La fabrication traditionnelle du to’ere menacée

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Le miro, ou bois de rose, est un arbre précieux qui pousse en Polynésie depuis la nuit des temps. Des feuilles aux racines et des graines aux fleurs, tout, dans ce tumu sacré, pouvait être exploité à des fins utiles. Le tronc était et reste particulièrement prisé des sculpteurs, surtout pour la fabrication d’un instrument de musique millénaire qui résonne toujours : le to’ere. Mais pour combien de temps ?

Y a-t-il un bois plus précieux et plus profitable que le miro ? Indigène de la Polynésie, il est présent dans tous les archipels. Particulièrement sacré, cet arbre était considéré comme l’émanation du dieu Roro’o*, dieu de la prière et de la guérison. « Son bois est un des plus prisé par les sculpteurs puisqu’il servait notamment à la réalisation de récipients, pagaies, manches de harpon et traverses de pirogues à balancier ; peut-on lire sur www.tahitiheritage.pf. Aux Marquises, le jus issu de l’écorce était utilisé pour teindre le tapa enveloppant les nouveau-nés tandis que celui provenant des racines servait à colorer et parfumer le mono’ i. En médecine traditionnelle, les très jeunes graines broyées et appliquées sur le front étaient employées afin de soulager les migraines tandis que le suc exsudant des pédoncules est encore utilisé contre les piqûres de cent-pieds. Les écorces fraîches de Miro sont encore souvent utilisées pour traiter les calculs urinaires, lymphangites, et plaies envenimées. »

Un éventail d’utilisations très intéressantes, indissociables des traditions, des connaissances et des savoir-faire polynésiens. Aujourd’hui, le miro est de plus en plus recherché par les sculpteurs et plus particulièrement les fabricants d’instruments de musique, tels le to’ere, à qui le miro donne ce son si puissant. Mais l’arbre met du temps à pousser et son renouvellement ne va pas de soi. Analyse.

Du côté des sculpteurs

« il devient très difficile de trouver du miro, avoue Iriti Hoto, chef du groupe de danse Heikura Nui, sculpteur et musicien depuis plus de 30 ans. Pourtant, c’est le bois qu’utilisaient nos ancêtres pour fabriquer les to’ere, parce qu’il est très dur et la résonance est excellente. Le problème, c’est qu’il va bientôt disparaître si on n’en replante pas. Le stock s’épuise, nous le ressentons et en faisons les frais ». « D’autant qu’il y a de plus en plus de demandes », explique pour sa part Carlos Tuia, chef du groupe Kei Tawhiti, musicien et fabricant également réputé. « Bien souvent, la valeur d’un to’ere ne se monnaye pas, dit quant à lui Eugène Haoa : on fabrique un to’ere contre deux troncs de miro, un pour celui qui passe sa commande, l’autre pour avoir un morceau d’avance. Un client pour un to’ere me fournit deux morceaux de miro : l’un me permet de fabriquer son to’ere, l’autre me rétribue et entre dans mon stock de bois. Sinon, c’est trop difficile d’en avoir ». Conséquence ? Certains sculpteurs doivent parfois se résoudre à utiliser du tamanu, du bulgom, de l’acajou… Mais de l’avis de tous, c’est résolument le miro le meilleur bois pour cet instrument, d’une part pour sa solidité, ensuite pour sa qualité sonore et enfin, comme dit Iriti, « car c’est le plus authentique puisque c’est celui que les Polynésiens ont toujours utilisé. Fabriquer cet instrument avec un autre bois reviendrait à le tuer. Il faut faire renaître le miro ! »

Reboiser : pas si simple

Léopold Stein, chef du département FOGER (Forêts et Gestion de l’Espace Rural) au Service du Développement Rural, explique : « le miro est un arbre sauvage que l’on trouve en abondance aux Marquises, mais il est interdit d’exporter le bois brut sur Tahiti ou ailleurs. Cette règle a pour objectif de protéger la production artisanale de l’archipel Marquisien. A Tahiti, il existe quelques plantations de miro mais celles-ci sont encore jeunes ; or, pour obtenir un tronc de la taille d’un instrument il faut bien attendre 30 ans. Et même avec les vieux arbres, ce n’est pas toujours évident : certains poussent courbés, et pour fabriquer un to’ere, il faut des pièces relativement rectilignes. Cela réduit d’autant plus le potentiel… Depuis le début des années 1970, plus de 30 hectares de miro ont été plantés par les services forestiers aux Marquises, aux Australes et dans la Société. La politique de reboisement existe mais elle est freinée dans l’archipel de la Société par manque de terres domaniales. Et pour les propriétaires terriens, cultiver du miro n’est pas suffisamment rentable, puisqu’on n’en récolte les ‘fruits’ qu’au bout de 30 ans et plus en ce qui concerne le bois. »

Faut-il que les artisans de Tahiti laissent tomber la fabrication à base de miro ? Les artisans Marquisiens peuvent-ils répondre à toutes les demandes ? Les pouvoirs publics doivent-il trouver d’autres solutions ? Tous ces acteurs doivent réfléchir ensemble à trouver une issue à ce qui semble être devenu un obstacle à la production, pour que les rythmes de notre to’ere continuent à nous faire bouger.

 

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2011, année internationale des forêts !

L’UNESCO a décrété 2011, année internationale des forêts. Cette thématique est l’occasion de souligner l’impressionnante variété de services que fournissent les forêts et nous invite tous à agir pour protéger ces ressources. Dans ce cadre, le SDR s’attache à multiplier des actions pour l’information du public, avec notamment l’organisation en février dernier d’un séminaire sur le thème « A l’école de la Forêt », dont un des objectifs était de mettre à la disposition des enseignants du 1er et 2nd degré de la matière pour illustrer leurs cours.

 

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Nom botanique : Thespesia populnea

Nom usuel : Bois de Rose d’Océanie

Noms vernaculaires : Tahiti : Miro ou ‘amae / Marquises : Mi’o

 

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Réglementation :

« En Polynésie française, tout abattage, arrachage d’arbre ou défrichement est réglementé par la  Délibération n°58-13 du 07 février 1958. Pour des raisons de protection contre l’érosion et sauvegarde de l’environnement, ces travaux nécessitent l’accord préalable de la municipalité concernée et des avis du propriétaire et du SDR. »

L’action de prélever l’écorce sur un arbre (médecine traditionnelle, colorants naturels) représente un danger pour son bon développement voire sa survie, au même titre que les abattages sauvages (illégaux) et de l’insuffisance de plantations nouvelles (pas de régénération après les coupes).

Source : SDR.

 

* Source : www.tahitiheritage.pf

 

* Tumu : arbre

* To’ere : tambour en bois évidé, à fente

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