N°93 – « En chacun d’entre nous existe un Mamaia, une part qui résiste »

Patrick Araia Amaru, auteurPatrick Amaru opt

Propos recueillis par ASF.

Patrick Araia Amaru est l’auteur de « Te Aroha Mamaia », le nouveau spectacle qui doit se jouer sur le marae Arahurahu, à Paea. Enseignant, écrivain, traducteur et poète, l’homme multiplie les casquettes, mais toujours au service des mots.

Vous avez écrit le spectacle que le groupe Toakura doit jouer sur le marae Arahurahu, comment avez-vous rejoint ce projet ?

Le groupe de danse de Mateata Le Gayic, Toakura, a été chargé par le Pays de créer un spectacle sur le marae Arahurahu pour faire vivre le site. Moana’ura Tehei’ura, qui s’occupe de la mise en scène, a fait appel à moi pour travailler sur le scénario. J’ai à plusieurs reprises collaboré avec Moana’ura lorsqu’il était chorégraphe du groupe O Tahiti E et à chaque fois j’ai beaucoup de plaisir et de facilité à travailler avec lui. J’aime sa désinvolture, son côté fougueux. Il est créatif et plein de talent. Surtout, il est capable de dresser des passerelles entre les différentes cultures. Moi, j’aime faire ce genre de voyage. Nous ne sommes pas dans un cadre traditionnel authentique.

Ecrivain, mais aussi traducteur, vous naviguez souvent entre le français et le tahitien. Le mélange des cultures est une valeur ajoutée pour vous ?

Oui. Par exemple, j’écris des chansons avec des amis et on n’hésite pas à mettre des textes en tahitien sur du blues ou sur du rock. Cela ne me dérange pas, au contraire je trouve que les mélanges font avancer la société. C’est une richesse. Il n’y a rien de plus dangereux que de rester dans une seule culture. En fait, je rêve de faire un opéra rock en tahitien.

Vous aimez le brassage culturel, mais vous aimez aussi multiplier les expériences en terme d’écriture (roman, poème, spectacle,…). Est-ce qu’écrire pour un marae est un exercice que vous appréhendiez ?

Non, ce genre d’exercice ne m’effraie pas. Il y a 20 ans, j’écrivais déjà un spectacle sur un marae pour l’association Haururu, à Papenoo. J’ai à mon actif l’écriture de plusieurs spectacles notamment avec O Tahiti E, mais aussi des scénarios de films.Le dernier s’appelle « Tuhei », il s’agit d’un documentaire sur la vision du monde par les Polynésiens, à travers les mots et la culture. Ce scénario est basé sur les recherches d’un ami anthropologue, Edgar Tetahiotupa.

Est-ce qu’on écrit de la même façon pour un marae ? Et est-ce qu’on peut tout faire sur un marae ?

Oui, on peut tout écrire, tout faire sur un marae, à condition de le faire d’une manière respectueuse. Pour ce nouveau spectacle, d’ailleurs, il ne s’agit pas d’une reconstitution, mais bien d’une fiction.

Parlez-nous justement de la thématique retenue.

Ce spectacle met en avant les Mamaia. Considérés par les bien-pensants comme une secte, les Mamaia sont pour moi des résistants, des fous de liberté. Ils ont adopté une partie de la religion chrétienne, tout en conservant ce qui leur semblait le plus juste dans l’ancienne religion. Pour moi, c’est un acte de résistance à l’oppression.

Vous avez fait un travail de recherche pour écrire ce texte ?

J’ai trouvé très peu de données sur les Mamaia, c’est pour cela que nous n’avons pas choisi de faire une reconstitution, mais de créer une fiction. En revanche, le contexte et le mode de vie sont une réalité. Ce qui nous ferait vraiment plaisir, c’est que les gens s’interrogent sur la véracité ou pas de cette histoire.

Est-ce que les Mamaia existent encore ?

Bien évidemment, il y a encore des gens qui se lèvent pour dire non. Il y a l’idée de résistance à l’oppression. Je trouve qu’en chacun d’entre nous existe un Mamaia, une part qui résiste.

Dans votre travail, on retrouve toujours votre attachement pour les mots. Est-ce que ce souci du mot juste et de son sens se retrouve dans ce spectacle ?

Oui, il ne suffit pas de comprendre le tahitien, il faut comprendre le sens, le concept des mots. La chorégraphie permet d’expliquer l’histoire donc j’ai rencontré les danseurs pour qu’ils comprennent bien le texte. Cette histoire nous permet de remettre notamment en avant des concepts oubliés comme le Heiva qui n’a aujourd’hui plus qu’une connotation d’amusement. « Hei » c’est la couronne, mais c’est aussi le lien ; « Va » c’est le vide, c’est l’univers, c’est le monde invisible, le monde des dieux et le lien qu’on a avec eux. Le Heiva ce n’est pas seulement la danse et un moment festif, c’est aussi un moment de communion avec l’au-delà. Il y aura également une cérémonie du tatouage dans laquelle on rend le sens du mot tatouage : « tà » frapper ou écrire, « tau » le temps. C’est écrire dans le temps ce qui fut, ce qui est, ce qui sera. Cela signifie que jamais l’identité et la culture ne seront rompues.

 

Il faut davantage prêter attention au sens des mots, c’est ce que vous dîtes ?

Oui, c’est  le message que l’on veut faire passer auprès des jeunes. Les mots sont porteurs de sens et de valeurs. Nous avons souvent plaqué des mots français sur des mots tahitiens et cela a diminué leur sens.

Finalement, auteur ou traducteur, vous êtes toujours au service des mots.

Je pense que c’est ce que je suis appelé à faire. Je suis une passerelle entre les deux langues que sont le tahitien et le français. Je réalise souvent des traductions. J’ai la chance d’avoir à mes côtés l’anthropologue Edgar Tetahiotupa qui m’apporte beaucoup grâce à ses connaissances pointues. Je manipule les mots, ce sont mes trésors.

 

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