N° 88 – Le Franc Pacifique : histoire d’une monnaie d’outre-mer

Service du Patrimoine Archivistique et Audiovisuel – Te piha faufa’a tupuna

Rencontre avec Tamatoa Pomare Pommier, chef du Service du Patrimoine Archivistique et Audiovisuel  et Pierre-Yves Le Bihan, directeur de l’Institut d’Emission d’Outre-Mer.

Rédaction : ASF.

A partir du 27 janvier et pendant une semaine, le Service du Patrimoine Archivistique et Audiovisuel s’associe à l’Institut d’Emission d’Outre-Mer et à des collectionneurs de billets de banque pour présenter au public une exposition sur la monnaie en Polynésie française. Installée au Musée de Tahiti et des îles, cette exposition célèbre la nouvelle gamme de billets parus récemment, mais rend aussi hommage à une monnaie à laquelle les Polynésiens sont très attachés.

Il y a un an, le 20 janvier 2014, l’Institut d’Emission d’Outre-Mer (IEOM) mettait en circulation une nouvelle gamme de billets en francs Pacifique dans les trois collectivités françaises du Pacifique que sont la Nouvelle-Calédonie, Wallis-et-Futuna et bien sûr la Polynésie française. Sollicité par des collectionneurs polynésiens, le Service du Patrimoine Archivistique et Audiovisuel (SPAA) – en collaboration avec l’IEOM – a souhaité célébrer ce premier anniversaire de mise en circulation en proposant une exposition d’anciens billets de banque ayant eu cours en Polynésie française. Fin janvier dans le patio du Musée de Tahiti et des îles, les visiteurs pourront ainsi cheminer d’un kakemono à l’autre, et découvrir un pan historique et patrimonial de la monnaie de la Polynésie française. Pour Tamatoa Pomare Pommier, le chef du SPAA, c’est aussi l’occasion de valoriser les collections publiques et privées qui ont été constituées au fil des ans. Le jour de l’ouverture de l’exposition, les collectionneurs sont d’ailleurs invités à montrer leur collection et certains billets seront reproduits à une échelle différente. « Ce qui est très impressionnant, c’est de voir comment notre monnaie a évolué. Elle est passée de billets parfois imprimés uniquement sur le recto, très farfelus, à une monnaie ultra sécurisée », souligne Tamatoa Pomare Pommier. Pour monter cette exposition, l’équipe du SPAA s’est appuyée notamment sur l’ouvrage de Christian Beslu, « Tahiti et sa monnaie », écrit en 1997.

Une émission de la Banque de l’Indochine

Car l’histoire de la monnaie en Polynésie française s’inscrit dans un long processus. Du simple troc entre les populations à l’origine, la monétarisation de l’économie va s’imposer avec la mise en place du protectorat français à Tahiti au milieu du XIXème siècle. Le franc, mais aussi les monnaies étrangères et les bons de caisse sont alors usités. Dans un souci d’homogénéisation, le gouvernement français décide rapidement de laisser à un établissement privé la responsabilité des émissions de papier-monnaie. Cette tâche sera dévolue à la Banque de l’Indochine qui ouvrira une succursale à Papeete le 5 décembre 1905. Elle reprend ainsi les prérogatives de la seule banque installée dans les Etablissements français de l’Océanie, la Caisse agricole de Tahiti (aujourd’hui devenue la Socredo). Le franc français s’impose alors jusqu’à la Seconde Guerre mondiale. Mais en cette période sombre de l’histoire, les approvisionnements en numéraire en provenance de la France sont suspendus. C’est ainsi qu’on se retrouve parfois avec des billets dont la valeur est modifiée. « Des valeurs venaient à manquer, alors avec un simple tampon, la banque locale surchargeait la valeur de certains billets », nous explique Pierre-Yves Le Bihan, directeur de l’IEOM. Ces coupures sont aujourd’hui très prisées des collectionneurs. En 1942, avec l’arrivée des Américains à Bora Bora, le dollar circule largement, tout comme le troc qui est de retour.

1946, premiers billets en franc Pacifique

Quelques mois après la victoire des alliés, Charles de Gaulle signe, le 25 décembre 1945, un décret dévaluant le franc français afin d’entériner la perte de sa valeur pendant la guerre. En Polynésie française (encore nommée EFO*), comme en Nouvelle-Calédonie, à Wallis-et-Futuna et aux Nouvelles-Hébrides (l’actuel Vanuatu, indépendant depuis 1980), le franc français est remplacé par une nouvelle monnaie : le Franc des Colonies Françaises du Pacifique (FCFP). Cette nouvelle monnaie est plutôt perçue de façon positive dans les différents territoires, marquant ainsi leur singularité par rapport à la métropole. Son émission reste, elle, toujours du ressort de la Banque de l’Indochine et la première gamme de billets en francs CFP comprend des billets de 5, 20, 100, 500 et 1000 francs. Les billets sont imprimés en métropole, à la Banque de France. En 1967, la Banque de l’Indochine renonce à son privilège d’émission au profit de l’IEOM et ses billets sont progressivement retirés de la circulation. Le premier billet de 5 000 Fcfp date de 1968, tandis que celui de 10 000 Fcfp est mis en circulation pour la première fois en 1986. En 1976, le billet de 100 Fcfp disparaît au profit de la pièce jaune.

Un signe identitaire

De 1967 à 2014, cette gamme de billets a accompagné les populations des collectivités françaises du Pacifique. Une longévité exceptionnelle qui commençait pourtant à montrer des signes d’obsolescence : son format unique, des coûts de production élevés, des techniques de fabrication caduques et des signes de sécurité insuffisants ont eu raison de son éviction. Mais, il y a aussi une dimension politique à ce changement : il s’agissait d’une demande de la Nouvelle-Calédonie, dans le cadre des accords de Nouméa, de trouver de nouveaux signes identitaires sur les billets de banque. En lançant cette gamme de billets, c’est une nouvelle page de l’histoire du franc Pacifique qui s’écrit.

Source : « L’histoire du franc Pacifique », édité par l’IEOM

Des billets beaux comme des tableaux

« Nous avons des billets qui sont de vrais tableaux », assure Tamatoa Pomare Pommier. Il est vrai que le graphisme des anciens et des nouveaux billets a toujours été particulièrement soigné. Ces derniers se sont longtemps inscrits dans la grande tradition de l’école française, notamment par le choix des couleurs, le trait du dessin, etc. Il s’agissait de véritable œuvres d’art représentant, jusqu’en 1946, des personnages de la mythologie grecque ou romaine ou bien des représentations asiatiques en référence à la Banque de l’Indochine. C’est avec le passage au franc Pacifique que les premières représentations de l’Océanie sont visibles. Les billets tels que nous les avons connus jusqu’en 2014 se distinguaient surtout par leur taille et par une multitude de motifs figuratifs renvoyant à la faune, la flore, l’histoire et les populations des trois territoires. Pour exemple, le billet de 1000 Fcfp rouge-orange avait, sur son recto, un fare traditionnel et le visage d’une jeune vahine, une fleur de tiare à l’oreille.  Ces illustrations proviennent de photos de paysage et de modèle du photographe Adolphe Sylvain. Le fare était situé à la Pointe Vénus, il appartenait à Dexter Georges et était habité par sa famille dont faisait partie la famille Marere. La jeune fille est Greta Robson-Goy, fille de Jeannette Saminadam et l’épouse de Gilles Goy qui a été le commandant de l’aviso-escorteur Henry.

Les nouveaux billets, eux, plus petits, sont résolument modernes dans leur graphisme avec des thématiques que sont la faune terrestre et marine, la flore et l’architecture. En 2008, un concours lancé en Nouvelle-Calédonie pour trouver de nouveaux signes identitaires avait récompensé de quatre prix l’artiste Sophie Eugène. C’est donc tout naturellement elle qui a été pressentie pour réaliser la nouvelle gamme, d’autant qu’elle avait vécu à Tahiti et à Wallis-et-Futuna par le passé. Pour le billet de 5000 Fcfp, l’artiste devait proposer, pour la face dédiée à la Polynésie française, deux motifs liés à la faune aquatique. Sophie Eugène avait choisi la tortue et le requin. La tortue fut immédiatement validée : symbole de Bora Bora, elle est signe, entre autres, de sagesse et de longévité. Pour le requin, les débats furent plus houleux. En effet, malgré l’image positive du requin pour les Polynésiens, les concepteurs craignaient le côté « requins de la finance », sans parler de la similitude du graphisme avec celui de la couverture de Tintin, « Le trésor de Rackham le Rouge ». Le requin a donc été abandonné au profit du napoléon. La tortue, elle, a rejoint le billet de 1000 Fcfp.

Sources : « Marere 2003 », La Dépêche de Tahiti du 23 septembre 1983 ; Christian Beslu, « Tahiti et sa monnaie » ; IEOM, « L’histoire du franc Pacifique ».

 

*EFO : Etablissements Français d’Outre-Mer

Le saviez-vous ?

–        D’après une étude des services de l’Assemblée de la Polynésie française, légalement, le franc CFP signifie toujours « franc des Colonies Françaises du Pacifique », appellation fixée par décret le 26 décembre 1945. Bien que l’appellation CFP ait évolué en « Communauté Financière du Pacifique », puis aujourd’hui en « Change Franc Pacifique », il n’existe aucun texte officiel modifiant l’appellation de 1945.

 

–        Les billets de banque ont généralement une durée de vie de 12 à 18 mois. Jusqu’en 1991, le billet comportait l’indication géographique du territoire où il était émis. Cela permettait de constater les mouvements entre les trois territoires. Pour des raisons de coûts, cela a été supprimé.

 

–        L’IEOM a acté la création d’un billet de 20 000 Fcfp, à la demande de la Nouvelle-Calédonie. La Polynésie française et Wallis-et-Futuna ont déjà choisi leur face. Il reste au Congrès de la Nouvelle-Calédonie de se prononcer.

 

–        Le grammage du papier de la nouvelle gamme est de 90g/m2 ; il est sensiblement plus élevé que celui de la précédente gamme. La réduction de surface a été de l’ordre de 35 à 40 %. Pour pouvoir être bien reconnu par les personnes non voyantes, chaque billet a une dimension différente et des reliefs distinctifs. Leur longueur augmente en fonction des valeurs faciales. Chaque billet dispose ainsi d’une taille unique.

 

–        Les nouveaux billets possèdent neuf signes de sécurité.

 

–        Pour des raisons de sécurité, l’IEOM ne peut pas divulguer le nombre de billets fabriqués. Mais on sait qu’avec l’ancienne gamme, il y avait en Polynésie française 8 millions de billets en circulation pour une valeur de 20 milliards de Fcfp. A ce jour, 5 milliards de Fcfp de l’ancienne gamme ne sont pas encore revenus au guichet de l’IEOM. Pour les billets qui ne sont plus en circulation, leur valeur a augmenté auprès des collectionneurs.

 

Exposition sur l’histoire de la monnaie en Polynésie : Pratique

Au Musée de Tahiti et des îles

Du 27 janvier 2014 au 1erfévrier 2015

Une exposition itinérante sera ensuite proposée dans les établissements scolaires

Entrée libre

+ d’infos : 40 41 96 01 (SPAA) ou 40 54 84 35 (Musée)

 

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