N°91 – L’océan, une île entre les îles

Marae à VITARIA RURUTU

Service de la Culture et du Patrimoine

 

Source : « L’océan vu comme un lien social », par Marlène Dégremint, doctorante en Anthropologie à l’EHESS-IRD, Timiri Hopuu, du département ethnologie et traditions orales du Service de la Culture et du Patrimoine et Hereiti Arapari, CVD.

 

Bien qu’éloignées les unes des autres, les îles de l’archipel des Australes entretiennent des liens solides et anciens qui reposeraient, selon une récente étude menée par le Service de la Culture et du Patrimoine, sur une perception singulière de l’océan, vu comme un lien social.

 

En Polynésie, l’océan ne sépare pas les peuples : il les relie. D’ailleurs, l’histoire de la Polynésie est intrinsèquement liée aux grands voyages de navigation. Les premiers Polynésiens ont traversé le Pacifique sur de grandes pirogues, s’établissant sur des terres inhabitées. Une conception singulière des « îles » apparait alors chez les Polynésiens : elle est bien souvent perçue comme une « entité marine » et l’on retrouve communément le mythe d’un poisson pêché par un héros pour expliquer sa naissance. Par exemple, et pour ne prendre que le cas des Australes, Raivavae est une tohora (baleine), Rurutu un barracuda (ono) et la référence à la pieuvre (fe’e) est récurrente pour illustrer le lien entre les îles par ses tentacules. Autrement dit, les îles font parties de l’océan qui compose avec le ciel un vaste ensemble uni à l’origine puis séparé par les divinités issues de Ta’aroa, le dieu créateur.

 

L’océan, un lien social

 

Le département ethnologie et traditions orales du Service de la Culture et du Patrimoine a souhaité mieux comprendre cette conception particulière de l’océan et la nature des liens reliant les îles de l’archipel des Australes. Une équipe s’est rendue en mission sur place afin de rencontrer la population pour, ensuite, apporter un éclairage sur la manière dont l’océan est pensé et conçu par les habitants des Australes. Des entretiens ont été menés dans les quatre îles auprès d’eux afin de mieux comprendre les pratiques et les usages liés à l’océan.

L’étude a permis de mettre au jour les différents systèmes de relations qui lient l’homme à l’océan, les îles entre elles et la terre à la mer. En tant que partie intégrante de l’archipel des Australes, l’océan représente un espace de circulations de réseaux par lesquels transitent des liens symboliques relevant du monde des dieux et des ancêtres, ainsi que des liens de parenté qui en découlent. L’histoire de certains marae, les traditions orales et la toponymie des îles, des motu et des passes apportent d’ailleurs des indications précieuses sur les liens familiaux qui existent entre les îles. Par exemple, dans la tradition orale de Rurutu, il y aurait un Hiro pour chaque île des Australes, qui choisirent Rurutu pour se rassembler, d’où son nom – ruru signifiant « se réunir ».

 

D’hier à aujourd’hui

 

Considéré comme un lieu sacré, l’océan est omniprésent dans la culture qui lie les différents peuples des îles polynésiennes. L’organisation politique qui prévalait avant le contact avec les Européens était basée sur une société de réseaux où les îles étaient perçues non pas comme un destination, mais comme une étape. Si les bouleversements induits par la colonisation ont modifié les rapports entre les îles, il reste néanmoins que les habitants des Australes continuent de percevoir les autres îles comme de nouvelles opportunités pour étudier, se marier ou travailler. Aujourd’hui encore, il existe une grande mobilité entre les différentes îles des Australes, et ce, dès le plus jeune âge. Les enfants des quatre îles se rendent à Tubuai pour poursuivre leur scolarité au collège. Les liens familiaux existants permettent l’accueil des enfants chez des membres de la famille. L’archipel dans son ensemble représente alors un espace de mobilité et d’échanges, dans la lignée des pratiques précédant le contact avec les Européens.

Toutefois ces relations semblent plus complexes lorsqu’il est question de territoire de pêche. Bien que les activités de pêche détiennent un rôle primordial dans la vie sociale, politique et culturelle des insulaires, l’espace maritime entourant l’île est enchâssé dans des logiques d’interactions et d’appartenances encore assez peu étudiées. L’enquête exploratoire menée par le Service de la Culture et du Patrimoine ouvre ainsi un vaste champ d’étude, à l’image de cet océan.

 

 

 

 

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