N°104 – « Tāmau ou la permanence » : danse des cultures

 

Conservatoire Artistique de Polynésie française – Te Fare Upa RauIMG_3957

Maison de la Culture –Te Fare Tauhiti Nui

 

Rencontre avec John Mairai, metteur en scène, le maestro Simon Pillard, VaehakaikiUrima, chorégraphe en danse traditionnelle, Frédéric Cibard, chargé de la programmation et de la communication du Conservatoire, Florence Yhuel, chorégraphe de la compagnie Element Terre et directrice du centre de danse André Tschan et Marion Fayn, chorégraphe et directrice artistique de l’Académie de danse Annie Fayn.

 

Texte : ASF. Photos : ASF et CAPF.

 

Quand un orchestre symphonique fait danser les ballets traditionnels et classiques au Grand Théâtre de la Maison de la Culture, cela donne « Tāmau ou la permanence ». Un hommage à la danse, une rencontre des cultures traditionnelles et classiques portée par un répertoire classique de grande qualité.

A l’origine de ce projet d’envergure, il y a le grand orchestre symphonique du Conservatoire qui, chaque année, propose un concert réunissant élèves et professeurs autour d’un répertoire classique. Cette année, ce concert annuel s’est transformé en hommage à la danse classique, contemporaine, mais aussi traditionnelle. Et c’est ainsi qu’aux côtés des danseurs de ’ori tahiti du Conservatoire, le public pourra découvrir sur la scène du Grand Théâtre les créations originales contemporaines et classiques du Centre André Tschan et de l’Académie de danse Annie Fayn.

Sur scène, neuf tableaux vont se succéder, tous portés par le grand orchestre symphonique – installé pour l’occasion dans la fosse -, lui-même soutenu par quelques ponctuations instrumentales traditionnelles. D’un côté, la musique de Rameau, Purcell, Beethoven, Saint-Saëns et surtout le « Bolero » de Ravel. De l’autre, des danseurs traditionnels et classiques, tantôt côte à côte, tantôt seuls sur la scène. Et pour favoriser ces rencontres artistiques, raconter une histoire : un metteur en scène, un coordinateur. C’est John Mairai qui, du fait de son expérience, a su trouver un lien universel à ce spectacle, un sens particulier à cet hommage à la danse en faisant référence au pas de base des femmes, le tāmau et son balancement perpétuel des hanches. Une permanence que l’on retrouve dans le mouvement, mais aussi dans la musicalité, dans le cycle de la vie

et de la mort, ou bien encore dans la permanence de l’alternance du jour et de la nuit. Et pour mieux interpréter encore cet- te permanence, John Mairai s’est appuyé sur le mythe de Maui qui tente d’enlever la vie à la déesse de la mort. Un moment fort qui ira crescendo à l’instar du « Bolero » de Ravel, pièce maîtresse de ce concert. Avec plus de cent artistes sur scène, le rendez- vous est donc exceptionnel et le challenge grisant.

 

JOHN MAIRAI, METTEUR EN SCÈNE

« MONTRER LA PERMANENCE, LE RYTHME, LE BALANCEMENT ÉTERNEL »

Comment êtes-vous venu sur ce projet ? Quel est votre rôle ?


Simon Pillard et Guillaume Dor ont sélectionné un certain nombre de morceaux pour l’orchestre, puis ils ont voulu partager ce travail avec le département des arts traditionnels, mais aussi avec deux autres écoles de danse. En 2014, j’avais sollicité Simon pour accompagner un spectacle de ‘orero avec une suite de Bach. C’était étonnant et magique. Là, c’était l’occasion de retravailler ensemble. Cette fois, on m’a demandé de coordonner les disciplines et les différents tableaux entre le traditionnel et le classique.

Est-ce qu’il fallait à chaque fois que les deux univers se rencontrent ?


Ce n’était pas une obligation de faire se rencontrer systématiquement la danse traditionnelle et la danse classique sur scène, mais il ne faut pas oublier que Marion Fayn est diplômée de danse traditionnelle et qu’elle a longtemps travaillé avec Coco Hotahota, donc elle voulait créer des passerelles entre les deux danses dans chaque chorégraphie. C’est ce qu’on a essayé de faire.

Quel est le lien entre le premier morceau musical et le dernier ?


Tous ces morceaux sans exception pourraient être liés par une idée maîtresse : la mort. Une mort parfois traitée avec beaucoup de provocation, parfois sous les traits de fantômes. Mais surtout dans toutes ces œuvres il y a cette succession de la lumière à l’ombre, du jour et de la nuit, de la vie et de la mort. Dans le « Bolero », on retrouve le rythme, la répétition et ça monte en crescendo puis tout s’arrête. Je me suis souvenu d’une phrase de Fabien Dinard qui disait qu’il fallait éviter de faire trop de chorégraphie pour expliquer un texte, car cela finissait par donner de la gesticulation et non de la gestuelle. Pour lui, il était temps de revenir vers des pas beaucoup plus sobres, il faisait référence à ce pas des femmes qu’est le tāmau, qui est le balancement permanent des hanches. C’est ainsi qu’est né dans mon esprit le thème de la permanence, du mouvement et du rythme maintenus. Ici, on retrouve musicalement ce mouvement perpétuel, cette permanence. C’est ce que je voulais travailler avec le groupe traditionnel.

Comment Maui est-il entré dans cette histoire ?


Marion et Moon (Vaehakaiki Urima) avaient besoin d’un support pour interpréter le « Bolero » de Ravel. Quand on écoute cette œuvre, on entend un crescendo orchestral puis une n brutale. Lorsque Maui décide de tuer la déesse de la mort, il y a ce crescendo dans son ascension et, alors qu’il est près du but, il échoue brutalement. On retrouve cette permanence. Le piège aurait été d’illustrer Maui, d’être trop au premier degré. Maui est un prétexte pour construire une chorégraphie commune, mais cela doit rester abstrait. Ici, il ne s’agit pas de raconter l’histoire de Maui, mais de montrer la permanence, le rythme, le balancement éternel.

 

VAEHAKAIKI URIMA, PROFESSEUR DE ‘ORI TAHITI AU CONSERVATOIRE POUR LES ÉLÈVES DE HAUT NIVEAU.

« L’HISTOIRE DE MAUI EST UNE PASSERELLE ENTRE LES DEUX DANSES »

Participer à la rencontre entre la danse traditionnelle et la danse classique est une nouveauté pour vous ?


C’est une première comme chorégraphe, mais en tant que danseuse, j’ai, par le passé, déjà participé avec le Conservatoire à ce type de projet.

Est-ce qu’il y a une difficulté particulière lorsqu’on prépare un tel spectacle ?


La plus grande difficulté est de pouvoir tous se rencontrer et d’avoir des temps de répétitions ensemble. En multipliant les intervenants, cela complique les possibilités de se voir. Sinon, il n’y a pas eu de difficultés particulières, mais beaucoup de communication.

Pour le « Bolero », les danseurs avaient besoin de s’appuyer sur une histoire, d’avoir un personnage comme Maui pour les guider sur scène ?

C’est une passerelle comme nous l’a dit John Mairai. C’est une passerelle pour que danse traditionnelle et danse classique se rencontrent, mais ce qui est au cœur de ce spectacle ce n’est pas l’histoire de Maui, mais véritablement le tāmau, la répétition, la permanence. Maui n’est qu’un prétexte pour nous amener à cela.

Si dans l’orchestre symphonique, il y a des élèves, pour ce qui est de la danse traditionnelle, il s’agit uniquement de danseurs confirmés.

Ce sont beaucoup d’anciens élèves du Conservatoire. Ce sont tous des danseurs qui ont l’habitude de la scène. Cela a aussi facilité mon travail de chorégraphe et les répétitions. Il y a une compréhension immédiate de ce que j’attends d’eux. Ils seront 14 filles et 12 garçons sur scène pour la danse traditionnelle et pour nombre d’entre eux, c’est la première fois qu’ils partagent la scène avec de la danse classique ou contemporaine et qu’ils évoluent au son d’un orchestre symphonique. C’est une vraie découverte et une vraie richesse pour eux.

Cela signifie aussi adapter les pas traditionnels ?


Oui, il a fallu adapter nos pas traditionnels sur du violon par exemple, mais cela fonctionne très bien.

 

MARION FAYN DE L’ACADÉMIE DE DANSE ANNIE FAYN

« IL Y A BEAUCOUP PLUS D’INTENSITÉ ET D’ÉMOTION AVEC UN ORCHESTRE »

Qui sont les 22 danseuses que nous pourrons voir évoluer sur scène ?

Ce sont les danseuses du cours supérieur de classique et de contemporain. Parmi ces danseuses, une dizaine part à la New Zealand School Dance en juin/juillet prochains. Ce sont des élèves prometteuses.

Vous proposez à la fois de la danse classique et du contemporain ?

On a fait des choix artistiques. Pour « Une nuit sur le mont Chauve », de Moussorgski, on a par exemple privilégié le classique avec une esthétique très aérienne. Pour le « Bolero » de Ravel, nous avons choisi du contemporain avec une gestuelle très souple, très fluide.

Travailler avec un orchestre et non une bande-son, c’est un moment fort pour les danseuses ?


C’est une vraie richesse. Il y a beaucoup plus d’intensité et d’émotion avec un orchestre en live parce qu’il y a une interaction, un échange entre les musiciens et les danseurs. J’étais ravie de voir Simon Pillard assister à nos répétitions, car il a pu expliquer aux danseuses la musicalité. Cela permet de s’approprier la musique par le corps, mais aussi de la magnifier et transmettre de l’émotion au public.

SIMON PILLARD, CHEF DE L’ORCHESTRE SYMPHONIQUE DU CONSERVATOIRE

« RENDRE LE SPECTACLE PLUS VIVANT »

Initialement, cela devait être la préparation de votre concert annuel classique, mais le projet a pris de la consistance, pouvez-vous nous en parler ?

A l’origine, il s’agissait de choisir des morceaux pour notre orchestre composé à la fois d’élèves et de professeurs. Des morceaux qui devaient rester abordables pour un orchestre de Conservatoire avec des élèves d’âges et de ni- veaux différents et qui correspondaient à notre challenge de travail pédagogique. Une fois les morceaux choisis, on a pensé qu’un accompagnement de danse et un travail chorégraphique rendrait le spectacle plus attrayant, plus ludique, plus vivant.

Cet accompagnement entre danse et musique est un projet que l’orchestre du Conservatoire a déjà tenté ?


Il y a déjà eu des collaborations, notamment avec Jean-Marie Biret de la troupe Manahau, mais cette fois le challenge pour l’orchestre est de tenir 1h15 sur scène avec un vrai répertoire de musique classique.

Quel est ce répertoire ?

Le répertoire navigue sur plusieurs époques avec les pré-romantiques comme Beethoven, un classique comme Rameau, un baroque com- me Purcell et une musique du 20e siècle qui sera le tableau final, le « Bolero » de Ravel. On essaye de couvrir différentes périodes musicales.

Est-ce que tous ces morceaux ont un lien ?

Il n’y a pas vraiment de thématique, ce sont davantage les différents intervenants qui ont mis en avant un fil conducteur. La musique est vi- vante de tous les temps, de toutes les époques.

Parlez-nous de votre orchestre symphonique…

C’est un orchestre de Conservatoire, une formation symphonique avec une cinquantaine de musiciens, des élèves et des professeurs. Les professeurs sont là pour soutenir les élèves, pour les guider dans ce travail d’apprentissage musical. On retrouve bien évidemment tous les instruments du Conservatoire. Il s’agit d’un concert de musique classique, mais nous souhaitons rendre hommage à l’ensemble du Conservatoire, avec, en ouverture, l’orchestre et la danse traditionnels. On attaque ensuite avec les musiques classiques qui se suivent et sont ponctuées à une ou deux reprises par de la danse et de la musique traditionnelles.

FLORENCE YHUEL, CENTRE DE DANSE ANDRÉ TSCHAN

« ON A CHOISI DE VRAIMENT PROPOSER DE LA CRÉATION »

Comment avez-vous accueilli cette invitation du Conservatoire à participer à ce projet ? C’est une première collaboration pour nous avec le Conservatoire et j’ai tout de suite adhéré au projet, car c’est une chance pour notre compagnie Elément Terre de danser sur un tel répertoire, avec un orchestre aussi important. Nous allons proposer du contemporain et du néo-classique. Nous avons quatre tableaux dont un duo sur l’opéra de Purcell avec Alexandra, une de nos enseignantes et Toanui, un danseur de danse traditionnelle. J’ai monté le duo et Moon a réajusté tout le vocabulaire de la danse traditionnelle. Concrètement, j’ai davantage travaillé sur l’émotion, sur les déplacements et sur les portés, puis Moon a rajouté les pas qui correspondent à la discipline traditionnelle. La rencontre des deux disciplines fonctionne très bien, même sur un duo. Cela reste de la danse, ce qui prime c’est l’espace, le rythme, l’émotion, l’histoire que l’on veut raconter. Ce qui est intéressant aussi c’est de voir comment chacun utilise une même musique.

Si la musique vous est imposée, pour la chorégraphie et les costumes vous avez eu une grande liberté ?


Oui, et on a choisi de vraiment proposer de la création. Nous ne nous sommes pas inspirés de chorégraphies existantes. Pour les costumes, nous travaillons avec Gaëlle F. Pour la « Danse macabre » (Saint-Saëns), je ne voulais pas quelque chose de carnavalesque, cela va être épuré, subtil. Pour « Le Calumet de la Paix » (Rameau), j’ai mis de côté l’aspect « indien » et je me suis appuyée sur le côté baroque de la musique.

 

 

ENCADRES

 

« Tāmau ou la permanence » : Pratique

  • Vendredi 20 et samedi 21 mai, à 19h30
  • Au Grand Théâtre de la Maison de la Culture
  • Billetterie aux guichets de la Maison de la Culture
  • Tarifs : 2000 Fcfp et 1000 Fcfp pour les moins de 12 ans
  • Renseignements : 40 50 14 18 – 40 544 544

www.conservatoire.pfwww.maisondelaculture.pf

 

Fiche technique du spectacle

-Mis en scène par John Mairai

-Coproduit par le Conservatoire et la Maison de la Culture

Avec :

-Les musiciens de l’orchestre symphonique du Conservatoire, dirigés par Simon Pillard ;

-Les danseurs des écoles Annie Fayn et André Tschan ;

-Les danseurs de ‘ori tahiti de haut niveau du Conservatoire, dirigés par Vaehakaiki Urima ;

-Les musiciens de l’orchestre traditionnel du Conservatoire ;

-Les techniciens de la Maison de la Culture

 

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