Angleterre, en février 1789 pour rallier Tenerife, Tristan da Cunha, le Cap de Bonne Espérance, l’île Amsterdam, et la Tasmanie avant d’arriver à Tahiti le 12 août, puis de continuer sa route vers Canton. Ce navire à deux mâts de 152 tonnes, d’environ 30 mètres de longueur, rapide et maniable, est très répandu entre la fin du XVIIe siècle et le milieu du XIXe siècle. Le brick est le navire de prédilection des pirates et des corsaires, mais il est aussi utilisé pour le commerce, l’exploration et la guerre. Le Mercury est commandé par John Henry Cox, qui connaît bien les côtes est et ouest de l’océan Pacifique. Habile commerçant, Cox s’est lancé dans le commerce de fourrures et de peaux. Il a signé un contrat avec le roi de Suède, Gustave III, qui met à disposition son navire pour s’attaquer aux intérêts russes dans la région. Mais il semble que Cox a préféré utiliser ce contrat comme une « arme commerciale » vis-à-vis des concurrents plutôt que de causer des dommages aux Russes. Dans son livre, qui relate en anglais ce voyage, le lieutenant Georges Mortimer ne fait d’ailleurs aucune mention d’utilisation des 16 canons du navire.

Entre étonnement et admiration

Dans son récit de 120 pages, Mortimer en consacre 47 à Tahiti et aux îles avoisinantes. En marge, l’auteur a mentionné la chronologie du voyage, au jour le jour. « L’auteur prévient d’emblée que le capitaine Cook et les gentlemen qui l’accompagnaient ont si bien décrit Tahiti, les us et coutumes de ses habitants, son climat, ses productions, qu’un nouveau compte rendu détaillé serait superflu. L’auteur s’est donc contenté de narrer les événements vécus au cours de son séjour », explique Michel Bailleul, docteur en histoire et intervenant au sein du SPAA. À son arrivée à Matavai, Georges Mortimer est accueilli par le chef du district Poino, qui a la particularité d’avoir conservé le portrait de Cook au dos duquel le capitaine Bligh avait écrit quelques mots avant son départ le 4 avril 1789, quatre mois avant l’arrivée du Mercury. Tout le temps de l’escale du Mercury, le navire est envahi par une foule de curieux. L’équipage aura même la visite de Itia, la femme de Tu (Pomare Ier), pour qui Mortimer a de l’admiration: « C’est une femme sensible et intelligente […], elle se sert d’un couteau et d’une fourchette presque aussi bien qu’une Européenne ; et elle adore le thé. Sa Majesté est une excellente tireuse, et atteignit notre bouée dès son premier coup de feu, avec une seule balle, bien qu’elle fût à une grande distance du bateau ». Après la visite de la femme de Pomare Ier, Tu lui-même s’invite sur le navire, ravi de rencontrer l’équipage mais étonné qu’un navire si petit ait pu venir d’aussi loin « sans balancier ». Mortimer, lui, ne cache pas son étonnement quant à l’intérêt que les Tahitiens portent aux étrangers : « Nous ne descendîmes jamais à terre sans être suivis d’une foule de personnes des deux sexes et de tous âges, qui s’efforçaient de se tenir tout près de nous et nous toucher, certains nous caressant le dos et les côtés, d’autres admirant nos vêtements». Dans son récit, Georges Mortimer raconte aussi comment ils pouvaient se disputer pour les porter quand leur chemin était traversé par un ruisseau.

Découverte des pratiques

Mortimer n’hésite pas à se rendre à terre. Il visite avec un officier du Mercury la demeure de Poino où il goûte au massage traditionnel, le taurumi avant de se rendre au heiva, organisé pour les divertir. « Le spectacle comprenait des danses, des textes chantés, des saynètes, avec accompagnement de battements de tambours, raconte-t-il, les acteurs étaient des deux sexes et s’acquittaient avec beaucoup d’habileté de leurs rôles respectifs. Les batteurs se montraient particulièrement doués, suivant le rythme avec précision et adaptant le son de leurs tambours aux mouvements des danseurs. Nous ne pouvions pas bien comprendre les thèmes de leurs comédies ». Si certaines scènes déclenchent l’hilarité des spectateurs, Mortimer observe aussi que lui et ses compagnons sont parfois la risée des Tahitiens. « S’ils étaient témoins d’une de nos actions, à bord du navire, qui leur semblait ridicule ou absurde, ils ne manquaient pas de la parodier avec une grande exagération.» L’équipage assiste à plusieurs heiva, le dernier est décrit par Mortimer comme étant « plus particulièrement indécent et lascif ». Il raconte également une anecdote vécue par l’un des marins tombé amoureux d’une danseuse. Alors qu’il projette de l’emmener à bord, il découvre lorsque la danseuse retire son « attirail de scène » qu’elle est en réalité un « joli et fringant garçon ».

Regard critique

Georges Mortimer dresse un portrait peu flatteur de Tu. Il le décrit comme un grand buveur ingurgitant « des rasades de vin à la santé du roi George avec autant de rapidité que nous en mettions à remplir son verre ». Mortimer raconte aussi que ses sujets « étaient peu respectueux envers sa personne ». Tu est en outre enclin aux crises de jalousie, ajoute Mortimer, qui décrit comment il a pleuré, un jour, en voyant qu’on avait offert à sa femme une paire de ciseaux avec une chaîne pour les suspendre. Pour autant, Tu dormait presque toutes les nuits à bord. «  Une présence qui gênait l’équipage mais on ne l’a jamais chassé, ce qui n’était pas le cas pour le reste de la population », explique Michel Bailleul. Dans son récit du voyage polynésien, Mortimer consacre aussi plusieurs pages à Moorea, où il assiste à un combat au cours duquel leur présence a permis de faire battre en retraite les ennemis de ceux qui les avaient accueillis. Après moins d’un mois de séjour, l’heure est au départ. Avant de partir pour Tetiaroa, l’équipage du Mercury abandonne un matelot à Tahiti qui, violent quand il boit, est mis sous la protection de Tu. Le 2 septembre, le Mercury fait voile vers Tetiaroa avant de traverser l’équateur le 10 et atteindre Hawai’i le 20. Ce voyage en Polynésie de Mortimer est à retrouver dans son livre, conservé précieusement aux archives.

 

 

Retrouvez…

Toutes les études sur le site du SPAA : www.archives.pf, et sur la page Facebook « Service du patrimoine archivistique audiovisuel ».

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