N° 74 – Le rêve au bout de la plume

Bienvenue à la 13ème édition du salon Lire en Polynésie, organisé par l’association des Editeurs de Tahiti et des Îles en partenariat avec la Maison de la Culture. Du 14 au 17 novembre, vous êtes invités à découvrir le rêve dans ses composantes mythologiques, culturelles, psychologiques ou oniriques, ainsi que sa place dans la littérature. De nombreuses animations ponctueront cet événement qui nous fera rêver à plus d’un titre.

Quel meilleur instrument que le livre pour exprimer et faire vivre le rêve ? Les écrivains l’imaginent, le racontent, le confrontent, l’interprètent, le transforment… Le livre, l’écriture et la lecture constituent une porte d’accès privilégiée au territoire de l’imaginaire. Ils sont une invitation pour chaque personne à recréer un univers sans limite… au cœur duquel le rêve est une source d’inspiration formidable, tant il occupe une place importante dans nos vies. Il y a le rêve qui se vit, un peu hors de contrôle mais pour autant avec une véritable sensation de réalisme, pendant les nuits : quelquefois beau, magique même – qui n’a jamais éprouvé la sensation de voler en rêve ? – dès fois cauchemardesque, le rêve peut aussi être prémonitoire, tel un déclencheur, un guide inconscient. Nous vivons pendant notre sommeil quantité d’aventures, déterminées en grande partie par nos attentes ou, au contraire, nos craintes. Il existerait même un art de « diriger » ses rêves, tant la force de ceux-ci peut nous ouvrir des « portes » de nouvelles expériences. Lesquelles ? Nous y reviendrons…

Et puis il y a le rêve conscient, synonyme d’espérance, d’idéal que l’on cherche à atteindre. Parfois, le rêve est aussi une simple illusion, une utopie, voire un délire. Des acceptions bien différentes qui ont permis aux organisateurs de ce salon d’imaginer un programme… de rêve.

 

Découvrir et échanger sur le rêve

Cette 13ème édition de Lire en Polynésie sera l’occasion de célébrer le rêve durant ces quelques jours à part, d’échanger autour de la littérature, de la culture et de la création.

Aux côtés de rêveurs invétérés, mais avant tout auteurs talentueux que sont Patrice Guirao, Frédéric Pillot ou Pierre Furlan, des spécialistes du rêve à différents niveaux viendront partager les regards ou interprétations qu’ils posent sur le rêve : Barbara Glowczewski, chercheur sur le rêve dans les tribus aborigènes, Marcia Langton, l’une des plus brillantes aborigènes australiennes contemporaines, Romaine Moreton, poète, interprète aborigène, mais aussi Louis-Karl Picard-Siou, auteur amérindien membre du clan du Loup Canada), Virginia Pésémapéo Bordeleau, artiste amérindienne du clan des Cri (Canada), Ku’Ualoha Ho’omanawanui, poète hawaienne…

Des auteurs passionnants et passionnés qui nous promettent des échanges forts et intenses avec le public bien entendu, mais aussi avec les auteurs polynésiens : Patrick Amaru, Alec Ata, Patrick Chastel, Simone Grand, Nathalie Heirani Salmon-Hudry, Emy- Louis Dufour, Chantal Spitz, Edgar Tetahiotupa, Martine Dorra, Heipua Teariki Bordes, Henri Theureau, Jean Guiart, Moetai Brotherson, Flora Devatine, Daniel Margueron. Des conférences et des rencontres « croisées » sur des sujets attrayants sont en effet prévues : le dream time australien, le mythe polynésien, la littérature onirique, le rêve dans la culture amérindienne, le rêve en psychanalyse, etc.

En partenariat avec le FIFO, la projection de deux documentaires qui avaient marqué les esprits vous sera proposée : « Mr Pattern » et « Sur les traces de la fourmi à miel ». Outre un programme très complet pour les scolaires et le public jeune (ateliers, contes, concours, etc.), d’autres animations vous attendent au village du salon durant l’événement.

 

Toutes les informations détaillées sont sur www.lireenpolynesie.pf et dans le journal du salon, que vous pouvez trouver dès à présent à la Maison de la Culture.

 

Ecrire le rêve

Pour aller un peu plus loin sur la question du rêve, nous avons demandé à deux écrivains de considérer, du point de vue de leur expérience personnelle, la part des ces derniers dans leurs oeuvres. Dans quelle mesure le sommeil et le rêve irriguent-t-il la création, l’écriture ? Éléments de réponse avec Moetai Brotherson et Louis-Karl Picard-Sioui.

 

« Les rêves relient notre réalité à quelque chose qui se situe ailleurs »

 

Moetai Brotherson est l’auteur du « Roi absent », paru Au Vent des îles en 2007 et véritable révélation de la littérature polynésienne. Ce roman étonnant, subtil mélange de suspense, de joie, de douleur, d’humour aussi, raconte le parcours initiatique et onirique d’un jeune homme dont la vie s’entrechoque avec ses songes. Moetai Brotherson a entièrement rêvé les détails de ce colossal ouvrage, en une nuit… « Je ne pense pas que cela s’applique à tous les écrivains, mais pour moi, le rêve est essentiel, explique-t-il. J’ai deux catégories de romans : ceux que j’élabore à partir d’une idée, d’une expérience, d’un fait divers. C’est d’ailleurs les plus laborieux à écrire. Et la seconde dont ‘’Le roi absent’’ fait partie et qui sont des histoires survenant en rêve, comme si c’est l’histoire en elle-même qui m’avait choisi. Je me suis réveillé le jour de l’enterrement de ma maman avec l’histoire du ‘’Roi absent’’ en tête. Toute l’histoire. Ça prend beaucoup de place ! Je suis d’autant plus troublé qu’il y a une énorme disproportion temporelle dans ce rêve, qui n’a pas pu dépasser quelques heures, tandis que l’histoire se déroule sur 20 ans. Au réveil, j’avais une extrême sensation de lourdeur, je devais écrire comme une urgence. Cela m’a pris trois mois et tout est sorti de façon quasi automatique. 1200 pages*. Le plus étrange, c’est que je n’ai pas eu besoin de faire de recherches : les dates, les lieux, les personnages, tout était limpide et juste. Je ne me l’explique toujours pas. »

D’autant que cette expérience n’est pas isolée pour Moetai Brotherson, chez qui le rêve est presque une seconde vie. « La nuit est devenue une angoisse pour moi ; le soir en me couchant, je me demande toujours ce qu’il va m’attendre. » Sans chercher à interpréter ses songes, l’auteur estime qu’ils sont une forme de « liens entre ce que nous vivons et ce que d’autres ont vécu. Ils relient notre réalité à quelque chose qui se situe ailleurs. Dans la culture polynésienne précoloniale, nous avions les tahu’a, qui étaient des passerelles entre la réalité et l’ailleurs – ‘celui qui sait ce qui est caché’. Il en demeure toujours quelques-uns. Souvenez-vous : l’arrivée des premiers Européens avait été prédite par un tahu’a, songe qui s’est avéré**. »

 

 * « Le roi absent » comprend 2 tomes, un seul a été publié pour l’instant.

** Il leur dit qu’un jour viendrait une grande pirogue sans balancier avec de grandes voiles et que ces hommes amèneraient le seul vrai Dieu.

 

 « Le rêve nous aidait à nous connaître nous-même »

 

Louis-Karl Picard-Sioui est originaire de Wendake et membre du clan du Loup du peuple wendat. Historien et anthropologue de formation, il travaille depuis une dizaine d’années dans le milieu de la diffusion de la culture et des arts autochtones. Ses œuvres sont profondément enracinées dans les mythes, les valeurs et les symboles de son peuple.

 

 

Tes rêves inspirent-ils ton travail d’auteur ?

Je ne peux pas dire que mes rêves inspirent directement mon travail d’auteur. Je suis un grand rêveur, mais seulement dans le sens éveillé du terme. Par contre, j’aime utiliser le rêve dans mes histoires. Comme dans mon roman jeunesse, « Yawendara et la forêt des Têtes-Coupées », dans lequel la jeune héroïne rencontre le Conseil des Animaux en rêve.

 

Quelle est l’influence du rêve dans ta culture ? Y a-t-il une forme d’éducation à leur écoute et leur interprétation ?

Autrefois, avant l’arrivée des colonisateurs français, le rêve jouait un rôle très important chez nous, les Wendat. Le rêve nous aidait à nous connaître nous-même, à entrer en communication avec les esprits et à rester en paix et en bonne santé. Malheureusement, beaucoup de ce savoir s’est perdu. Les maladies et les guerres amenées par les Européens ont détruit 80% de notre peuple en moins de 50 ans. Après, les missionnaires et le clergé se sont attaqués à nos savoirs spirituels car nos rêves leurs faisaient très peur. Je crois qu’ils comprenaient leur pouvoir. Donc non, malheureusement, il n’y a pas vraiment d’éducation sur le rêve aujourd’hui. Et c’est déplorable, nous en aurions parfois besoin. Cela dit, le rêve n’est qu’une partie infime de notre culture et de nos savoirs traditionnels. Beaucoup d’autres choses ont survécu au temps.

 

Il y a beaucoup de méconnaissance autour des expériences chamaniques, sources de mystère et de fantasme pour les Occidentaux. Peux-tu tenter de nous en transmettre l’essence ?

Je crois que les Polynésiens, autant que les Amérindiens, comprennent la différence notable entre la culture réelle et les fantasmes occidentaux. La simple généralisation du mot « chaman », qui provient de Sibérie, à des milliers de cultures toutes aussi différentes les unes que les autres, démontre bien à quel point la notion est floue, inadéquate et réductrice. Mais en français, c’est le terme le moins péjoratif que l’on a, alors on fait avec. Quant à son essence, je dirais seulement : nous ne sommes pas seul. Le monde invisible est présent et complexe. Il agit sur nous et on peut agir sur lui.

 

Sans transition, comment as tu accueilli l’invitation au salon lire en Polynésie et qu’en attends-tu ?

J’étais très heureux ! En fait, je me suis pincé pour voir si ce n’était pas un rêve ! J’ai vraiment hâte de découvrir votre pays et ses habitants, d’échanger avec vous tous. J’ai eu la chance, en 2008, de rencontrer quelques auteurs polynésiens lors de leur passage dans ma communauté, notamment le regretté Jean-Marc Pambrun, mais aussi Rai Chaze et Flora Devatine. J’ai hâte de revoir mes amis polynésiens et de m’en faire de nouveaux.

 

ENCADRE

13ème édition de Lire en Polynésie : Pratique

– A la Maison de la Culture

– Du 14 au 17 novembre, de 8h à 19h30 (17h dimanche)

– Stands libraires, conférences, rencontres, animations, projections, etc.

– Entrée libre

– Programme détaillé : www.lireenpolynesie.pf

+ d’infos : 544 544

 

Faites le mur du songe

Amis rêveurs, participez à la construction du mur du songe en partageant en mots ou en dessins vos rêves. Etablissements scolaire, entreprises privées sont invités à écrire leur rêve.

Et venez découvrir, salle Muriavai de la Maison de la Culture, les différents murs de Polynésie avec l’exposition : « Faites le mur… »

Contact :   76 74 67 – Marie

Vous aimerez aussi...