Mahu et raerae, d’hier à aujourd’hui

Service de la Culture et du Patrimoine – Pu no te Ta’ere e no te Faufaa Tumu

Par Natea Montillier Tetuanui, responsable du bureau ethnologie au Service de la Culture et du Patrimoine.

Mahu et raerae, d’hier à aujourd’hui

Le « mariage pour tous », adopté en France le 18 mai 2013, fait toujours couler beaucoup d’encre. Cette loi historique a ouvert l’union légale aux personnes du même sexe. En Polynésie française, le texte a été adopté et le premier mariage homosexuel a été célébré le 6 juillet dernier à Mo’orea. A l’aube de cette grande évolution de la société, Natea Montillier Tetuanui, ethnologue au Service de la Culture et du Patrimoine, clarifie pour nous deux notions propres à la Polynésie et trop souvent galvaudées : mähü et raerae.

« J’ai lu sur Internet des articles sur le sujet complètement extravagants, il est important de rectifier ce qui est colporté », assure Natea Montillier Tetuanui. Les efféminés ont par tradition une place dans la société polynésienne.

Mähü hier

« En Polynésie, un mähü est un homme aux manières efféminées qui s’habille en homme, peut être marié, avoir des enfants. Il participe aux activités des hommes et des femmes. Une bonne famille a des terres, il est donc important et préférable pour un mähü d’avoir des enfants car ainsi, il peut leur léguer ses biens, ses terres. Il a une façon un peu précieuse de s’habiller, de mettre des bijoux, de s’exprimer, avec des intonations chantantes, de marcher, de danser, de chanter. Ses postures et ses gestes sont plutôt féminins, parfois même exacerbés. On saisit bien l’étymologie du mot mähü : ‘’esprit trompeur’’, car l’apparence du mähü peut laisser perplexe. S’agit-il d’une femme, s’agit-il d’un homme ? Pour lui, il n’y a pas d’équivoque, il n’est pas sexuellement attiré par un partenaire homme. Les parents voient très tôt chez l’enfant s’il sera mähü. Généralement, ils ne cherchent pas à brimer ou empêcher sa façon d’être. »

Mähü aujourd’hui…

Ce qui a évolué aujourd’hui ? « Rien du tout ! La définition autant que les traits du mähü n’ont pas changé ». D’ailleurs, attention à ne pas confondre mähü et homosexuel. Traditionnellement, un mähü n’est pas attiré pas le même sexe que lui. »

Raerae* hier…

« En Polynésie, un homme ou une femme peut être raerae. A la différence du mähü, un raerae homme se comporte et se considère comme une femme, s’habille comme une femme, se laisse pousser les cheveux, utilise les toilettes des femmes, choisit un prénom féminin et se fait appeler à la 3e personne, « elle ». « Elle » aspire à se mettre en couple avec un hétérosexuel non efféminé. « Elle » peut, éventuellement, adopter des enfants de la famille. A la maison, « elle » participe aux activités traditionnelles des femmes telles que le tressage, la fabrication du tapa et des cosmétiques. « Elle » contribue aux tâches quotidiennes : la cuisine, s’occuper des petits… « Elle » choisit en général les professions qui seyent aux femmes. C’est la voix, la forme des hanches, la taille des pieds et l’exubérance de la pomme d’Adam qui « la » trahissent parfois. De nos jours encore, un adolescent mâle peut être tenté par une expérience sexuelle avec un raerae et néanmoins s’établir ensuite avec une femme et fonder une famille. Il n’y a pas de gêne ni de honte, c’est considéré comme expérimental, la coutume le permet. On imagine combien cette liberté des mœurs peut déranger la morale occidentale…

Une raerae femme se comporte et se considère presque comme un homme, s’habille comme un homme, utilise néanmoins les toilettes des femmes. Elle peut, éventuellement, adopter des enfants de la famille. A la maison, elle participe indifféremment aux activités des femmes ou des hommes, telles que la cuisine, le travail du bois, les techniques de pêche… Elle choisit sa profession en fonction de ses aptitudes, dans les métiers seyant aux femmes ou aux hommes. Une jeune fille peut tenter de fréquenter un homme puis s’établir raerae avec une femme. L’une des deux femmes reste plus féminine.

Aux temps anciens, le raerae de la famille était chargé de l’éducation sexuelle de ses jeunes frères, soeurs, cousins et leurs fréquentations, tout en respectant le tapu de l’inceste : l’acte sexuel avec un parent proche est formellement proscrit, la rigueur diffère selon les archipels et le maintien de l’ancienne coutume. Par exemple, à Rurutu, de nos jours, les jeunes ne peuvent se fréquenter à moins du 7e degré de parenté, et selon Suggs**, aux Marquises, dans les années 1960, pas à moins du 2e degré. »

Raerae aujourd’hui

« Avec l’évolution des comportements, dans la société actuelle, influencée par la civilisation occidentale chrétienne, le raerae est parfois déconsidéré, même par ses proches. Il apprend par conséquent à se défendre face aux moqueries et aux agressions, soit verbalement soit au combat où il/elle reprend toute sa virilité et doit parfois quitter son île pour vivre son « état » paisiblement. Un raerae homme peut vouloir suivre un traitement hormonal pour acquérir une poitrine, moins de pilosité et une voix plus féminine. Certains poussent leur désir jusqu’à accéder à l’opération chirurgicale pour devenir un transsexuel afin de changer de personnalité et certains entament une procédure administrative pour changer le prénom du passeport.

La société polynésienne les accepte généralement bien car ils sont âpres au travail.

Les raerae hommes font généralement plus d’effort pour séduire en société que les raerae femmes. C’est probablement la raison pour laquelle on confie souvent aux raerae hommes des rôles de guide, mais aussi des postes à responsabilité (vie associative, religieuse, administration,…), et leur sexualité reste, aux yeux de tous, leur prérogative exclusive. »

 

ENCADRE

Les tabou du 21ème siècle

Au-delà de la simplicité des apparences, être une femme dans une peau d’homme entraîne bien des souffrances, de cœur et de corps… Pourquoi les raerae hommes se heurtent-« elles » aujourd’hui au tabou de l’homosexualité, et sont associées à la prostitution ?

Natea : Le tabou naît du recul des us et coutumes, et de la non-acceptation imposée par le christianisme qui influence fortement la vie des Polynésiens. Il s’opère toutefois un genre de syncrétisme. On accepte certaines exigences de la morale occidentale, mais on garde aussi les anciennes coutumes, dont celle d’être tolérant et compassionné envers les êtres un peu différents des hétérosexuels communs, c’est-à-dire les mähü et les raerae. Certains raerae se prostituent de la même façon que des hommes ou des femmes se prostituent, ni plus ni moins, et ce, pour différentes raisons, mais ce n’est pas une généralité. C’est un phénomène plus flagrant en ville mais qui existe aussi dans les districts éloignés et les îles.

On dit que le raerae est considéré comme une version occidentalisée et hypersexualisée du mähü : quel est ton avis ?

Natea : Il n’y a rien à voir entre les deux, puisque comme expliqué plus haut, un mähü désire une femme comme partenaire et un raerae le même sexe que soi.

L’opération d’un raerae homme pour devenir une femme est tragique si elle est mal faite, car le plaisir physique ne lui est plus accessible. Si le raerae était mieux accepté, c’est-à-dire comme autrefois, alors le mal-être serait moins grand et la nécessité de changer de sexe ne serait peut-être pas aussi impérative.

* Nous n’avons pas la possibilité de dater l’un et l’autre terme en l’absence de sources suffisamment anciennes. Quant aux observations des premiers voyageurs occidentaux de la fin du 18ème siècle, on peut raisonnablement estimer qu’ils ne savaient probablement pas faire la différence.

** Suggs, Robert C., « Marquesan sexual behaviour, An anthropological study of Polynesian practices », Harcourt, Brace & World, Inc. New York, 1966.

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