La culture réunit les hommes et se partage

Dans une société marquée par ses fractures, ses ruptures et ses divisions, la cohésion sociale apparaît essentielle. Mais comment l’atteindre ? La culture est une des réponses, par les valeurs communes qu’elle apporte. Oui, la culture est un facteur de cohésion sociale. C’est l’opinion défendue par Armelle Merceron, lucide et ouverte sur le devenir de la culture polynésienne, qui, selon elle, donne aux individus un sens à leur histoire et à leur particularité. La culture, « ciment social », établit des bases communes permettant de faire la société d’aujourd’hui et de demain. Interview.

Que pensez-vous du magazine Hiro’a ?

[singlepic id=147 w=320 h=240 float=left]Je salue la naissance et la longévité du magazine, qui a su maintenir depuis deux ans sa qualité autant sur la forme que sur le fond. Selon moi, Hiro’a revêt deux aspects intéressants : d’une part, il est le fruit d’une production commune de 7 établissements culturels. Un modèle d’engagement et de liaison dont nous devrions nous inspirer dans d’autres domaines. D’autre part, son contenu : la culture. Hiro’a parvient à l’appréhender sous différents angles et à satisfaire ainsi un large public : articles de fond, patrimoine ancien et moderne, évènements, actualités, etc. Sa gratuité est un bénéfice pour tous, car j’estime que tout le monde doit avoir accès à ce genre d’informations, trop souvent réservé à une élite qui sait où le rechercher. Là, au contraire, c’est la culture qui va vers la population. En revanche, la diffusion mériterait d’être revue car il part trop vite dans les lieux fréquentés alors qu’il s’empile ailleurs.

Culture et solidarité, même combat d’après-vous ?

Les deux problématiques se rejoignent sur de nombreux aspects. D’ailleurs, à ce titre, Hiro’a est un outil qui rejoint nos préoccupations, au Ministère. Notre mission est de donner les moyens aux familles polynésiennes d’être plus heureuses. Elles ne le seront qu’à condition de leur donner des bases solides. Cela passe entre autres par la transmission des valeurs essentielles de notre culture.

C’est un travail de longue haleine…

En effet. Les Polynésiens ont été bousculés, ils ont besoin de repères culturels et identitaires. Au Ministère, nous travaillons pour leur donner les moyens de découvrir qui ils sont. Car il n’y a qu’avec de bonnes racines que l’on peut croître et affronter avec sérénité l’avenir.

Quelle est votre vision de la culture polynésienne ?

Nous venons tous d’horizons variés, mais nous avons un point commun : nous vivons en Polynésie française ! La culture polynésienne est forte et singulière, dans ses racines comme dans ses apports plus modernes. Les influences chinoises, européennes sont bien intégrées, mais le socle est et demeurera polynésien. Je crois qu’il faut savoir apprécier et faire vivre ce mélange car il est une richesse.

C’est cela « être » Polynésien ?

Etre Polynésien, c’est se référer à la réalité d’une population. Dans mon enfance, tout était nié : on n’apprenait pas la langue, l’histoire, la géographie, les traditions de notre Pays… Certes, la culture « populaire » vivait toujours, mais elle était dévalorisée.

Et aujourd’hui ?

Désormais, on insiste à raison sur l’importance de conserver, valoriser et diffuser la culture. Les médias sont importants pour la propagation du savoir. Ils soulèvent d’ailleurs un paradoxe intéressant, car c’est aux travers de ces technologies modernes (TV, radio, journaux, livres, etc.) que notre culture est véhiculée, parfois apprise. Ces outils cultivent d’autre part l’esthétisme, en donnant à voir la beauté d’une forme, d’un geste, d’un détail…

Culture et histoire font-elles bon ménage ?

Justement, je crois qu’il faut aider la population à se réconcilier avec son proche passé, car c’est celui que l’on bannit volontiers, et pourtant, c’est de lui qu’elle est le plus proche ! Acceptons notre histoire, puisqu’on ne pourra la refaire. Les problèmes sociaux rencontrés ce jour sont le résultat d’une évolution à marche forcée de la société polynésienne depuis les années 1960. La population a été tellement déstabilisée suite à l’irruption de l’extérieur, qu’elle n’a pas eu le temps d’y faire face !

Comment trouver un nouvel équilibre ?

Les Polynésiens sont passés sans transition ou presque d’une économie autosuffisante au salariat, à la consommation et à l’économie monétaire. Ce phénomène a créé des inégalités que nous ne rattrapons toujours pas aujourd’hui, 40 ans plus tard. D’où la nécessité de se réapproprier la culture, pour trouver un nouvel équilibre. Devenir fiers de ce que nous sommes, maintenant.

De quelle manière ?

En reconnaissant les erreurs du passé, en en faisant le deuil pour repartir. Cessons de rechercher un âge d’or que nous ne saurions atteindre ou retrouver, saisissons nous plutôt de toutes les formes de notre culture pour continuer à la faire vivre. Une culture qui ne ferait référence qu’à un lointain passé est une culture morte.

La crise actuelle est-elle aussi culturelle ?

Je ne pense pas. La culture est ce qui rapproche les êtres humains. Nous devons valoriser le métissage, car des liens entre tous peuvent se faire par le biais de la culture.  Pour ne citer qu’un exemple, le Heiva en est une belle démonstration. La culture réunit les hommes et se partage. La nôtre est suffisamment forte pour ne pas craindre de se la faire absorber, dans le contexte de mondialisation que nous vivons, même ici. Les tensions actuelles proviennent des inégalités économiques et de l’éducation. C’est cet aspect que nous devons faire reculer. Tout le monde devrait pouvoir dire « je peux réussir », quelle que soit sa condition de départ. Il faut faire respecter la diversité pour coexister harmonieusement.

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