N°105 – Des pirogues pour maintenir croyances et pratiques culturelles

Musée de Tahiti et des Îles – Te FareManaha

Celle-ci (n°112 de l’inventaire) mesure 26 cm de haut, 155 de long et 14,5 de large.

Rencontre avec TheanoJaillet, directrice du Musée de Tahiti et des Îles et Tara Hiquily, chargé des collections ethnographiquesdu Musée de Tahiti et des Îles.

Sources : Hélène Guiot, « Modèles réduits de pirogues », dans le catalogue d’exposition Tiki, éd. Musée de Tahiti et des Îles et Au vent des îles, à paraître ; Karl vonden Steinen, « Les Marquisiens et leur art », éd. Musée de Tahiti et des Îles et Au vent des îles, 2016.

Texte : DB. Photos : D. Hazama – MTI.

 

Deux modèles réduits de pirogues comptent parmi les 19 objets prêtés par le Musée de Tahiti et des Îles au Quai Branly. Faites de bois sculpté et de liens en fibre de coco tressée, elles sont originaires des Marquises.

Découvrir ces deux objets implique de prendre connaissance des textes rédigés par le docteur Hélène Guiot, spécialiste des cultures insulaires del’Océanie, et plus particulièrement d’ethnoarchéologie. À propos des deux pirogues, elle constate que « les lignes générales sont assez similaires. Elles sont composées d’une coque rehaussée d’une rangée de fargue (planche posée pour empêcher l’eau de pénétrer par une ouverture, ndlr), d’un liston (moulure disposée à l’extérieur de l’embarcation, ndlr),de bois teinté et d’une pièce de proue et de poupe ; le tout étant maintenu par des liens de fibres de bourre de coco. La pirogue n°112 est assortie de trois pagaies miniatures, présentant l’éperon terminal caractéristique de l’archipel, ainsi que des gravures de tortues, de lignes parallèles et de visages stylisés. »Les deux pirogues portent des motifs gravés inspirés de motifs de tatouage. Il leur manque le balancier qui pourrait avoir été perdu. D’après Tara Hiquily, chargé des collections ethno

graphiques au Musée de Tahiti et des Îles, il s’agirait probablement de« copies tardives de maquettes cérémonielles » destinées à la vente.

Des objets de cérémonies

Toujours d’après Hélène Guiot, les modèles réduits de pirogues existent dans bon nombre d’archipels d’Océanie mais« les données relatives à leur contexte d’usage sont rares ». Elle fait référence aux écrits du capitaine David Porter qui raconte son passage à Nuku Hiva en 1813. Il note à l’occasion d’une cérémonie pour rendre propice la pêche à la tortue la présence de modèles réduits de pirogues dans une maison. Elles étaient placées le long d’un mur avec leurs pagaies, filets, harpons… Ainsi, l’usage de ces objets pouvait-il être associé à des rituels. L’hypothèse est retenue et jugée « intéressante ». Sachant que des motifs de tortues apparaissent sur les maquettes n°111 et 112, ces dernières pourraient être liées aux cérémonies organisées avant les campagnes de pêche aux tortues.

Au fil du temps, l’usage de ces maquettes change et ne se restreint plus aux objets de cérémonie. Plaisant aux Occidentaux, elles comptèrent parmi les produits achetés et échangés. Karl von den Steinen décrit et fait l’acquisition de maquettes. Hélène Guiot se rapporte aux écrits de ce médecin allemand pour mieux comprendre l’histoire, l’usage et l’évolution des modèles réduits de pirogues. Celui-ci note : « Sur les plus jolis modèles réduits, qui sont fabriqués encore aujourd’hui, de petites touffes de plumes blanches sont fixées sur les côtés. C’est spécialement à Fatuiva que se trouvent parfois des modèles très bien travaillés de pirogues, [mais] couverts jusqu’à l’excès de motifs sculptés. De petites figurines de tiki, potiki, taillées d’une pièce avec le banc, figurent les passagers assis dedans… Le siège du barreur peut être décoré, sur les côtés, des têtes des dieux protecteurs Motu-tuaei et Fanau-te-tiu. Le banc de l’avant peut être décoré des figurines des inventeurs de la construction navale, Tuhunateaivaà, Motuhaiki et Hope-outoi ».

Au-delà des interdictions

Dans le cadre des échanges, les artisans marquisiens auraient fait des copies de pirogues d’apparat, de pirogues de guerre ou bien encore de pirogues à usage funéraire. Les ornementations et motifs dont elles sont ornées laissent penser qu’au-delà de l’échange avec l’Occident, les maquettes auraient été « des moyens d’adapter et de maintenir des croyances et des pratiques rituelles condamnées par la christianisation et la colonisation », conclut Hélène Guiot.

 

Coup de jeune

Les deux modèles réduits de pirogue qui sont actuellement sous le feu des projecteurs parisiens vont profiter de leur séjour pour passer entre les mains d’une restauratrice du patrimoine. « Voilà deux ans que je parle d’organiser un grand chantier de restauration des œuvres du musée, mais nous n’avons pas de spécialiste localement. Il faudrait en faire venir un, ce qui a un coût. Mais cela ne fait pas partie des priorités pour l’instant », explique Théano Jaillet, la directrice du Musée de Tahiti et des Îles. Aussi, lorsque les professionnels parisiens qui ont participé au constat d’état des œuvres polynésiennes ont proposé la restauration de certaines d’entre elles, la directrice a sauté sur l’occasion. « La dépense n’était pas prévue, mais il ne nous en coûtera que 150 000 Fcfp pour la restauration des deux modèles, ce qui est peu par rapport à ce que coûterait le déplacement d’un spécialiste à Tahiti. » La restauration commencera fin juillet (l’exposition « Mata Hoata » se termine le 24 juillet). Elle consistera à consolider les planchettes de bois anciennementmangées par les insectes et à fixer entre eux des éléments désolidarisés. Une peau de tambour passera elle aussi entre les mains d’un restaurateur du patrimoine avant de rentrer. Tous les objets prêtés par le Musée de Tahiti et des Îles au Quai Branly rentreront ensemble une fois l’opération terminée.

 

Plus d’infos sur l’exposition « Mata Hoata » : www.quaibranly.fr

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